Chronique internet

Percée quantique

d'Lëtzebuerger Land vom 25.10.2019

Google a annoncé cette semaine, par un article publié dans Nature, avoir réussi une percée dans le domaine de l’informatique quantique. A l’aide d’un ensemble de 53 qubits (abréviation de quantum bit), unités de base de machines d’un type nouveau faisant appel aux propriétés fondamentales de la matière, des chercheurs d’une de ses équipes à Santa Barbara, en Californie, ont pu effectuer en trois minutes et vingt secondes un calcul pour lequel il aurait fallu plus de 10 000 ans avec un superordinateur classique. L’annonce était attendue, le potentiel d’une telle percée étant immense et la concurrence à qui serait le premier à pouvoir se targuer de progrès dans cette technologie intense. Cela ne signifie pas pour autant que celle-ci est sur le point d’envahir notre quotidien : on n’en est qu’au tout début, et il y a loin de la coupe aux lèvres. IBM, qui est aussi sur le coup, s’était empressé, avant même la publication de l’article des chercheurs de Google, de minimiser leur performance, affirmant qu’il faudrait deux jours et demi à son super-ordinateur Summit, situé à l’Oak Ridge National Laboratory dans le Tennessee, pour effectuer ce calcul, plutôt que cent siècles. Mais pour les simples mortels, peu importe : même si pour mettre en valeur leurs travaux, les ingénieurs de Google ont quelque peu embelli leurs résultats, il reste que le calcul quantique quitte le domaine de la recherche fondamentale pour passer à la science appliquée. Outre Google et IBM, Microsoft et Intel sont investis dans cette recherche.

Pour comprendre ce que recouvre ce terme, il faut se remémorer ce que sont les objets quantiques en physique élémentaire : ce sont des objets qui changent d’état par saut. Structurés à l’échelle atomique, les qubits fonctionnent dans un milieu des plus précaires, à la fois ultra-froid (proche du zéro absolu) et exempt de la moindre vibration. Capables

d‘assumer deux états en même temps, les qubits sont ainsi capables de représenter davantage que le zéro ou le un entre lesquels doivent choisir les briques de base de nos ordinateurs actuels, issues du transistor. Ce qui multiplie de manière exponentielle leur potentiel de calcul puisque des grappes de qubits peuvent explorer simultanément des quantités exponentielles de situations ou d’hypothèses là ou les micro-processeurs se doivent de démultiplier les process à chaque bifurcation, ce qui explique que l’on touche rapidement à leurs limites et que l’accès aux ordinateurs les plus puissants de la planète se loue très cher et longtemps à l’avance. Avec ses 53 unités, l’assemblage éphémère de Google est capable de gérer 253 possibilités, soit plus d’un million de milliard de bits. Pour que le calcul quantique devienne opérationnel, sans doute faudra-t-il encore plusieurs percées technologiques afin que les qubits fonctionnent plus durablement et que les taux d’erreur, très élevés en l’état, puissent être ramenés à des valeurs acceptables, notamment à l’aide d’algorithmes de correction qui restent à inventer.

En tout état de cause, il faudra sans doute des décennies avant que ces machines n’atteignent leur maturité. Mais le simple fait que l’on se rapproche bel et bien de l’objectif de les mettre au point dans la vie réelle a de quoi enflammer l’imagination. Dans de nombreux domaines, la puissance de calcul des ordinateurs reste en effet une frontière essentielle, par exemple dans la recherche pharmaceutique, génétique ou climatique. Les limitations de calcul sont aussi à la base de la sécurité informatique, où la quantité de ressources informatiques nécessaires pour craquer un code est systématiquement prise en compte, sur la base d’un ratio coût-bénéfice, pour assurer la protection des données et systèmes sensibles. Si la prouesse de Google est remarquable, elle reste dans le domaine du proof-of-concept. On peut donc s’attendre à ce que la poignée d’acteurs capables de participer à cette course tente à présent de passer à l’étape suivante en mettant au point une ou des applications concrètes.

Jean Lasar
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