Quelle place pour la divulgation volontaire des entreprises dans le choix de la source de dettes ?

Attirer des fonds externes

d'Lëtzebuerger Land vom 18.01.2019

Depuis la promulgation de la Directive européenne 2004/109/CE sur l’harmonisation des obligations de transparence des entreprises cotées, les organismes régulateurs du marché, tels que la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) au Luxembourg, ont mis beaucoup de poids pour garantir la communication de plus amples informations, financières et non financières, dans les rapports annuels des entreprises. Bien que non exigées par la législation ou la réglementation en vigueur, plusieurs types d’informations sont communiqués par les entreprises de manière volontaire.

Cette « divulgation volontaire » est particulièrement utile aux fournisseurs de crédits qui ont besoin d’un maximum d’informations sur leurs clients afin d’en évaluer la solvabilité et d’estimer convenablement le coût des crédits. Il est cependant primordial de savoir si le niveau de divulgation volontaire est déterminant pour la firme dans le choix entre banques ou marché obligataire comme principale source de dettes.

Pourquoi la divulgation volontaire ?

La divulgation volontaire joue un rôle important dans l’attraction de fonds externes qui sont indispensables pour la survie et la croissance de l’entreprise. En effet, le profil de crédit de la firme se dessine plus nettement à travers de plus amples informations concernant ses activités et opérations. Une divulgation volontaire étendue permettrait également de limiter la latitude discrétionnaire des managers qui seraient plutôt réticents à diffuser les informations privées en leur possession afin de pouvoir les capitaliser sous forme d’actifs spécifiques rendant leur remplacement délicat et coûteux. Dans cette perspective, la divulgation volontaire constitue un pilier essentiel du système de gouvernement d’entreprise qui contribuerait à réduire les problèmes d’asymétrie informationnelle et permettrait, ainsi, au marché financier d’exercer une surveillance efficace et peu onéreuses de la gestion de la firme.

Banques ou marché obligataire ?

La théorie du monopole bancaire suggère que les nouveaux emprunteurs, faute d’être suffisamment connus sur le marché obligataire, sont contraints à recourir aux banques pour se financer. Cette barrière à l’accès au financement obligataire tient essentiellement à la pénurie d’informations sur les firmes rendant la détermination de leur profil de crédit difficile et coûteuse. En effet, la divulgation délibérée par les entreprises représente l’essentiel des informations que le marché obligataire peut recueillir sur les emprunteurs potentiels. À défaut d’autres sources d’informations privées, les emprunteurs obligataires auront tendance à se fier fortement aux informations divulguées de manière volontaire, ce qui inciterait les firmes à instaurer une bonne politique de divulgation volontaire si elles souhaitent emprunter auprès du public.

Ces arguments convergent avec la théorie de la réputation stipulant que les firmes jouissant d’une meilleure réputation sur le marché, dont les firmes qui s’investissent dans la transparence, seraient plus aptes à se financer par dette obligataire et feraient, par suite, moins appel aux banques. Dans cette logique, des recherches ont montré que le recours à la dette obligataire est plus accru chez les firmes de plus grande taille et les firmes les plus anciennes sur le marché. Ces firmes semblent, en effet, avoir plus d’occasions de se forger une réputation sur le marché leur permettant de bénéficier d’obligations assorties de taux d’intérêt plus bas, car une prime de risque moindre est à payer.

À l’inverse, si la divulgation volontaire est restreinte, les entreprises auraient peu de chance à être acceptées sur le marché obligataire et s’orienteraient, par conséquent, davantage vers les banques. Le plus souvent, les firmes préfèrent rester discrètes et solliciter un financement privé plutôt que de supporter le coût potentiellement élevé de production d’informations privées nécessaires pour mettre le marché obligataire en confiance. D’ailleurs, ce coût n’est pas seulement d’ordre financier mais il est également d’ordre « stratégique » étant donné que les concurrents peuvent profiter des informations spécifiques et sensibles, diffusées par la firme pour prendre les devants1.

Les banques, elles, sont enclines à tirer profit de ce risque d’aléa moral2 pour imposer, dans les contrats de crédit, des clauses restrictives de la liberté d’action des firmes, et dont la violation entrainerait l’imposition de conditions plus contraignantes3. Ces clauses donnent l’occasion aux banques d’avoir un accès privilégié à diverses informations sur la firme. Par exemple, même si les informations liées aux projets d’investissement sont généralement confidentielles, les banques se voient accorder le droit à y accéder afin d’étudier l’opportunité de financer les projets proposés. À cet égard, les banques peuvent se passer de la divulgation volontaire des entreprises tout en gardant la capacité d’y exercer une surveillance plus étroite et plus efficace. Ce rôle de surveillance tient vraisemblablement au fait que l’activité d’octroi de crédits est au cœur du métier des banques. Ces dernières, contrairement aux obligataires, sont en mesure de se prévaloir de leurs expertises et économies d’échelle dans l’évaluation des entreprises et l’analyse de leurs données pour renforcer ce rôle de surveillance. Il est par suite attendu que le recours des firmes à la dette bancaire soit stimulé par leur faible niveau de divulgation volontaire.

Système financier basé sur les banques

Le système financier de la très grande majorité des pays d’Europe continentale, à l’instar du Luxembourg et de la France, est basé sur les banques. L’étude de l’association entre divulgation volontaire et choix de la source de dettes porte sur les firmes françaises non financières cotées à la bourse de Paris durant la période 2007-2013. Sur cette période, la dette bancaire, qui est la somme des crédits à terme et des crédits renouvelables, représente en moyenne
62 pour cent de l’emprunt total.

Le contexte de l’étude est également caractérisé par des firmes qui sont souvent contrôlées par des actionnaires dominants dotés d’un pouvoir d’influence considérable sur les politiques de la firme, y compris les politiques financière et de divulgation. Un tel contexte est en mesure d’accentuer les problèmes d’asymétrie informationnelle avec le marché et d’augmenter, en conséquence, le recours à la dette bancaire.

L’étude montre que les firmes ont plus recours aux banques pour se financer lorsqu’elles affichent un niveau moins élevé de divulgation volontaire. La divulgation volontaire est mesurée par des scores obtenus à partir de 72 éléments relevés des rapports annuels et dont la divulgation n’est pas exigée par les réglementations en vigueur en France.

Il s’agit notamment : (i) d’informations d’ordre général telles que le profil de la société, ses principales activités et marchés et sa structure du capital ; (ii) d’informations sur le système de gouvernance d’entreprise telles que les caractéristiques du conseil d’administration, du comité d’audit et du comité de rémunération ; et (iii) d’informations financières comme les données boursières ainsi que les données historiques et prévisionnelles. Le résultat obtenu suggère que le manque de transparence des firmes stimule ces dernières à se financer en privé plutôt que sur le marché obligataire.

Ceci confirme la thèse selon laquelle les banques sont sollicitées davantage par les firmes les moins aptes à la divulgation volontaire vu que la dette bancaire représente en soi un outil informationnel pertinent permettant aux banques de surveiller en permanence la situation financière de leurs clients. Cette étude souligne l’effet de substitution entre la divulgation volontaire des entreprises et leur recours à la dette bancaire et fournit une preuve supplémentaire quant à l’importance de l’environnement informationnel des firmes dans leurs politiques de financement.

Quelles implications pratiques ?

Les implications de cette étude pour les différents protagonistes en France sont également pertinentes pour le contexte luxembourgeois vu les similarités du système financier et de l’environnement informationnel des firmes dans les deux pays. À la lumière des résultats obtenus, les managers peuvent être appelés à contrebalancer l’environnement informationnel peu riche des firmes qu’ils gèrent par un recours plus accru à la dette bancaire afin de rassurer le marché sur les perspectives de la firme. Les chercheurs sont à même de mieux cerner les déterminants de la structure de la dette des firmes en mettant en évidence l’importance du rôle de surveillance exercé par les banques. Les régulateurs, eux, peuvent être moins incités à s’investir dans la divulgation volontaire des entreprises qui opèrent dans les environnements où le système financier est basé sur les banques. En effet, si le marché exige une plus grande transparence des firmes en guise de garantie de sa mise, les banques, elles, peuvent se fier davantage à leur aptitude à accéder aux informations privées de leurs clients pour les suivre de plus près.

Imen Derouiche est chercheure en formation post-doctorale à l’Université du Luxembourg, Centre for research in economics and management

1 Ce dernier coût est connu dans la littérature de la recherche en comptabilité sous le terme « coût de propriété » et correspond à la réduction des cash flows de la firme suite à une fuite d’une grande partie de ses informations stratégiques au profit de la concurrence.

2 L’aléa moral est la situation dans laquelle les emprunteurs profitent de l’asymétrie informationnelle avec le marché financier pour camoufler une situation financière difficile afin de ne pas être soumis à des conditions très contraignantes de la part des prêteurs. 

3 Cette clause porte, par exemple, sur le niveau de risque maximum que l’emprunteur pourrait supporter au niveau de son portefeuille d’investissements.

Imen Derouiche
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