Baby(a)lone

Nique ta mère !

d'Lëtzebuerger Land du 06.03.2015

Ils sont Bonnie & Clyde. Ils sont Sailor & Lula. Sauf qu’ils n’ont que treize ans. X (Joshua Defays) et Shirley (Charlotte Elsen) se rencontrent dans une classe mosaïque du Lycée Belval, dernière station avant la prison, où des enseignants (Jules Werner en prof de maths) et des éducatrices (Gintare Parulyte) très compréhensifs et ultra-tolérants essaient de les repêcher, de leur donner une dernière chance, de leur expliquer encore et encore que la violence ne mène nulle part. X et Shirley, encore pré-ados, vivent dans un univers hypersexué : lui se branle plusieurs fois par jour en regardant du porno sur son téléphone portable, mais ne supporte pas que ses collègues disent de sa mère qu’elle est une pute (pourtant, elle en est une et ne le cache pas, elle fait même son business par internet de la maison). Shirley porte des minijupes ultra-courtes, a des copains dont les intentions sont univoques lorsqu’ils sortent et se bat avec une autre fille parce qu’elle insinuait que Shirley suçait « pour seulement vingt euros, tu imagines ?! » Et pourtant, ils ne sont que des mômes en manque d’amour : la maman de X ne lui parle jamais et le laisse complètement seul, celle de Shirley est morte d’une overdose il y a des années. Comment repêcher ces jeunes ? Que peut faire la société pour réparer le mal qui leur a été fait jusque-là ?

« An den Aasch geféckt ze ginn. An den Duschen » (être sodomisé, sous la douche) sont les deux première phrases d’Amok – Eng Lëtzebuerger Liebes-chronik de Tullio Forgiarini, publié en 2011 chez Binsfeld. Ce fut le premier livre en luxembourgeois de ce professeur d’histoire au Lycée de Wiltz, après plusieurs policiers en français ; il reçut même un prix littéraire de l’Union européenne en 2013. Le livre est cru, violent, sans concessions à l’encontre de ces jeunes que Tullio Forgiarini côtoie tous les jours – et surtout des adultes qui les ont si mal aimés. Nicolas Steil, producteur d’Iris Productions, en a acquis les droits et proposé à Donato Rotunno (Terra Mia, Terra Nostra ; André et les voix dissidentes) de l’adapter pour le grand écran. Finalement, ce fut un trio composé de l’auteur, du réalisateur et du producteur qui en écrivit le scénario, assez proche du livre, si ce n’est sur la fin, un peu moins noire dans le film. Baby(a)lone est une production quasi cent pour cent luxembourgeoise, du livre à la réalisation, en passant par le tournage et les acteurs… Sur les 4,3 millions d’euros de budget total, 80 pour cent sont financés par le Film Fund. La bonne nouvelle est que Baby(a)lone est une réussite, le film qui vous réconcilie vraiment avec la production autochtone dans ce festival.

Le film est entièrement porté par ses acteurs : Joshua Defays, Charlotte Elsen et Etienne Halsdorf (en ami imaginaire de X, Johnny) sont d’une fragilité et d’une fraîcheur incroyables, ils portent l’œuvre sur leurs épaules de débutants. Fabienne Hollwege est parfaite en pouffiasse Sandra, la mère de X, qui n’est occupée que par ses amants et son métier, n’a aucune considération pour son fils. X et Shirley ont cette rage, cette dangerosité de passer à l’acte gratuit, à la violence pour un oui ou pour un non, mais aussi ce manque d’assurance, ce manque criant d’amour que demande l’histoire. Ils sont d’une poésie fragile quand ils commencent à se côtoyer, à se toucher une première fois, à se promener ensemble sur les toits, à faire les 400 coups. Ils sont extrêmement crédibles dans leur comportement qui se veut adulte – voler une voiture, agresser des copains ou des enseignants, se battre dans la cour d’école –, mais qui n’est jamais qu’un cri pour attirer l’attention de leur entourage. Quand ils font l’école buissonnière ou fuguent ensemble pour aller « où tu veux » (X à Shirley), ce n’est pas au bout du monde qu’elle veut aller, mais au parc d’attractions, s’amuser sur les manèges, « j’ai jamais été en vacances ». Ils ne sont encore que des gamins, leurs actes ne sont que l’expression de leur manque de limites morales – frapper quelqu’un pour de vrai ou pour de faux, ils ne connaissent pas la différence.

Baby(a)lone n’est pas seulement un film pour adolescents – ceux de la même classe d’âge que les héros qui voyaient le film mardi matin lors d’une séance pour lycéens rigolaient nerveusement à chaque évocation de sexe – et pour leurs enseignants (un dossier pédagogique très fourni leur donne toutes les clés de lecture nécessaires) ; mais c’est aussi tout simplement un très beau film. Touchant dans ces moments d’amour naissant, révoltant dans les flashbacks ou évocations de leurs vies quotidiennes respectives, il est aussi une œuvre filmique aboutie, avec des images esthétiques (de Jako Raybaut, comme les beaux gros-plans sur le squelette des montagnes russes en ouverture) et un montage tout en retenue (seule la musique, signée Eric Bintz, est peut-être un peu trop invasive). Baby(a)lone sonne juste, dans son temps – enfin un film luxembourgeois vraiment contemporain...

Le film sortira en salles mercredi 11 mars ; pour plus d’informations : www.baby-a-lone.lu.
josée hansen
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