Landsbanki

Piège azuréen

d'Lëtzebuerger Land du 23.04.2009

Les courtiers de la Landsbanki écumaient les plages huppées de la Côte d’Azur pour proposer à sa population de retraités des prêts à des conditions peu ordinaires. Le chanteur populaire Enrico Macias n’a pas raccroché ses micros malgré ses 70 ans passés. Il est quand même l’une des cinquante victimes françaises de la filiale luxembourgeoise de la banque islandaise, en crise de liquidités depuis l’automne 2008. L’artiste est déterminé à se battre pour ne pas perdre sa villa de Saint Tropez, valorisée à 35 millions d’euros pour les experts de Landsbanki Luxembourg, que les liquidateurs de la banque faillie menacent de saisie. C’est surtout une affaire de principe. Pour d’autres clients, c’est une question de survie.

Comme lui, une cinquantaine de résidents de la Côte d’Azur ont été victimes de la crise des banques islandaises. Il seraient 150 personnes à Marbella en Espagne où les courtiers de la banque ont également sévi.

Lundi, Enrico Macias, Gaston Ghrenassia de son vrai nom, n’a pas eu le procès qu’il espérait, dans le cadre d’une citation directe pour abus de confiance contre les ex-dirigeants de Landsbanki Luxembourg et le gestionnaire de son compte. 

Les anciens responsables n’ont plus d’avocat, après que leur précédent mandataire ait jeté l’éponge, sans d’ailleurs en donner le motif. L’avocat du chanteur va devoir procéder à une nouvelle citation de l’affaire, qui repartira ainsi à zéro. Contre des liquidités et un contrat d’assurance (commercialisé par Lex Life, la filiale de Landsbanki Luxembourg) investi dans un portefeuille d’obligations pourries, Enrico Macias a hypothéqué sa villa de 35 millions d’euros en faveur de Landsbanki Luxembourg. L’argent lui a servi, a-t-il confié à un journal people français, à rénover cette luxueuse maison. Le montage financier proposé par le banquier prévoyait un prêt, dont les intérêts devaient en principe être couverts par le rendement du portefeuille obligataire souscrit dans le même temps. Le « loyer » de ce portefeuille n’a même pas suffi à couvrir les intérêts du prêt. Les montants débloqués par Landsbanki correspondaient à 80, voire même 90 pour cent de la valeur du bien hypothéqué. Une formule qui avait de quoi séduire des clients généralement âgés, auxquels les banquiers traditionnels hésitaient à prêter de l’argent. Chez les Islandais, tout était tellement plus simple. 

Sauf que le portefeuille était constitué en majeure partie d’obligations de Landsbanki et de Kaupthing, deux banques islandaises qui ont fait naufrage. Les avocats du chanteur reprochent aux dirigeants d’avoir trompé la confiance de leur client, sachant qu’à l’été 2008, les obligations de banques islandaises ne valaient presque plus rien. Du point de vue juridique et prudentiel, on peut aussi se demander comment les autorités de contrôle luxembourgeoises ont pu laisser passer de tels produits obligataires dans des contrats d’assurance vie. 

Les victimes françaises, regroupées dans une association, ont d’abord déposé une plainte au tribunal d’instance de Grasse. Landsbanki disposait d’une agence à Cannes, aujourd’hui fermée. Certains ont entamé des poursuites au Luxembourg dans le but de se protéger contre les démarches des liquidateurs de la banque luxembourgeoise, lesquels menacent de réaliser l’hypothèque si les mensualités des prêts ne sont pas honorées. Le chanteur, qui se décrit lui-même dans une de ses chansons comme un « mendiant de l’amour », devrait mettre tout son poids et toute son influence dans la balance pour essayer d’infléchir les liquidateurs. Pour que les victimes de Landsbanki ne se retrouvent pas des mendiants tout court. 

On comprend en tout cas mieux pourquoi la banque, placée en sursis de paiement en octobre 2008, a fait faillite au mois de décembre, faute d’un repreneur sérieux. Quel investisseur aurait parié sur une banque qui a autant de cadavres dans ses placards ? 

 

Véronique Poujol
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