Mouvement de décollecte en Europe

L’assurance-vie a-t-elle mangé son pain blanc ?

d'Lëtzebuerger Land vom 09.12.2011

En France, la publication fin novembre du tableau de bord mensuel de l’Association française de l’assurance a fait le même effet que celle d’un bulletin d’alerte météo. C’est la première fois en dix ans que, pour le deuxième mois consécutif, les ménages ont retiré plus d’argent qu’ils n’en ont déposé sur les contrats d’assurance-vie. En octobre, les retraits de fonds ont été supérieurs aux apports à hauteur de 1,4 milliard d’euros. En septembre, la décollecte nette s’était montée à 1,8 milliard, suivant un mois d’août étale.

« N’oublions pas que ce sont des données ponctuelles. Si l’on regarde depuis le début de l’année la vision est tout autre », tempère Bernard Spitz, président de la FFSA (Fédération française des sociétés d’assurance), notant que sur les dix premiers mois de 2011, la collecte nette reste positive de 17,7 milliards d’euros, supérieure à celle du Livret A (16,6 milliards). Sauf que cela représente une baisse de 63 pour cent par rapport à la même période de 2010. Un effet de ciseau est en train de se produire : tandis que les cotisations brutes baissent de 12 p.c., les prestations versées (qui comprennent les retraits) augmentent de 21 p.c.

Le doute n’est plus permis : les Français boudent leur placement favori, dont les encours atteignent 1375 milliards d’euros, plus de 70 p.c. du PIB. L’année 2011 a vu une conjonction exceptionnelle d’éléments conjoncturels et structurels pour expliquer une évolution qui d’ailleurs ne chagrine pas forcément les banques.

En France, l’engouement pour l’assurance-vie est principalement dû aux avantages fiscaux dont elle est assortie, et ce, depuis plus de quarante ans. Elle a longtemps compensé l’absence de véritables fonds de pension à l’anglo-saxonne. Finalement créés en 2004, ils n’ont pas séduit, et donc jamais menacé la prééminence de l’assurance-vie.

En contrepartie, elle a toujours été impactée par les réformes fiscales, qui dans le passé ont été parfois rétroactives. Début 2011, les incertitudes sur la réforme de la fiscalité de patrimoine se sont traduites par une chute de la collecte nette, passée de 4,5 millions d’euros en janvier à 1,4 million en avril, avant de remonter quand on a appris que ce placement ne serait finalement pas touché (mais pour combien de temps ?).

Le rendement des contrats est aussi en cause. La rémunération des contrats en euros (investis surtout en obligations et produits monétaires, avec garantie du capital), qui représentent 85 p.c. du total, sera en 2011 à peine supérieure à 3 p.c. contre plus de 4, il y a seulement deux ans. Le différentiel de rendement avec certains produits d’épargne bancaire, également défiscalisés mais où les dépôts sont immédiatement disponibles, se réduit. Le livret A rapporte désormais 2,25 p.c. et le plan d’épargne-logement 2,5.

Les fonds en euros, qui contiennent beaucoup d’obligations d’État, souffrent aussi des craintes liées à l’aggravation de la crise de la dette souveraine en Europe. « On nous demande de plus en plus ce qu’il y a dans notre fonds en euros ou ce qu’il se passerait si nous faisions faillite », explique Paul Younès, directeur général adjoint de l’Union financière de France.

Mais la décollecte trouve aussi sa source dans un mouvement plus profond : les départs en retraite des baby-boomers. Ces derniers compensent la baisse de leurs revenus en puisant dans leurs contrats d’ assurance-vie. « C’est une tendance lourde qui va nous accompagner au fil du temps. On doit s’habituer à un niveau structurellement élevé de retraits », reconnaît Bernard Spitz. Cette tendance est accentuée par le fait que de nombreux contrats souscrits par les 50-70 ans sont arrivés à leur terme. Or, cette tranche d’âge souhaite employer son capital comme complémentaire retraite ou pour effectuer un achat immobilier sans recourir au crédit.

La question est de savoir si la situation française reflète une évolution visible ailleurs en Europe. Difficile de répondre clairement, tant la structure et le fonctionnement des marchés diffèrent d’un pays à l’autre.

Les 32 pays européens membres du CEA (Comité européen des assurances) représentaient un marché total de 1 107 milliards d’euros fin 2010. Sur ce montant, l’assurance-vie pèse 61 p.c., mais avec de fortes disparités : de l’ordre de 70 p.c. au Royaume-Uni, en France et en Italie (un peu moins en Belgique et au Luxembourg), mais seulement 50 p.c. en Allemagne, en Espagne et en Suisse, et à peine 28 aux Pays-Bas. Par tête d’habitant, les cotisations moyennes par tête d’habitant sont d’environ 1 100 euros. Là aussi des écarts importants existent entre d’une part la Finlande, le Dane[-]mark, le Royaume-Uni, la Suisse, le Luxembourg (2 300 à 2 600 euros) et d’autre part l’Espagne (630 euros) ou l’Allemagne (1 040 euros). La France (2 100), la Suède (2 000), la Belgique (1 700), les Pays-Bas (1 500) et l’Italie (1 350) occupent les rangs intermédiaires. Les pays de l’Est sont loin derrière avec des chiffres d’environ 200 euros par tête en Pologne ou en Slovaquie, la Bulgarie et la Roumanie étant à moins de 20.

Entre 2007 et 2008, le marché européen de l’assurance-vie a connu une forte secousse, les primes ayant diminué de 17 p.c. en un an. Malgré sa reprise depuis, le montant des primes encaissées en 2010 (675 milliards) reste encore inférieur à celui de 2006. C’est le cas dans plusieurs pays d’Europe de l’ouest où la forte volatilité des encaissements ne parvient pas à masquer la tendance baissière : on le voit en Belgique, avec une collecte 2010 en légère hausse mais toujours inférieure d’un quart à celle de 2005, pour des raisons conjoncturelles et démographiques comparables à celles de la France. Pour Meyer Azogui, président du directoire de la société Cyrus Conseil, « l’assurance-vie, comme tout produit, a un cycle de vie, et nous sommes dans la phase de stabilisation avant peut-être une décrue lente ».

Georges Canto
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