Le lauréat est un visionnaire

Ils ont le prix Nobel !

d'Lëtzebuerger Land du 09.12.2011

Je veux parler bien sûr de nos amis français qui ne sont pas peu fiers d’applaudir leur compatriote Jules Hoffmann qui recevra demain samedi à Stockholm le Prix Nobel de médecine. Le lauréat est un visionnaire et votre serviteur se souvient que, jeune carabin, il lui a rendu visite, dans les années 70, dans son laboratoire de Strasbourg. Hoffmann travaillait alors sur… les criquets, ces insectes voraces qui détruisent chaque année des milliers de récoltes. Alors qu’on répandait alors, sans se soucier le moins du monde d’écologie, des tonnes d’insecticides, le jeune chercheur s’appliquait à trouver un moyen biologique de bloquer le passage de la sauterelle individuelle, inoffensive, à l’insecte grégaire, vorace et mortifère.

Il y a chez cet agnostique proclamé du Joseph et du Moïse. Comme Joseph, il a quitté sa terre natale suite à un rêve, comme Moïse il a vaincu la plaie d’Égypte et comme lui, il ne foulera plus la terre de ses ancêtres. Car Hoffmann, contrairement à ses anciens objets d’étude, n’est pas un sujet grégaire et il renoncé en 1970 à sa nationalité luxembourgeoise pour aller mener sa carrière en France. Et ce que Buenos-Aires est devenu aux anciens nazis, Strasbourg l’a toujours été pour les futurs chercheurs luxembourgeois et c’est ainsi que Hoffmann a pu rencontrer sur les rives de l’Ill d’autres grandes figures comme André Steinmetz et surtout Lucien Israël. Une véritable fuite de cerveaux que le Grand-Duché doit à son lâche et frileux refus de la double nationalité qu’il vient enfin d’abandonner après, il est vrai, maintes tergiversations et discussions d’arrière-garde.

Aujourd’hui, Jules Hoffmann analyse les défenses immunitaires de la drosophile et certains chantres de la droite, à l’image de l’inénarrable Sarah Palin, lui reprochent de gâcher des milliards en s’intéressant au caca des mouches. Faut-il rappeler que ce sont les mêmes qui condamnent toute recherche sur des cellules embryonnaires et qui continuent à voir dans Darwin un hérétique ? Les études « hoffmaniennes » sur les invertébrés ont ouvert la voie à de très utiles progrès en médecine humaine. Mais c’est peut-être cela que n’acceptent pas les chevaliers d’un dieu tout-puissant, seul maître sur la vie, la mort et la souffrance des êtres humains. « Zweck seiner selbst ist jegliches Tier », disait déjà Goethe qui ne fut pas seulement un écrivain génial mais aussi un scientifique hors pair… et qui travaillait lui aussi à l’Université de Strasbourg.

Avec Jules Hoffmann une petite allumette a fait des étincelles. Fils de son père, professeur de biologie à Luxem[-]bourg et affublé du sympathique sobriquet « de Fixspoun », le nouveau Nobel a enseigné au Luxembourg sous l’aimable appellation contrôlée et logique de « Spéinchen ». Ce fut l’époque où notre enseignement post secondaire ne se poussait pas encore trop du col et s’appelait, modestement et, certainement non sans ironie, CUL. Jules Hoffmann a fait sa scolarité sur les bancs du Lycée de Garçons du Limpertsberg. Pourquoi ne pas débaptiser alors l’honorable LGL en LJH, non pas lycée de jeunes hommes, mais Lycée Jules Hoffmann ? Ainsi le fils prodige deviendra aussi un petit peu le fils prodigue.

Yvan
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