Résultats des Européennes 2009

Sanctuaires

d'Lëtzebuerger Land vom 11.06.2009

Tout change parce que rien ne change. Au premier abord, il y a eu un statu quo aux élections européennes, qui se sont déroulées dimanche à l’ombre des législatives : trois sièges sur six pour le CSV, plus chaque fois un pour le LSAP, le DP et les Verts. La caravane passe ? 

À y regarder de plus près pourtant, ce scrutin mal aimé aussi bien des électeurs que des politiciens est riche en enseignements, sinon même passionnant. Suite à l’accord trouvé entre les grands partis, ce furent en effet les premières élections à listes séparées, où donc le CSV, le LSAP, le DP et les Verts présentaient des candidats exclusifs pour les européennes, et non plus les « stars » nationales, les Juncker, Assel­born ou Polfer ayant servi à appâter les électeurs, mais n’acceptant qu’exceptionnellement leur mandat européen. Avant le vote, on pouvait donc établir deux hypothèses : soit les électeurs opteraient plus massivement pour des suffrages de listes, donnant une meilleure image du poids national réel des partis dans cette circonscription unique, alors que lors des élections législatives, le panachage reste le sport favori des Luxembourgeois, soit ils se rabattraient sur les députés sortants, ou ceux des députés luxembourgeois qui auraient changé leur fusil d’épaule. Dans la nuit de lundi, on constatait finalement que les deux hypothèses étaient partiellement vraies. Plus une troisième : les électeurs grand-ducaux ont également suivi la grande tendance internationale, à savoir que les élections européennes sont aussi perçues comme un possible vote-sanction à l’égard des partis de la majorité gouvernementale.

Premièrement donc, et bien qu’elles se soient déroulées le même jour, ces élections européennes ne sont pas à l’image des législatives : alors que sur le plan national, le CSV a encore pu augmenter sa majorité à 38,04 pour cent des suffrages et 26 mandats, il perd du poids aux européennes : de 37,13 pour cent des voix en 2004 à 31,32 pour cent aujourd’hui, revenant presqu’au même niveau qu’en 1999 (où, avec 31,67 pour cent, il n’avait que deux sièges). Malgré cette perte de suffrages, il a néanmoins pu garder ses trois mandats. 

On pourrait considérer que le parti a surtout souffert de l’absence des ministres Juncker, Frieden ou Biltgen de 2004 et du départ de deux de ses députés sortants, Jean Spautz et Erna Hennicot-Schoepges, qui ont tous les deux décidé d’arrêter la politique. Mais c’est surtout en suffrages de listes que le CSV a perdu : dix pour cent par rapport à 2004 ou plus de 23 000, à 207 000. Et ceci malgré la croissance du nombre d’électeurs inscrits, de 229 000 en 2004 à 240 000 cette année. 

La commissaire sortante, Viviane Reding, tête de liste du CSV, a fait un très bon score personnel (104 900 voix, elle ne s’était classée que quatrième du CSV et huitième en tout en 20041), en deuxième position de tous les élus luxembourgeois. Ses deux collègues de parti, la députée européenne sortante et doyenne Astrid Lulling (62 853 voix, 80 ans) et le secrétaire du groupe parlementaire du CSV, Frank Engel (47 312 voix) se situent loin derrière le peloton de tête. Si Viviane Reding voyait son vœu le plus cher, celui d’être reconduite en tant que commissaire européenne, se réaliser, elle laisserait sa place au président du syndicat chrétien des cheminots Syprolux, Georges Bach (45 733 voix). 

L’ambition de Robert Goebbels, député socialiste sortant, de reconquérir le deuxième siège que son parti avait perdu en 2004, a échoué, le parti continuant même sa régression, tombant en-dessous de la barre des vingt pour cent (19,42 pour cent des voix, contre 22,09 en 2004). Même si Ro­bert Goebbels lui-même a fait un assez bon score personnel (74 085 voix ; les suffrages de liste, 121 152 voix, étant en baisse aussi). Parmi les perdants du scrutin européen, il faut encore citer l’ADR, qui, malgré une campagne spéciale pour les européennes, est loin de pouvoir prétendre à un siège, perdant encore un peu plus d’un demi pour cent, à 7,37 pour cent, par rapport à 2004. La Bier­gerlëscht de l’ancien ADR Aly Jaerling n’y est certainement pas innocente, ayant réussi à atteindre 1,37 pour cent.

Parmi les gagnants, il y a aussi l’extrême-gauche – KPL : plus 0,37 pour cent à 1,54, La Gauche : plus 1,72 à 3,41, soit un doublement de son résultat, toutes les deux sans mandat – et surtout Les Verts plus 1,82 pour cent à 16,84 et, encore plus marquant, le DP, avec un plus de 3,84 point par rapport à 2004, se rapprochant à nouveau de la barre des vingt pour cent qu’il avait dépassée en 1999 encore. Fait marquant ici : l’excellent score, voire le véritable plébiscite de Charles Goe­rens, tête de liste du DP et historiquement très populaire député national, président du groupe parlementaire et ancien ministre des libéraux au Nord. Il a su réunir 111 589 voix à lui seul, alors que les suffrages de liste du DP sont très faibles (80 892 ; le deuxième sur la liste du DP, Max Kuborn, n’a même pas fait le cinquième des voix, 21 920). Visiblement, les électeurs voyaient en Charles Goerens une valeur sûre, un Européen convaincu et connaisseur des institutions (il a déjà été député européen au début des années 1980 et de 1994 à 1999).

Claude Turmes quant à lui se voit confirmé dans son très bon résultat de 2004, se classant troisième des élus luxembourgeois, avec 76 774 voix, alors qu’il n’était que septième lors de la précédente échéance. L’absence des poids-lourds de la politique nationale lui a peut-être servi le plus. Lors d’un premier bilan, lundi, il se montrait particulièrement satisfait du bon résultat de sa co-tête de liste, la jeune Nuria Garcia (26 094 voix, un meilleur résultat que, par exemple, Gast Gybérien de l’ADR). Par contre, les Verts perdent un peu en nombre de suffrages de liste, qui dépasse légèrement les 101 000. 

L’impact de l’augmentation de cinquante pour cent du nombre d’électeurs non-Luxembourgeois inscrits, à 17 600, reste à être analysé. En tout cas, ils n’ont pas fait gagner les candidats non-Luxembourgeois, souvent classés en derniers des listes, y compris une figure médiatique comme Claude Frisoni, auteur, acteur et directeur de l’abbaye de Neumünster (dernier de la liste LSAP, avec 26 000 voix). 

Si, au-delà des dissensions idéologiques qu’il peut y avoir au sein de ce petit groupe de six eurodéputés luxem­bourgeois – et ce jusque dans un même groupe politique –, ils sont bien d’accord sur une chose, c’est sur le constat amer que l’opinion publique ne se rendrait pas compte de l’importance primordiale de leur travail. Et pourtant, quand ces députés européens discutent entre eux, comme lundi soir à RTL Tele Lëtzebuerg (table-ronde à laquelle manquait Viviane Reding), les sujets dominants concernent toujours les questions institutionnelles et le poids politique des différents organes européens. Lors du référendum de 2005 pourtant, les nonistes avaient fait comprendre que ce qui les inquiétait dans cette Europe en construction, c’était justement que la bureaucratisation prenait le dessus sur l’idéologique et l’économie sur le social. 

1 La modification de la loi électorale, en juillet 2008, réduisant le nombre total de candidas par liste de douze à six, mais avec un même nombre de voix possibles par électeur, soit six, rend la comparaison directe entre scores personnels extrêmement difficile.

josée hansen
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