Affaires familiales

Vers une juridiction familiale

d'Lëtzebuerger Land vom 05.03.2009

C’est une petite révolution qui se prépare dans les coulisses de la cité judiciaire. D’abord, la justice semble avoir enfin désigné un porte-parole chargé de la communication vers l’extérieur – Henri Eippers, journaliste auprès de RTL Radio Lëtzebuerg. Ensuite, les chefs de corps des tribunaux d’arrondissement, des Parquets de Luxembourg et de Diekirch, des Justices de paix, du tribunal de la Jeunesse et des tutelles et le procureur général d’État ont émis des avis sur le projet de loi relatif à la responsabilité parentale, dans lesquels ils proposent une réorganisation judiciaire et l’introduction d’une nouvelle fonction : le juge aux affaires familiales – à l’instar du JAF en France. Car le Luxembourg connaît la même évolution et la législation française a fortement inspiré ce projet de loi-ci.

Le procureur général d’État Jean-Pierre Klopp insiste même sur cette réorganisation, car le texte ne prévoit qu’une extension des attributions du juge des tutelles. Celui-ci aurait à s’occuper de questions qui sont réglées entre autres par le juge de paix – pour les litiges de pensions alimentaires par exemple – et par le juge de la jeunesse. « Des questions de principe sont soulevées touchant non seulement la compétence et la procédure devant le juge des tutelles, écrit-il, mais encore et surtout le problème d’une réorganisation judiciaire à laquelle il est impératif de procéder dans le projet de loi sous examen sous peine d’être acculé à une impossibilité d’appliquer les dispositions du projet en raison d’un nombre nettement insuffisant de magistrats pour régler le nouveau contentieux de la compétence du juge des tutelles et des mineurs. »

Il faudrait donc des magistrats spécialisés en matière de droit familial pour pouvoir notamment tenir compte non seulement de la situation juridique d’une affaire, mais aussi des spécificités psychologiques ou sociales qui touchent les situations dans lesquelles se retrouvent les familles. Le procureur général d’État propose ainsi l’introduction « d’un juge aux affaires familiales, qui figurerait parmi les juges de l’actuel tribunal de la jeunesse et des tutelles (…) et serait à intitulé dorénavant de tribunal de la jeunesse, aux affaires familiales et des tutelles. »

Ce nouveau juge s’occuperait de questions relatives à l’autorité parentale (plusieurs chefs de corps ont été d’avis qu’il fallait maintenir le terme « autorité » dans la loi, plutôt que de changer vers « responsabilité » parentale), de mariage, de divorce, des questions de nom et d’obligations alimentaires. Bref, tout ce qui touche en substance à la gestion de « l’après-séparation ». Cela implique aussi l’harmonisation de toutes les réglementations des affaires familiales et donc aussi les projets de loi concernant le divorce et celui relatif à la responsabilité parentale. Or, après avoir macéré pendant des années dans le jus des procédures législatives, ces deux textes sont au­jourd’hui dans la dernière ligne droite et certains députés ne seront sans doute pas très enthousiasmés à l’idée de les remettre en veille pour analyser l’opportunité de procéder à la réorganisation judiciaire préconisée. 

Cependant, le législateur devra prendre les précautions nécessaires pour éviter une multiplication des instances judiciaires en transférant des compétences des justices de paix aux juges de tutelles, écrit aussi le juge de paix du tribunal de Diekirch, Paul Geisen. Notamment en matière de contentieux alimentaires, qui, en pratique, « ont tendance à devenir un contentieux accessoire de celui des saisies-arrêts sur salaires et rémunérations. (…) Ainsi, le transfert de compétence envisagé aurait pour double effet de multiplier les instances judiciaires et de prolonger indûment des situations dramatiques. » La création d’une juridiction aux affaires familiales comme en France deviendrait donc inévitable. Avec la nécessité de renforcer les effectifs. 

Sur le fond, les chefs de corps des juridictions se déclarent d’accord avec le principe de l’autorité parentale conjointe, prévue par le projet de loi. Or, sur certains détails, il faudrait renforcer davantage les garanties pour les enfants concernés. Les auteurs du projet de loi ont par exemple oublié de prévoir qu’un enfant ne doit en principe pas être séparé de ses frères et sœurs ou qu’il doit recevoir la possibilité d’accèder lui-même à la justice – surtout en cas de désaccord avec ses parents – via le ministère public. Le juge aux affaires familiales pourrait ensuite désigner un administrateur ad hoc qui défendrait la cause du mineur, propose le procureur général d’État dans son avis. Il insiste aussi sur la nécessité d’une formation spécifique pour les médiateurs agréés qui seraient désignés par le juge aux affaires familiales. 

Un autre point concerne la possibilité de demander une contre-expertise sociale. Cette nouvelle a provoqué de vives critiques auprès des instances judiciaires, notamment parce que le Luxembourg ne connaît qu’un seul service qui fournit ces données aux juges, le Service central d’assistance sociale (SCAS). Il faudrait donc prévoir l’introduction de nouveaux enquêteurs sociaux agréés qui puissent effectuer de telles recherches et éviter que le même service ne soit chargé de l’enquête et de la contre-enquête. Or, Jean-Pierre Klopp craint « qu’en cas de contre-enquête, l’enquêteur social en charge cherchera surtout à relever les points présupposés faibles et sujets à critique de l’enquête principale, ce qui (…) engendrera de la frustration chez le SCAS. » Ses collègues proposent aussi de laisser tomber la contre-expertise, croyant sans doute à l’infaillibilité du SCAS. L’intérêt de l’enfant encore a du mal à trouver sa niche. 

anne heniqui
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