Circonscription Centre

L’aliénation

d'Lëtzebuerger Land vom 11.06.2009

Une débâcle. La circonscription Centre, souvent considérée comme le fief libéral – à tort, parce qu’avant 1999, il était dominé par le CSV – a constitué la pire défaite du DP aux élections législatives de dimanche. Alors que, en début de soirée, le parti devait encore craindre de perdre son deuxième siège au Nord, finalement récupéré de justesse, c’est donc au Centre qu’il a perdu un siège, chutant à quatre mandats sur les 21 de la circonscription, contre sept en 1999. 

Certes, en nombre des voix, le DP reste la deuxième force politique du Centre, avec 19,44 pour cent. Mais il a encore perdu presque deux points par rapport à 2004 et presque onze par rapport à son apothéose, en 1999, qui lui avait valu d’entrer au gouvernement. Les quatre élus, ce sont trois dinosaures : les anciens ministres et actuelles échevines Anne Brasseur, députée sortante, et Lydie Polfer, députée europé­enne et ancienne maire de la capitale, ainsi que son successeur au Knuedler, le député-maire Paul Helminger. Si ce dernier améliore beaucoup son score par rapport à 2004 (plus 40 pour cent), son opposante interne aux élections communales de 2005, la jadis si populaire Lydie Polfer, perd presque 42 pour cent de ses voix. Bien que classée avant Lydie Polfer (16 400 voix), Anne Brasseur souffre aussi, avec moins quatorze pour cent, à 16 690 voix.

Ceux qui, dans le parti, reprochent à la nouvelle équipe autour du président Claude Meisch et de son secrétaire général Georges Gudenburg (en très mauvaise posture à la sortie des urnes, seulement seizième sur la liste DP, avec 6 683 voix) d’avoir opté pour la mauvaise stratégie en misant sur le renouveau, devraient donc revoir leur jugement, car même ces monstres sacrés du parti n’ont pas réussi à sauver le Centre. La grande surprise y est le score impressionnant de Xavier Bettel, échevin social de la capitale, qui réunit 19 669 voix (plus 62 pour cent !), se classant dans le peloton de tête des élus du Centre, en septième position, derrière les ministres sortants de la coalition et les députés CSV les mieux élus (Laurent Mosar, Lucien Thiel). 

Xavier Bettel est entré au parlement le 12 août 1999, le même jour que Claude Meisch, une fois le gouvernement CSV-DP entré en fonction. Il avait alors 26 ans et était de deux ans le cadet de l’actuel président du parti. Plus haut en couleurs que son collègue du Sud, Xavier Bettel est allé chercher ses voix avec ses dents, il pratique une politique de la proximité à tout va, se montre partout, console la veuve et l’orphelin, a presque 5 000 amis sur Facebook et son propre site Internet. Il est encore difficile à dire si c’est cet engagement dans la proximité ou plutôt son acharnement à interpeller le ministre de la Justice Luc Frieden (CSV) sur tout ce qui concerne la sécurité, les libertés individuelles, la politique pénitentiaire et la justice, qui lui a valu autant de sympathies personnelles. Car politiquement, on a du mal à définir la ligne de cet avocat qui assume publiquement son homosexualité, tout en incarnant l’image du gendre idéal dans beaucoup de foyers. Après avoir été forcé par son parti, qui craint qu’il soit incontrôlable, à rester en deuxième ligne jusqu’à présent, il revendique désormais d’être considéré pour un mandat interne au parti. Il pourrait devenir le prochain président du groupe parlementaire.

Si les résultats des élections de dimanche ont été très longs à calculer, et ce dans toutes les circonscriptions, parce que les électeurs ont davantage opté pour le panachage au détriment des suffrages de liste, le Centre en est une belle illustration : sur le million de votes exprimés, un peu plus de la moitié seulement étaient des suffrages de liste. Alors que le DP était le parti de la confiance aveugle des électeurs du Centre, avec la majorité des suffrages de liste en 1999 (175 539), ce phénomène a chuté une première fois de façon significative en 2004 (94 269) et a perdu encore 8 400 voix cette année – comme s’il s’était aliéné sa base. La régression du DP au Centre a d’autant plus surpris le parti que les élections communales de 2005, avec ses 36 pour cent des suffrages et onze mandats communaux, lui avaient redonné espoir, un an après la défaite cinglante aux législatives.

À la lecture des suffrages de liste, tout indique qu’un seul parti endosse désormais la confiance des électeurs de cette circonscription qui avait voté à près de soixante pour cent pour la Constitution européenne en 2005 : le CSV a enregistré une augmentation des suffrages de liste de dix pour cent par rapport à 2004, à 214 557 voix. Les trois points qu’il a gagnés entre deux échéances, à désormais 38,6 pour cent des suffrages, et qui lui ont fait gagner un siège (à neuf mandats), il les doit à ces suffrages de liste, mais aussi aux excellents résultats personnels de Luc Frieden (41 889 voix, premier élu de la circonscription, mais stagnant, avec moins 19 voix), Claude Wiseler (31 649) et Jean-Louis Schiltz (plus 46 pour cent !).

On constate aussi qu’au CSV, ce sont les mandataires sortants représentant une certaine garantie de sérieux (Frie­den, Wiseler) et de compétence dans le domaine des finances (Mosar, Thiel), qui ont noté les progressions les plus nettes. Puis suivent Martine Stein-Mergen, Paul-Henri Meyers et Marcel Oberweis. Parmi les élus directs, seul Mill Majerus, le sexologue et omniprésent conseiller au ministère de la Famille, est nouveau – à 58 ans. En partant de l’hypothèse de trois à quatre ministres CSV au Centre dans le nouveau gouvernement, le maire de Niederanven et très bref député Ray­mond Weydert reviendrait au parlement, alors que Fabienne Gaul a fait un trop mauvais résultat. Marc Lies, maire, et Diane Adehm, conseillère communale, les prochains sur la liste, viennent tous les deux de l’importante commune de Hesperange, fief CSV ; la quatrième suppléante pourrait être la karatéka Tessy Scholtes. 

Ce n’est pas dans la capitale que le CSV est le plus fort : à partir de sa position dans l’opposition du conseil communal, il y fait néanmoins son meilleur score depuis 1994, avec 36,94 pour cent des suffrages. Mais ce sont de grandes et riches communes en périphérie directe de la capitale, comme Hesperange (44,35 pour cent), Niederanven (42,85), Contern (40,11) ou Bertrange (39,80), ou alors les petits bourgs ruraux comme Bissen (44,06) où le CSV a le plus progressé. 

À côté du CSV et de l’extrême-gauche – la Gauche et le KPL gagnent presque deux points ensemble, mais restent sans siège –, les autres partis ont tous régressé au Centre. Souvent très peu, consolidant leur poids politique en nombre de mandats : le LSAP (moins un point, à 17,83 pour cent) gardant ses quatre sièges, les Verts (moins 0,44 point, à 13,21) ses deux et l’ADR (moins 1,58 points, à 6,31) son seul siège. Les socialistes restent très faibles dans le Centre, avec le seul ministre de l’Économie, Jeannot Krecké, dans le peloton de tête des élus, en troisième position, améliorant son score personnel de 31 pour cent (à 25 589 voix). Les prochains élus socialistes, la ministre de l’Éducation nationale Mady Delvaux et le président du groupe parlementaire et conseiller communal de Luxem­bourg Ben Fayot, ainsi que le député-maire de Steinsel et éternel président du Syvicol Jempi Klein se retrouvant dans la deuxième moitié des élus. Les députés sortants Marc Angel et Bim Diderich seraient les premiers suppléants à entrer au parlement en cas de participation du LSAP au gouvernement, ce qui semble fort probable. 

Les Verts quant à eux n’ont pas vraiment de raison de se réjouir dans cette circonscription : malgré leur participation à la majorité communale de la capitale depuis 2005, ils ne sortent pas renforcés de ce scrutin, gardant le statu quo et les mêmes trois députés, François Bausch, Viviane Loschetter et Claude Adam. Toutefois, les deux premiers, échevins à Luxembourg-Ville, perdent même des voix, presque 2 000 pour François Bausch. 

L’ADR n’a pas du tout profité de sa campagne pour un « city-tunnel » en tant qu’alternative au projet du tram, campagne qui avait pris les partis de la majorité de court et réussi à lancer un débat autour de la mobilité. Son seul député, Jacques-Yves Henckes, bien que confirmé, endosse néanmoins de fortes pertes de voix, surtout à cause de l’impressionnante baisse des suffrages de liste : moins 13 540 par rapport à 2004 ! 

L’électorat de la circonscription Cen­tre est réputé être le plus libéral, aussi bien sur les questions de société qu’en économie. Au vu des résultats, on pourrait effectivement conclure que les valeurs d’ouverture et de progrès ne sont plus incarnées par un parti, mais que ce sont les plus « libéraux » de chaque parti qui ont gagné. L’action de Luc Frieden et de Jeannot Krecké dans la gestion de la crise est saluée, mais le premier stagne, peut-être pour son approche protectionniste dans le domaine de l’accès à la nationalité, pour ses réflexes sécuritaires en matière de justice ou sa rigidité dans l’interprétation de ce qu’il appelle « ordre public », surtout dans les questions de société. Claude Wiseler incarne la gestion en bon père de famille des deniers publics et a peut-être aussi profité de sa gestion de la Fonction publique, la principale population électorale au grand-duché, dont les enseignants du primaire, qui se sont vus attribuer une augmentation des salaires conséquente quelques mois avant les élections. 

Jean-Louis Schiltz et Laurent Mosar sont parmi les plus libéraux du CSV en matière de politique économique, Lucien Thiel a profité de la notoriété que lui a apportée la présidence de la commission spéciale « crise économique et financière ». Le DP par contre n’a pas vraiment de grand spécialiste en politique économique au Centre – à l’exception de Paul Helminger, qui améliore son score – et a visiblement désormais l’image d’un parti sclérosé sur les questions de société. Et les thèmes liés à l’écologie semblent effectivement loin d’être prioritaires en temps de crise, d’où la stagnation des Verts. 

josée hansen
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