Fiscalité et secteur financier

Artillerie légère

d'Lëtzebuerger Land vom 04.10.2007

Qu’est-ce qu’il y aura dans la hotte du projet de budget 2008 pour le secteur financier ? Ses représentants ne s’attendent pas à de grands gestes de la part du gouvernement. As usual, oserait-on dire. Le budget 2007 n’avait pas été caractérisé par une prodigalité extraordinaire pour la place financière non plus. Peu d’informations filtrent d’ailleurs sur les intentions du ministre des Finances et Premier ministre Jean-Claude Juncker cette année envers les établissements financiers, qui faute d’avoir eu gain de cause il y a un an, ont dû remettre leurs vieilles revendications sur la table. « Nous n’avons pas de revendications lourdes », assure Jean-Jacques Rommes, le directeur de l’Association des banques et banquiers Luxembourg (ABBL).

L’insonorité sur cequi se tramepour le secteur financier, pour les non-initiés, tranche avec la logorrhée d’indications sur les plans du gouvernement pour ce qui concerne la fiscalité des ménages (indexation du barème de l’impôt sur les personnes physiques à l’inflation), largement relayés par les syndicats invités aux négociations.

Conviée elle aussi à la table de Jean-Claude Juncker, la communauté financière lui a présenté deux grands souhaits : annulation pure et simple du droit d’apport d’un pour cent qui frappe le rassemblement de capitaux (impôt présenté comme « anti-économique » et qui sape le moral des investisseurs) et introduction d’un système de déduction du capital de la base imposable, qui s’appuie sur le concept des intérêts notionnels, déjà pratiqué en Belgique. La revendication sur les intérêts notionnels n’indisposerait pas fondamentalement le Premier ministre. D’abord parce que son impact sur les rentrées fiscales de l’État serait assez indolore. Le problème est donc plus technique que philosophique : le dossier n’est pas bouclé en raison de sa complexité juridique. Une commission spéciale du Comité de développement de la Place financière (Codeplafi), un organe sponsorisé par le ministre du Trésor et du Budget Luc Frieden et présidé par Jean-Nicolas Schaus, le directeur général de la CSSF, s’arrache les cheveux pour produire un texte mais butte sur de « gros problèmes techniques », selon les indications de Jean-Jacques Rommes. Des difficultés qui ne devaient pas être résolues d’ici à la fin de la semaine, date du bouclage du projet de budget 2008 qui sera présenté mercredi.

L’idée des intérêts notionnels a pourtant été présentée fin 2006 par la Chambre de commerce dans le cadre de son avis sur le projet de budget 2007. Dans ce sillage, le député CSV, Lucien Thiel, avait déposé au printemps dernier, au moment où la loi sur les holdings 1929 était abolie, une motion à la Chambre des députés invitant le gouvernement à faire de bonnes actions envers les investisseurs institutionnels et les contribuables personnes morales, notamment en révisant la législation existante sur les Soparfi (sociétés de participations financières) et en étudiant l’introduction du principe des intérêts notionnels dans la législation luxembourgeoise. En schématisant à l’extrême, un geste du gouvernement sur les intérêts notionnels, même sans passer par la loi budgétaire, serait le pendant de ce qui devrait se faire pour les ménages grand-ducaux avec une indexation du barème de l’impôt des personnes physiques à l’inflation. Car, à suivre le raisonnement de l’ancien patron d’ING Luxembourg Bruno Colmant, le système des intérêts notionnels atténue (en Belgique, à tout le moins) les effets de la hausse des prix sur la taxation à l’impôt sur les sociétés « puisqu’une indexation anticipée se reflète dans les taux d’intérêt des obligations d’État majorées ».

« Il en découle, assure le banquier, une certaine indexation des barèmes fiscaux à l’impôt des sociétés ». À défaut d’une abolition de l’impôt sur la fortune pour les sociétés (il a été supprimé l’année dernière pour les personnes physiques, mais reste une des « revendications lourdes » du secteur financier), les opérateurs économiques devront se consoler d’une mesure plus légère permettant une déduction fictive de la rémunération du capital. Le dispositif devrait en tout cas leur permettre de compenser leurs difficultés croissantes à utiliser les ficelles des provisions sur impôts pour faire baisser leur charge fiscale. Les nouvelles normes  comptables IFRS n’autorisent plus en effet les établissements à repren-dre certaines provisions dans leurs bilans. Ce qui pourrait avoir, à terme, un effet dissuasif sur les investissements des maisons-mères étrangères dans le développement d’activités dans un grand-duché de moins en moins attractif, comme l’indique une enquête récente de KPMG Meijburg et de Brauw Balckstone Westbroek. Largement relayée par la presse économique, cette enquête montre que la primauté luxembourgeoise dans l’industrie des fonds d’investissement est menacée par la montée en puissance des Pays-Bas.

Les fonds d’investissement qui y sont établis économiseraient ainsi jusqu’à 0,7 pour cent sur l’ensemble de leurs dépenses par rapport à leur équivalent luxembourgeois. Swiss Life, note la presse économique, est en passe de rapatrier du Luxembourg vers Amsterdam son portefeuille de fonds pour un montant de 2,7 milliards d’euros. « Notre exemple mérite d’être suivi », a d’ailleurs assuré le patron de la compagnie. Les raisons de ce « retour de manivelle » pour le Luxembourg seraient d’abord à chercher dans le poids de la fiscalité, notamment l’absence d’impôt sur le capital au royaume batave. L’accessibilité des autorités de contrôle des marchés financiers aux Pays-Bas et l’atmosphère de travail « plus constructive » à Amsterdam qu’à Luxembourg contribueraient aussi à l’exode.

Les banquiers luxembourgeois ne se sont sans doute pas privés d’alerter le gouvernement luxembourgeois du danger de déperdition d’une industrie des OPC qui représente à elle seule, selon la version préliminaire d’une étude de la firme Deloitte pour le Codeplafi (d'Land du 28 septembre), douze pour cent du PIB luxembourgeois et treize pour cent des recettes fiscales.

Coincé par d’autres engagements politiquement plus corrects, Jean-Claude Juncker ne semble pas vouloir céder beaucoup de terrain sur la fiscalité du capital. Aussi, le droit d’apport, qui rapporte entre 80 et 90 millions d’euros par an, ne devrait-il pas être effacé d’un trait de plume l’année prochaine, à en croire les indications qui filtrent des discussions budgétaires.

Le Premier ministre n’est d’ailleurs engagé par aucune promesse sur ce point. D’autant moins que la pression de la Commission européenne sur les rares États membres où subsiste encore le droit d’apport pour l’abolir à l’horizon 2010 s’est faite moins envahissante ces derniers mois. Certains pays comme la Pologne, l’Espagne ou la Grèce ne sont pas prêts de renoncer à cette manne, fut-elle d’un autre âge.

Comme le résume le député CSV Lucien Thiel, « ce n’est pas pour demain que le droit d’apport sera aboli dans l’Union européenne ». La communauté financière, soutenue des deux mains par le président de la commission des Finances et du Budget, Laurent Mosar, s’attend toutefois à un signe de la main du gouvernement. Lequel pourrait annoncer la semaine prochaine un abaissement progressif du droit d’apport. Un geste qui ne suffira pas. « Si le droit d’apport n’est pas aboli, souligne Jean-Jacques Rommes, il nous faut au moins un calendrier précis dans lequel le gouvernement s’engagera à le faire ».

Si le secteur financier fait tant de cas de la suppression du droit d’apport, alors que dans les faits, les moyens d’y échapper font légion, c’est parce que la Commission européenne s’intéresse de près aux systèmes dérogatoires dont bénéficient certains instruments financiers, comme les organismes de titrisation. Bruxelles s’interroge sur la compatibilité du régime des Sicar, qui ont droit à  un plafonnement du droit d’apport à 1 250 euros, avec la réglementation communautaire sur les aides d’État. Des dispositions dérogatoires similaires profitent également aux fonds d’investissement spécialisés ainsi qu’à d’autres instruments (fonds de pension et Sicav). Les banquiers craignent donc, que par un effet de domino, la Commission européenne ne s’en prennent à des véhicules financiers qui cimentent actuellement le succès de sa place.

L’annonce de l’abolition du droit d’apport, même progressive, devrait avoir un effet léthargique sur la fièvre inquisitrice des services de la Commission européenne. C’est sans doute la seule gratification à laquelle les opérateurs du secteur financier auront droit. Cela reste néanmoins de l’artillerie légère pour se battre contre l’armement lourd des centres financiers concurrents.

Véronique Poujol
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