Luc Frieden appelle à unir les forces

À l‘unisson sous le ciel de Paris

d'Lëtzebuerger Land du 10.12.2009

Parler d’égal à égal, sans complexe, si possible d’une seule voix avec Paris et surtout pas de secret bancaire. Comme au jeu du ni oui ni non, l’expression n’a pas été employée une seule fois, du moins du côté luxembourgeois, par les intervenants du colloque parisien consacré à l’avenir des places financières européennes dans l’après G20 et organisé à l’initiative de LuxembourgforFinance (LFF), l’agence luxembourgeoise de promotion du secteur financier, avec le concours de Paris Europlace.

Sur quelle aiguille le baromètre des relations entre Paris et Luxembourg se situe-t-il ? Tempête, maussade ou beau fixe ? La question a été posée par un journaliste français à Luc Frieden, en marge du colloque financier sur l’après G20. « Beau fixe » a dit sans hésiter et en direct le ministre CSV des Finances, évoquant l’excellence de ses relations avec son homologue Christine Lagarde et leur proximité de vision. Le ministre luxembourgeois n’a pourtant pas fait de crochet par Bercy lors de son passage cette semaine à Paris, après qu’un rendez-vous avec Christine Lagarde ait été annulé au dernier moment le mois dernier, quelques jours avant le conseil des ministres européens de l’Économie et des Finances où furent refusées d’un trait de plume les propositions d’aménagement de la directive sur la fiscalité de l’épargne des non-résidents, formulées par le Luxembourg et l’Autriche, les deux derniers dinosaures du secret bancaire dans l’UE. Les 27 ont en revanche pu trouver un accord le 2 décembre à Bruxelles sur l’harmonisation de la régulation financière en Europe et la mise en place de trois autorités de régulation financière dans l’Union, pour chapeauter les régulateurs nationaux et éviter la reproduction de crise ­financière de l’envergure de celle qui s’est abattue sur le monde et l’Europe à l’automne 2008.

Sur le terrain du G20, le forum économique des vingt pays les plus riches de la planète, et sur celui de la régulation financière européenne, les autorités luxembourgeoises entendent faire la démonstration de leurs bonnes dispositions à en accepter les règles, toutes les règles, à condition toutefois de ne pas en faire trop ni d’aller trop vite en besogne. Au risque sinon d’étouffer le développement de certaines places financières au profit des centres de New York et de Londres. Là encore, Luc Frieden et Christine Lagarde sont sur la même longueur d’onde. Ce qu’a affirmé mardi, lors du colloque LFF, l’un des représentants de la ministre français de l’Économie.

Paris et Luxembourg ont aussi en commun le fait que ni l’un ni l’autre ne pourront transposer dans les délais qu’ils s’étaient initialement imposés (Land 4.12.09), l’avenant à la convention fiscale sur l’échange d’informations sur demande en matière fiscale. Le ministre luxembourgeois des Finances a toutefois promis que l’accord entrerait en vigueur au premier trimestre 2010, ce qui laisse supposer qu’il parviendra à lever en très peu de temps les réticences en interne du Conseil d’État et les réserves des magistrats des juridictions administratives qui se posent beaucoup de questions sur l’organisation et la « soutenabilité » de leur travail une fois qu’ils auront à trancher les recours contre des demandes d’informations fiscales.

Luxembourg, c’était assez clair mardi, cherche la solidarité de son grand voisin contre les dangers de l’hégémonie anglo-saxonne qui pourrait, à terme, marginaliser des places financières de moindre envergure, en raison de leur sur-régulation. « Je ne voudrais pas voir New-York et Lon-dres dominer la finance mondiale » a déclaré le ministre CSV en appelant la France et le Luxembourg à unir leurs forces et réclamant les conditions d’une concurrence équitable entre les places financières avec les mêmes règles du jeu appliquées à tout le monde, à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE.

Mais le pouvoir luxembourgeois ne veut pas non plus glorifier à l’excès les supposés mérites de la France, qui aurait ainsi imposé à l’Europe et fait triompher son modèle de régulation financière à l’Écofin du 2 décembre : Il n’y a pas, a souligné Luc Frieden, de « modèle français » de la régulation, sinon le même qui prévaut aussi au grand-duché, mais « un modèle européen, où l’État trace le cadre de l’activité économique », en opposition avec « un modèle américain qui laisse faire plus le marché ».

C’était le message politique que Luc Frieden a martelé tant lors du colloque que dans la série d’interviews qu’il a accordée aux médias français. Le Luxembourg est cinq sur cinq sur la ligne du G20 (à condition toutefois que les discussions soient reprises en main par le FMI et que l’Eurogroupe y ait son mot à dire), applaudit les initiatives de l’UE pour renforcer la régulation financière afin de mieux prévenir les crises financières et ne s’oppose pas à l’élargissement du champ d’application de la directive sur la fiscalité de l’épargne, notamment aux produits d’assurance. Il n’est pas question pour autant de renoncer à un modèle économique qui s’appuie sur le secteur financier, même si sa diversification est nécessaire pour assurer sa pérennité. Luc Frieden n’a pas voulu aller, ni dans la presse ni devant son auditoire parisien, sur le terrain des spécificités luxembourgeoises, comme celle du secret bancaire, qu’il n’est pas prêt d’ailleurs d’abandonner à ses détracteurs, comme l’intention lui en fut pourtant prêtée la semaine dernière par un quotidien local. Il est parvenu mardi à esquiver la question et ne parler que de régulation ou presque, de la nécessité de faire appliquer les mêmes règles par tous, y compris hors de l’Union européenne, et des risques qu’il y avait à en faire trop pour la compétitivité de places financières comme Paris ou Luxembourg face aux mastodontes anglo-saxons qui échapperaient aux nouvelles règles financières.

Les visions respectives de Paris et de Luxembourg sur la régulation financière sont-elles aussi dissolubles entre elles que le ministre des Finances l’a laissé entendre, notamment sur la surveillance des chambres de compensation ? L’arrivée prochaine de nouvelles réglementations ne rassure pas en tout cas les opérateurs de la place financière, inquiets que la proxi­mité avec le régulateur luxembourgeois cède la place à des interlocuteurs européens totalement déconnectés des us et cou­tumes locales.

Invité à s’exprimer à Paris, Jean Guill, le directeur général de la Commission de surveillance du secteur financier, a marché sur les pas de Luc Frieden, rappelant à son tour qu’il fallait sans doute réguler davantage, mais ne pas aller trop loin non plus et garder les yeux rivés sur la compétitivité des centres financiers européens par rapport à leurs principaux concurrents hors de l’UE.

Le patron de la régulation financière au Luxembourg juge « essentielle » la discussion au niveau de l’UE sur l’amélioration de la supervision financière, mais il s’interroge sur la « cohérence » entre les règles dictées par le G20 et celles qui vont émerger au sein de l’UE. Il se montre également très réservé sur le rythme de mise en place des nouvelles règles du jeu : « non trop rapide, mais suffisamment pour rétablir la confiance des marchés financiers », a-t-il déclaré.

Dans la salle de l’auditorium du palais Brogniard, où se tenait le colloque, les seules questions du public parisien (des professionnels exclusivement) ont tourné autour du retour de la confiance des investisseurs, mise à mal dans le scandale Madoff, avec des milliers d’épargnants qui se sont faits piéger dans des fonds d’investissements luxembourgeois et pleurent toujours leur argent, un an après la révélation du scandale. Les nouvelles normes de la régulation financière en Europe ne pourront pas garantir à cent pour cent la disparition des escroqueries dans le secteur financier, s’est entendu répondre le public. Peut-être que l’harmonisation en Europe des règles du jeu pour les banques dépositaires de fonds d’investissement donnera un peu d’espoir aux victimes de fraudes de pouvoir récu­pérer plus rapidement leur mise que ce n’est le cas aujourd’hui au Luxem­bourg.

Véronique Poujol
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