Prévoyance-retraite

Erreur de jeunesse

d'Lëtzebuerger Land vom 24.07.2008

Produit d’épargne culte des résidents luxembourgeois et ersatz des défuntes Sicav Rau, les contrats d’assurance de prévoyance-retraite ont connu la semaine dernière l’une de leurs premières contrariétés. L’affaire a été révélée par la newsletter Legitax.lu, qui n’hésite pas à parler de « froid » jeté dans le monde des assureurs luxembourgeois. C’est sans doute un peu exagéré et le litige qui a été tranché par le tribunal administratif rappelle surtout les pièges que dissimulent parfois les produits financiers dits défiscalisés, en même temps qu’il relève l’avarice d’informations dont les établissements financiers et entreprises d’assurance peuvent faire preuve à l’égard de leur clientèle. L’affaire donne aussi à voir le peu de largesse de vue du législateur, qui débouche parfois à des situations grotesques. Le cas de ces contribuables qui ont souscrit des contrats d’assurance-prévoyance au titre de la réglementation de l’article 111bis de la loi sur l’impôt sur le revenu, pour des sommes allant au-delà de ce que les plafonds réglementaires prévoient, en témoigne.

Combien sont-ils à avoir succombé au matraquage de fin d’année opéré par les banques et assurances qui vous font faire une sur­-consommation, jusqu’à l’overdose, de produits d’épargne, et ce davantage pour les économies d’impôts qu’ils peuvent induire que pour l’attractivité de leur rendement financier ? Plus sans doute qu’on ne le croit, à tout le moins lors de la phase de démarrage en 2003 des nouvelles dispositions du 111bis. La réforme, tout en mettant un terme au règne des Sicav Rau pour cause d’entra-ve à la réglementation communautaire, a permis de prolonger le régime de défiscalisation de l’épargne. L’astuce consista à faire basculer les économies des Luxembourgeois investies jusqu’alors dans des titres de l’économie luxembourgeoise vers des contrats d’assurance de retraite complémentaire. Le tout avec parcimonie, pour ne pas, par exemple, avoir l’air de privilégier la branche des assurances par rapport à une autre épargne plus sophistiquée, celle-ci non subventionnée par la manne publique.

Les plafonds déductibles au titre de l’impôt sur le revenu des per­-sonnes physiques va jusqu’à 3 200 euros par an, selon l’âge et la situation familiale, pour le contribuable qui tire ses principaux revenus au Luxembourg. Les plafonds resteront d’ailleurs inchan­-gés, le gouvernement, avec sa marge budgétaire réduite, ayant choisi de favoriser exclusivement l’année prochaine les contrats d’assurance solde restant dû. Mesure censée favoriser l’accession à la propriété aux ménages modestes, rebutés par les montants des primes d’assurance exigées par les établissements prêteurs. 

Les sirènes du 111bis ont attiré les foules. Des contribuables ont été jusqu’à souscrire plusieurs contrats, dépassant ainsi les plafonds prévus par la réglementation de 2002. Le problème s’est posé lors des premières déclarations fiscales. L’Administration des contributions directes a carrément refusé la déduction des primes qui dépassaient les plafonds, en se montrant particulièrement stricte dans l’interprétation du règlement grand-ducal du 111b. Au moindre euro crevant le plafond, c’est toute la prime qui passe à la trappe. Un dépassement entraîne « implicitement mais nécessairement », selon l’interprétation qu’en a fait le fisc, une non-déduction fiscale de l’ensemble des versements et pas seulement de l’excédent. Le fisc lui-même aurait trouvé le raisonnement initial du législateur un peu spécieux, mais n’aurait fait que suivre fidèlement les vœux de ses inspirateurs. Les députés avaient en effet écrit le texte avec des gants en 2002, veillant à ne pas pénaliser les produits classiques de l’épargne privée par rapport aux produits de prévoyance retraite. Théorie qui vient d’être confortée par le tribunal administratif, saisi par un contribuable qui avait souscrit plusieurs contrats, au-delà des montants prévus par le 111bis. Rien ne l’interdit, ont prévenu les juges, si un épargnant est à même de les financer, aussi longtemps qu’il n’en demande pas la déductibilité. 

C’est une atteinte à la liberté de commerce, a notamment plaidé devant la juridiction administrative l’avocat du contribuable piégé par le système des plafonds. Les juges n’ont toutefois pas trouvé opportun de saisir, comme il le réclamait, la Cour constitutionnelle sur la conformité des dispositions du 111bis. Raisonnement « plus que critiquable » selon legitax.lu. On ignore toutefois si le contri-buable débouté en première instance va faire appel. Le tribunal administratif l’a toutefois invité à saisir la juridiction civile pour une action en dommage et intérêt contre l’assureur qui lui a vendu des contrats, sans le prévenir, des conséquences fiscales qu’un dépassement des plafonds déductibles entraînerait. Mais cela relève d’un autre registre, autrement plus complexe qu’une saisine des juridictions administratives. 

 

Véronique Poujol
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