Présence des étrangers en politique

Monsieur Weber plutôt que Madame Da Silva

d'Lëtzebuerger Land vom 03.12.2009

« J’ai mis cinquante ans à faire deux Luxembourgeois. Et maintenant, j’en fais 5 000 par an, » est une des boutades préférées du ministre de la Justice François Biltgen (CSV) en ce moment. Suite à l’entrée en vigueur de la loi sur la double nationalité, le ministère a en effet reçu près de 4 300 demandes de naturalisation en dix mois, et part d’une projection de plus de 5 000 dossiers sur un an – contre un millier en 2009 et un peu plus de 600 seulement en 1990. Il se pourrait tout à fait que ces Luxembourgeois d’adoption apportent plus de sang neuf non seulement à la société luxembourgeoise, mais aussi, plus spécifiquement, à la vie politique nationale que les campagnes de sensibilisation successives pour une participation politique des étrangers. Parallèlement à l’intégration pleine et entière des ressortissants étrangers dans la société luxembourgeoise, les partis politiques ­semblent prôner aujourd’hui une intégration totale – sinon une assi­milation ? – des non-Luxembour-geois dans la vie politique nationale.

Ainsi, dans l’étude Les partis politiques et les étrangers au Luxembourg que vient de publier le Sesopi-CI1, les auteurs Sylvain Besch, Nénad Dubajic et Michel Legrand constatent : « Sous l’impulsion du traité de Maastricht et de l’instauration de la citoyenneté européenne, les années 90 avaient laissé apparaître une certaine sensibilité à ces questions de la part des états-majors des partis politiques. (...) Nous nous demandons si cette sensibilité existe encore aujourd’hui et à quel point. L’intégration des étrangers dans les structures normales du parti sans qu’il soit besoin de recourir à des leviers particuliers (...) semble aujourd’hui la devise générale, à quelques exceptions près » (page 147).

Réalisée entre juin 2008 et mai 2009, un mois avant les dernières élections législatives et européennes, l’étude se base essentiellement sur un questionnaire envoyé aux partis, des entretiens individuels avec les responsables des partis représentés à la Chambre des députés (CSV, LSAP, DP, Verts, ADR, plus La Gauche et le KPL), ainsi que l’étude de leurs programmes électoraux, de leurs statuts et autres textes de base – sans malheureusement prendre en compte les résultats du 7 juin, notamment des candidats étrangers aux européennes.

En prologue, elle ne peut que ­réitérer le constat d’une très forte sous-représentation des non-Luxem­bourgeois dans les partis politiques par rapport aux plus de 43 pour cent qu’ils constituent de la population totale. Ainsi, les partis affirment eux-mêmes compter entre quatre (CSV) et douze pour cent de membres étrangers dans leurs rangs, essentiellement des Portugais, des Italiens, des Allemands et des Français (DP, LSAP). Le CSV, 10 000 membres ou deux pour cent de la population totale du pays, affiche le taux le plus faible. « À l’instar du CSV (...), nous pouvons dire que les partis politiques sont des partis luxembourgeois, » notent les auteurs (page 14).

Non seulement les membres étrangers sont-ils très largement sous-représentés dans la base et les structures du pouvoir des partis, mais la même disproportion se retrouve dans la constitution des listes pour les élections communales et européennes, les deux scrutins pour lesquels les non-Luxembourgeois ont le droit de vote actif et passif. Ainsi, lors des élections communales de 1999 et de 2005, ce furent les petits partis de gauche, La Gauche et le KPL, qui comptèrent le plus de candidats étrangers, entre seize et vingt pour cent, mais ce sont les candidats sur les listes du CSV dans les communes votant selon le système proportionnel qui ont eu le plus de chances d’être élus – sept candidats CSV élus lors des deux scrutins. En tout, 189 candidats étrangers se présentèrent aux communales de 2005, sur plus de 3 000 Luxembourgeois ; à l’arrivée, quatorze furent élus à un mandat local. Dans les commissions consultatives locales, les non-Luxembourgeois restent cantonnés dans les commissions ayant trait à leur identité, surtout les commissions des étrangers, composées à 47 pour cent de non-Luxembourgeois. Ils n’atteignent même pas cinq pour cent dans tous les champs politique hardcore : finances, bâtisses, scolaire, circulation…

Ce n’est pas un hasard que l’étude du Sesopi-CI paraisse à mi-chemin entre les dernières élections européennes – où aucun des candidats non-Luxembourgeois ne fut élu – et les prochaines communales de 2011 : c’est en ce moment même que les sections locales sont en train de constituer les listes de candidats. Les auteurs font discrètement appel à une représentation plus équilibrée de la population luxembourgeoise sur ces listes, à l’instar de ce que fait le Conseil national des femmes pour promouvoir l’égalité des sexes sur les listes. Ainsi, bien que les auteurs relèvent quelques efforts des partis pour un accès plus démocratique à la vie politique – traduction des programmes et d’affiches en français, voire en portugais, traduction simultanée lors des congrès, collaboration avec des partis-frères internationaux – il dressent aussi les limites inhérentes au système électoral luxembourgeois basé sur la notoriété des candidats.

Dans ce système, les étrangers, malgré le fait qu’en 2005, ils furent en moyenne plus diplômés que leurs concurrents nationaux, ne disposent ni des mêmes ressources sociales ou politiques, ni du même « capital symbolique »– membres actifs d’associations locales ou de commissions communales autres que celles des étrangers, par exemple. « Ne sommes-nous pas en présence d’une forme de ghettoïsation politique ? » s’interroge l’étude, et de continuer : « Peut-être aussi les responsables politiques locaux sont-ils peu enthousiastes à partager le pouvoir ? » (page 28).

C’est dans les méthodes à mettre en place pour un meilleur partage politique que les avis des partis divergent : si le CSV a créé, en 2008, une section internationale indépendante – qui, selon l’ancien président du parti François Biltgen, « doit favoriser l’intégration dans le parti et non pas la désintégration, avec l’objectif que la section internationale devienne un moment superflue » (page 38), les autres partis ont plus ou moins abandonné leurs ­groupes « immigration » ou « intégration ». Car, selon Bernard Cassaignau (LSAP), c’était « un milieu qui fonctionne en vase clos, sans enjeu et sans influence » et Amilcar Magalhaes (DP) de reconnaître que « le groupe de travail immigration et intégration ne fonctionne qu’en période électorale locale, afin de recruter des étrangers et mettre en place une stratégie de communication spécifique, mais en dehors des élections communales, ce groupe fonctionne peu » (page 41). D’ailleurs, on a l’impression qu’en règle générale, beaucoup des actions entreprises en direction des non-Luxembourgeois sont avant tout des actions en communication, visant à afficher une certaine ouverture d’esprit et l’internationalisme du mouvement. Car, note l’étude, il y a aussi un esprit de concurrence dans le partage du pouvoir, « parce que le champ politique, c’est aussi la possibilité d’une carrière au sens professionnel du terme, où les places sont chères et rares, et donc on se les réserve » (page 149).

Ce n’est pas un hasard non plus que les partis rejettent quasi unanimement l’idée de l’introduction de quotas d’étrangers sur les listes électorales, avec « des prises de position semblables » de tous les partis. Si le rejet clair de cette idée de la part de l’ADR ou du DP, systématiquement opposés à tous les quotas, ne surprend pas vraiment, et que le LSAP se montre « sceptique » – il n’avait pas non-plus réussi à intégrer des quotas fixes de femmes sur ses listes – c’est la réponse négative catégorique du CSV, qui a pourtant instauré des quotas de candidates en 2002, qui étonne. François Biltgen estime en effet que « si on doit chaque fois trouver un candidat étranger alibi, cela n’apporte rien à l’intégration ». Seuls les Verts trouvent l’idée « intéressante », tout en croyant que « le moment n’est pas mûr » (Carlo de Toffoli, page 49).

Du côté des électeurs, beaucoup d’efforts ont été entrepris depuis le premier scrutin qui leur fut accessibles, les européennes de 1994 : depuis lors, leur nombre a presque triplé, de 6 907 à 17 759 électeurs en 2009. Pour les communales, les inscriptions sont même passées de 13 835 inscrits en 1999 à 23 957 en 2005, soit quinze pour cent de l’électorat. Les partis espèrent qu’une plus grande sensibilisation de la population étrangère à participer à la vie politique luxembourgeoise, de préférence par des campagnes de communication financées par la main publique, augmentera la base électorale non-Luxembourgeoise et donc aussi la motivation des sections locales à présenter des candidats étrangers sur leurs listes. L’expé-rience de la campagne pour l’inscription aux européennes a prouvé que c’est la multiplication des relais à tous les niveaux qui apporte le meilleur résultat. Contrai­rement aux Luxem­bourgeois, inscrits d’office sur les listes électorales, les étrangers doivent faire un acte volontariste. Leur degré de politisation n’est souvent pas assez élevé pour qu’ils se déplacent ; aux associations d’étrangers alors d’expliquer les enjeux.

Contrairement au discours idéaliste d’un modèle de société multiculturaliste que mènent tous les partis, ils semblent, en pratique, tous craindre une fragmentation de leur électorat, des communautarismes et une certaine ghettoïsation. C’est sur ces points que le Sesopi-CI est le plus désenchanté, car il doit constater que les partis disent viser aujourd’hui une meilleure « intégration » de tous dans une société unie2 – ce qui n’est en fait que le miroir logique d’actions comme l’introduction de la double nationalité, la valorisation du luxembourgeois comme langue nationale ou l’idéal professionnel du fonction-naire public. L’uni­formi­sation en réponse à la fragmentation, le stream-lining au lieu de la diversité.

1 Sylvain Besch, Nénad Dubajic et Michel Legrand : Les partis politiques et les étrangers au Luxembourg – La présence des étrangers dans les partis politiques et leurs positions sur les politiques d’immigration et d’intégration ; Cahier Red (Recherche, ét
josée hansen
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