Arrêt Philips Electronics UK Ltd (C-18/11)

Une décision favorable au contribuable

d'Lëtzebuerger Land du 08.02.2013

Le 6 septembre 2012, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), a, dans l’affaire C-18/11 Philips Electronic UK Ltd contre The Commissioners for Her Majesty’s Revenue & Customs, rendu sa décision. Cette dernière ne constitue pas une surprise pour les personnes s’intéressant à la jurisprudence de la CJUE. La Cour devait une nouvelle fois prendre une décision préjudicielle au sujet de la législation britannique relative au dégrèvement de groupe. Cette législation a été utilisée par l’administration fiscale britannique pour rejeter la demande d’une société résidente (Philips UK) de déduire de sa base taxable une partie des pertes subies par un établissement stable en Grande-Bretagne d’une société néerlandaise (LG NL) appartenant au même groupe. L’administration fiscale britannique a refusé l’imputation des pertes, considérant notamment que celles-ci pourraient également être utilisées par LG NL aux Pays-Bas.

Dans une série de décisions récentes, trois justifications ont été invoquées comme raisons impérieuses d’intérêt général justifiant de mesures restrictives nationales : la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres, la volonté de faire obstacle à la double prise en compte des pertes et/ou une combinaison des deux. Cette affaire permet de clarifier ladite notion comme cela a été demandé à la Cour. Comme l’avait mentionné l’avocat général, la disposition nationale contrevient à la législation de l’UE, puisque dans le cadre du régime britannique du dégrèvement de groupe, une société non britannique disposant d’un établissement stable au Royaume-Uni est traitée différemment d’une société résidente fiscalement au Royaume-Uni. En effet, cette dernière peut céder ses pertes à une autre société du Royaume-Uni sans avoir à remplir les obligations spécifiques qu’un établissement stable au Royaume-Uni doit respecter.

Conformément à l’argumentation développée par l’avocat général dans ses conclusions, la CJUE considère que la situation d’une société résidente au Royaume-Uni et d’une société non résidente qui dispose d’un établissement stable au Royaume-Uni sont objectivement comparables au regard du régime du dégrèvement de groupe. L’objectif d’un dégrèvement de groupe est de regrouper les résultats imposables des entreprises du même groupe et d’établir des compensations entre eux, compte tenu de l’hypothèse fondamentale que lesdits résultats sont imposables dans la même juridiction fiscale. En conséquence, en matière de dégrèvement de groupe, un établissement stable et une filiale fiscalement imposable au Royaume-Uni sont dans une situation comparable au regard des pertes encourues sur le territoire du Royaume-Uni.

Venons-en à présent à la partie la plus intéressante de la décision. La CJUE n’accepte aucun des arguments avancés par l’administration fiscale britannique et rend une décision manifestement favorable au contribuable. Se fondant sur les différentes capacités dans le cadre desquelles les États membres peuvent agir, la Cour estime que la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres n’est nullement remise en cause par la transfert des pertes d’un établissement stable situé au Royaume-Uni à une société résidente au Royaume-Uni étant donné que les pertes ont été encourues au Royaume-Uni (ce qui, d’ailleurs, n’a pas été contesté par l’administration fiscale britannique). Sans s’y référer explicitement, mais en désignant de façon implicite l’affaire Lidl Belgium (C–414/06), qui constitue une situation miroir au cas présent, et dans laquelle la disposition discriminatoire de l’État où la société avait son siège statutaire a été considérée comme légitime, la CJUE, qui agit de façon cohérente, estime que la disposition présente a un caractère restrictif non justifiable compte tenu de la capacité d’imposition primaire dont dispose l’État d’accueil.

En outre, la CJUE était censée examiner l’argument selon lequel la prévention de la double prise en compte des pertes est une justification autonome de la mesure restrictive. La Cour rejette également cet argument, mais se limite à déclarer que l’utilisation potentielle des pertes par la société tête de groupe dans l’État où la société est fiscalement résidente n’a pas de répercussion sur le pouvoir d’imposition de l’État d’accueil.

Manifestement, le raisonnement de la CJUE sur ce point est incomplet, car il se contente d’affirmer que l’éventualité d’une double prise en compte des pertes ne devrait jouer aucun rôle et n’affecte finalement pas la symétrie des pouvoirs d’imposition. L’argument n’a pas été étudié de façon isolée et la CJUE est passée à côté d’une excellente occasion de discuter des implications d’une prise en compte des pertes dans l’État où la société est résidente. Malgré le fait que l’avocat général a exprimé assez clairement son opinion en la matière, la Cour a laissé sans réponse claire la question de la double utilisation des pertes en tant qu’argument entrant dans le cadre des « raisons impérieuses d’intérêt général ».

L’auteur du présent article adhère au raisonnement de l’avocat général et sont d’avis que la prévention de la double prise en compte des pertes ne constitue pas un motif autonome sur lequel peut s’appuyer un État membre pour justifier une disposition discriminatoire. En outre, la prise en compte des pertes dans la base taxable semble être (comme c’est également le cas dans les conventions préventives d’une double imposition) une condition sine qua non lorsqu’un État membre a l’intention d’intégrer les bénéfices d’une entreprise dans base imposable. Eu égard au fait qu’aucune des deux justifications ne peut être utilisée pour « préserver » la disposition nationale restrictive, la CJUE conclut que c’est également le cas lorsque lesdites justifications sont simultanément mises en avant. Enfin, la Cour rejette l’argument de procédure de l’administration fiscale britannique selon lequel ce n’est pas à l’encontre du demandeur que la discrimination s’exerce. L’arrêt déclare que, quelles que soient les questions de procédure, le juge national a l’obligation d’appliquer le droit de l’Union européenne et doit, par conséquent, laisser inappliquée toute disposition nationale qui lui serait contraire.

L’auteur du présent article estime que la décision prise par la Cour de justice de l’UE va dans le sens auquel on pouvait s’attendre. Il est à présent clair que les pertes d’un établissement stable installé dans un État membre peuvent être imputées à une autre société résidente dans ce même État dans la mesure où ces pertes relèvent des compétences fiscales dudit État. En revanche, la question de l’utilisation de la prévention de la double prise en compte des pertes comme justification autonome à l’application de mesures restrictives nationales n’a reçu qu’une réponse vague.

Henri Prijot
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