Exposition

D’ombre et de lumière

d'Lëtzebuerger Land du 09.06.2017

L’œuvre tourmenté de Caravage (1571-1610) est aujourd’hui bien connu. Mais qui se souvient de Valentin de Boulogne (1591-1632), l’un des principaux représentants de la maniera caravaggesca ? La dernière occasion d’admirer ses tableaux remontait aux années 1973-1974 ; ce fut à Paris et à Rome. Pour pallier cet oubli et encourager l’intérêt croissant que le public porte à l’héritage du maître italien, le Musée du Louvre et le Metropolitan Museum of Art de New-York ont eu l’heureuse idée de consacrer au peintre français une manifestation d’envergure. Plus de la moitié de son œuvre – un ensemble réunissant une trentaine de tableaux de tout format – a pu ainsi transiter de part et d’autre de l’Atlantique, aux États-Unis tout d’abord, puis à Paris où le Louvre vient de célébrer un XVIIe siècle européen. Ainsi, dans le hall Napoléon, le visiteur pouvait contempler la monographie Valentin de Boulogne. Réinventer Caravage et la fameuse exposition Vermeer et les maîtres de la peinture de genre.

Valentin de Boulogne naît le 3 janvier 1591 dans la ville de Coulommiers, près de Paris. On ne sait quasiment rien de sa formation artistique en France, hormis cet indice : son père était peintre-verrier. Sans doute est-ce l’ambition qui poussa le jeune homme à rejoindre Rome, siège de la chrétienté et capitale des États-Pontificaux. Parce que la cité papale constitue la plus importante fabrique de tableaux d’autels au monde, elle attire des artistes de tous pays, partis de Flandre ou de Lorraine pour trouver grâce auprès de ses illustres commanditaires. La présence du peintre à Rome est pour la première fois attestée en 1614. Il est cité pour un litige l’opposant à un compatriote, le Français Nicolas Noël. Valentin, comme le Caravage avant lui, s’est distingué par de mauvaises mœurs. On leur connaît d’ailleurs ni épouse, ni enfants, à une époque, il est vrai, qui était peu favorable au ménage conjugal. La vogue cultivait plutôt des plaisirs solitaires, ceux auxquels s’adonneront dans les tavernes les natures mélancoliques – consommation de tabac et d’alcool, musique et jeux de hasard. Bohémiennes et courtisanes s’y retrouvent, en quête d’argent et d’aventures.

Alors que l’idéalisation prévalait dans la tradition picturale, un art émerge à partir de la vie quotidienne. Valentin puise dans les tavernes ses sujets profanes – le concert, la diseuse de bonne aventure enjouée, le jeune homme plumé par les tricheurs aguerris –, dont le Caravage fut l’instigateur dès les années 1590. Ces saynètes, depuis, sont des lieux communs de la peinture de genre. Tout au long de sa carrière, Valentin restera fidèle au parti pris naturaliste : ni embellir, ni enlaidir la réalité, mais représenter les choses telles qu’elles sont. Comme le dira lui-même Caravage, il faut peindre en « honnête homme [...] qui imite bien les choses de la nature ». Ni plus, ni moins. Ainsi naît la pittura dal naturale, dont les modèles sont le plus souvent recrutés parmi la plèbe romaine.

Le peintre français ne s’est pas contenté de suivre l’esthétique du Caravage. Il lui a apporté vigueur, tantôt en empruntant à la tradition vénitienne de délicats coloris, tantôt en libérant les figures de la fixité presque théâtrale dans laquelle le maître italien les tenait. La peinture de Valentin cherche à étonner et à émouvoir, à l’image de ce repas grave où l’on découvre un adolescent dormir auprès du Christ (La Cène, 1625-1626). Ailleurs, des personnages enclins à la mélancolie nous font face. On distingue un David aux traits androgynes (David avec la tête de Goliath, 1615-1616), une Suzanne lavée du soupçon d’impudeur (L’Innocence de Suzanne reconnue, 1621-1622), et des enfants songeurs ceints par un concert d’adultes (Concert au bas-relief, 1624-1626). Prenant appui sur de puissantes diagonales, les compositions dynamiques du Français se montrent également audacieuses. Le Couronnement d’épines (1613-1614) révèle très tôt un art consommé du raccourci, tandis que deux versions du Christ chassant les marchands du Temple produisent par leur asymétrie une forte impression de mouvement.

À partir de 1627, jusqu’à sa mort prématurée en 1632, les commandes prestigieuses se multiplient. Le peintre français est désormais chargé de portraiturer le cardinal Francesco Barberini, neveu du pape Urbain VIII, ainsi que certains membres de son entourage, comme le cardinal Filomarino et le bouffon du pape, Raffaello Menicucci. Il reçoit en 1629 la commande d’un grand retable destiné à la basilique Saint-Pierre du Vatican (Martyre de saint Procès et saint Martinien, 1629-1630). Cet événement vient couronner la carrière de Valentin, avant que la fièvre ne l’emporte trois ans plus tard, au même âge que le Caravage. Ses funérailles sont célébrées à l’église Santa Maria del Popolo, où reposent, aujourd’hui encore, deux œuvres du peintre italien : une Conversion de saint Paul (1600-1601) et le Crucifiement de saint Pierre (1600-1601).

L’œuvre de Vermeer offrait donc un parfait champ-contrechamp à Valentin. À l’empire des ombres répondaient les tableaux lumineux des hollandais (Gerard Ter Borch, Pieter de Hooch, Gabriel Metsu). Les tavernes où l’on ripaille font place à des intérieurs bien tenus qui reflètent la santé et la prospérité de la bourgeoisie hollandaise. Les pratiques domestiques ont remplacé la chimorancie des Bohémiennes. Les femmes, concentrées chez Vermeer sur leurs tâches ménagères, contrastent avec les loisirs malfamés auxquels se livrent les courtisanes romaines. Ici, les allées dégagées du parcours permettaient de regarder les tableaux de Valentin. Là-bas, les vaches s’amassaient pour entrevoir un bout de La Laitière (1658-1659).

Dans le cadre du cycle dédié à la peinture hollandaise du XVIIe siècle, l’exposition Dessiner le quotidien. La Hollande au siècle d’or se tient jusqu’au 12 juin 2017 au Musée du Louvre à Paris ; www.louvre.fr
Loïc Millot
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