Facebook

L’ère de la sphère privée n’est pas révolue

d'Lëtzebuerger Land vom 14.01.2010

Avec une franchise désarmante, Mark Zuckerberg a déclaré, lors d’un entretien public avec Mike Arrington de TechCrunch, que s’il s’agissait de refaire Facebook aujourd’hui, la plateforme rendrait publiques par défaut les informations de base de ses utilisateurs, histoire de coller à l’évolution des « normes sociales ». Aussitôt bloguées, retweetées et commentées à tout va sur le Net sous l’angle « Zuckerberg dit que la sphère privée appartient au passé », les quelques phrases consacrées par le fondateur et CEO de Facebook à cette problématique épineuse ont choqué bien des internautes qui y ont vu une volte-face, voire une trahison.

Il faut dire que dès le mois de janvier 2009, une première passe d’armes sur la question de savoir à qui appartiennent les données des utilisateurs qui ferment leur compte Facebook avait échauffé les esprits. Lorsqu’en décembre dernier, les réglages par défaut relatifs à la visibilité des données de base telles que nom, photo et liste d’amis ont été modifiés dans des conditions un rien nébuleuses, mais allant sans l’ombre d’un doute en direction d’une plus grande visibilité, de nombreux internautes ont estimé que la coupe était pleine et qu’il fallait réagir.

Les propos de Mark Zuckerberg, il y a quelques jours, prouvent que leur inquiétude n’était pas dénuée de fondement. En voici un transcript : « Lorsque j’ai commencé dans mon dortoir à Harvard, la question que beaucoup de gens posait était ‘pourquoi diable voudrais-je mettre quelqu’information que ce soit sur Internet ? Pourquoi voudrais-je avoir un site web ?’ Et alors, au cours des cinq à six dernières années, bloguer a démarré en grand et tous ces services qui portent les gens à partager toutes ces informations. Les gens ont appris à se sentir à l’aise, non seulement pour ce qui est de partager davantage d’informations de différentes sortes, mais aussi de manière plus ouverte et avec davantage de gens. Cette norme sociale est simplement quelque chose qui a évolué dans le temps. Nous voyons comme notre rôle d’être toujours en train d’innover et d’actualiser notre système pour refléter ce que sont les normes sociales actuelles. Bien des compagnies seraient prises au piège des conventions et de leur héritage de ce qu’elles ont créé, opérer une modification en matière de sphère privée pour 350 millions d’utilisateurs n’est pas le genre de choses que beaucoup de compagnies feraient. Mais nous voyions cela comme une chose réellement importante, de garder toujours un esprit de débutant et ce que nous ferions si nous démarrions la société aujourd’hui et décidions quelles seraient les normes sociales aujourd’hui, et nous avons tout simplement décidé d’y aller ».

Les arguments avancés par Zuckerberg pour justifier les choix opérés le mois dernier ne tiennent pas la route. Facebook a été créé en 2004 et a commencé à réellement prendre son envol mondial vers 2007. Tout au long de cette période, l’assurance que les photos, listes d’amis, notes de vie et autres traces laissées sur Facebook resteraient par défaut confinées à son cercle d’amis a toujours été constitutive de la confiance apportée par les internautes à Facebook. Affirmer aujourd’hui que c’est « la norme sociale » qui a changé et que ceci justifierait que les propriétaires de la plateforme modifient d’autorité certains des réglages de base sur l’accessibilité de ces données personnelles est d’une grande hypocrisie. Il ne faut pas sous-estimer l’importance des réglages par défaut : beaucoup d’utilisateurs insouciants ne prennent pas la peine de les modifier. Ensuite, il est important de maintenir le choix des internautes de révéler ou non toute information à leur sujet. Du haut de ses 350 millions d’utilisateurs, Facebook commence à se prendre pour un démiurge, affirmant qu’il suit des tendances – qu’il contribue lui-même à façonner – alors qu’en réalité, il suit son propre intérêt qui est de rendre accessibles sur le Net autant de données personnelles que possible, c’est-à-dire de se transformer graduellement en un grand annuaire des internautes, avec tous les avantages commerciaux qu’il peut espérer tirer de cette position.

Jean Lasar
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