Les communes de Käerjeng et de Sanem se déchirent sur la question du contournement de Bascharage

A tale of two cities

L’idylle de Bascharage, entretenue par ses habitants, est détruite par le trafic
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 30.06.2017

Ici, les gens sont encore vraiment patriotes. Quelques jours après la fête nationale, des drapeaux rouge-blanc-bleu ornent encore les façades de maisons mitoyennes colorées et les jardins de devant impeccablement entretenus. Ici, les gens sont fiers des 13 000 visiteurs qu’a attirés en un mois l’exposition Lëtzebuerg an den Éischte Weltkrich au Hall 75, dont une grande partie des membres de la famille grand-ducale, plusieurs ministres et la moitié des députés. Le maire Michel Wolter (CSV) a accueilli lui-même presque tous les visiteurs et donné la majorité des visites guidées. Ici, on a encore un sentiment de solidarité dans le village, Zusammengehörigkeitsgefühl. Les presque 10 000 habitants de Fingig, Linger, Hautcharage. Clémency et Bascharage, qui longent la frontière belge et ont fusionné en 2012 pour devenir Käerjeng, sont Luxembourgeois à 70 pour cent et étaient à 84 pour cent contre le droit de vote des étrangers aux législatives lors du référendum de 2015. Alors, quand les gens ont découvert, il y a quelques semaines dans leurs boîtes-aux-lettres, le dépliant Alternatives au contournement de Bascharage (avec les quatre derniers mots, dont le nom de leur village, barrés dans le titre) publié par l’administration communale de la commune voisine de Sanem, ils ont réagi avec un mélange d’amertume et de colère. « Beaucoup de gens leur ont renvoyé le dépliant, parfois en y marquant des commentaires pas vraiment sympathiques », raconte Michel Wolter à la mairie. La même campagne, avec « Bascharage » barré se trouvait sur le cul des bus du réseau Tice, ce qui a mené à un incident diplomatique au sein du comité du Tice (dont Michel Wolter est membre).

Une longue lutte a précédé la diffusion de cette campagne par Sanem : cela fait quarante ans que Bascharage revendique la construction d’une route de contournement. En gros depuis l’ouverture, en 1994, de l’autoroute A13 aussi appelée « collectrice du Sud », qui part du rond-point dit Biff à Bascharage, ces revendications se sont faites de plus en plus fortes. « La collectrice, dit Wolter, coupe notre village en deux. » Elle est la route qu’empruntent tous les jours des milliers de voitures, notamment de travailleurs frontaliers venant de France et de Belgique et voulant gagner le plus vite possible le lieu de leur emploi. Beaucoup d’entre eux, après avoir consulté une app sur leur portable qui leur indique en temps réel le chemin le plus dégagé, continuent alors par la route nationale, qui les mène par Bascharage, Schouweiler et Dippach jusqu’à Helfenterbruck et la capitale. Aux heures de pointe, le matin et le soir, l’Avenue de Luxembourg n’est qu’un long embouteillage ; chaque jour, entre mille et 1 500 camions et entre mille et 1 500 autobus utilisent en outre cette artère principale de Bascharage. La situation, de cela tout le monde est persuadé, est devenue intenable pour les habitants du village. Ils sont unanimenent et à travers tous les partis représentés au conseil communal, pour la construction urgente de ce contournement.

Une longue procédure de consultation publique organisée par l’Administration des ponts & chaussées pour le ministère du Développement durable et des Infrastructures dans les villages de Bascharage, Sanem, Dippach et Differdange, proposant quatre variantes différentes a précédé la décision prise au conseil de gouvernement le 29 juillet 2016. Une décision retenant la variante numéro 2, plus quelques éléments (mesures de réduction d’impact sur l’environnement naturel, promotion du transport en commun et de la mobilité douce et mise en place de compensations) prévue dans la variante 0. Ce tracé passe majoritairement par des territoires de la commune de Bascharage et n’empiète que légèrement sur Sanem. Long de 4,2 kilomètres, il a en outre l’avantage de se situer à 88 pour cent sur des terrains publics, ce qui facilite la construction. Le MDDI confirme qu’on est en train de travailler sur l’avant-projet détaillé, Michel Wolter pour sa part espère un dépôt du projet de loi d’ici octobre – ce serait pratique d’avoir quelque chose à annoncer juste avant les communales. Le ministère ne veut donner aucun budget prévisionnel pour l’instant, le chiffre de cent millions d’euros est tombé à Bascharage (il y a cinq ouvrages d’art sur le tracé pour traverser forêts et routes). La programmation budgétaire pluriannuelle de l’État prévoit 1,8 million d’euros d’investissement dès 2018, puis neuf millions en 2019 et 2020. La question serait donc réglée ?

Que nenni ! Sanem s’oppose toujours avec virulence à ce contournement. « Il ne fait aucun sens, affirme le maire socialiste de Sanem, Georges Engel. Il ne mènera que d’un embouteillage au prochain ». Du rond-point Biff, elle continuera sur deux voies par le nord-est jusqu’à la connexion avec la nationale 5. « Si nous ne nous étions pas tant engagés contre ce contournement, je suis certain qu’on aurait eu la variante 1, qui serait passée par Sanem, explique Georges Engel. C’est vrai que maintenant, nous pourrions tout aussi bien nous dire que cela ne nous concerne plus. Mais en tant que politicien communal, je considère que j’ai une responsabilité pour toute la région ! »

Et Sanem met le paquet : 400 personnes, dont le maire, ont participé à une démonstration spectaculaire contre la route à Sanem, en juillet 2014 ; lors des consultations publiques par les Ponts et chaussées, la moitié des personnes ayant soumis des remarques à Sanem étaient contre le contournement ; le conseil communal a pris des votes unanimes pour soutenir le maire dans ses démarches d’opposition. Et en octobre 2016, la commune a déposé un recours en annulation devant le Tribunal administratif contre la décision du gouvernement qui retient le tracé. Cette affaire, qui a peu de chances d’aboutir parce que le recours a été interjeté à un stade trop précoce de la procédure, sera plaidée à la mi-décembre. Georges Engel est conscient du peu de chances qu’a la procédure judiciaire d’aboutir, « mais nous ne voulions pas nous laisser reprocher de ne pas avoir mis en œuvre tous les moyens à notre disposition pour éviter cette construction ! » Député-maire, il ne va pas voter pour le projet de loi, veut demander une dispense de la part de sa fraction, voire ira jusqu’à ‘quitter la fraction’ à ce moment-là, « parce que je veux pouvoir regarder mes concitoyens dans les yeux », lance-t-il. Détail piquant : au siège du groupe parlementaire, il partage son bureau avec Yves Cruchten, leader de l’opposition socialiste au conseil communal de Bascharage. « Non, non, nous ne nous querellons pas sur cette question, sourit Georges Engel, plutôt sur les clubs de football que nous soutenons. » Ce serait, insiste-t-il, plus une question de principe qu’une question de personnes. Bien que Michel Wolter l’attaque sans cesse personnellement en public, et bien que le maire de Käerjeng estime que « s’en prendre ‘au Wolter’ » (« op de Wolter ze klappen ») était un sport national.

La question de principe est simple : Sanem dit qu’il faut chercher des alternatives à la construction de toute route – diminuer l’utilisation du diesel, valoriser les transports publics, construire des park & ride pour ensuite encourager les gens à prendre le train, promouvoir le covoiturage, installer des feux rouges intelligents, changer les transports en commun en électromobilité et surtout éviter que ne soit touchée une zone classée Natura 2000. À Bascharage par contre, il y a un consensus quant à la nécessité de cette route. « Toutes les mesures proposées dans cette brochure de Sanem sont intéressantes et on peut y réfléchir, estime ainsi Marc Hansen, conseiller communal des Verts à Käerjeng. Nous trouvons aussi qu’il faut des compensations pour cette intervention dans la nature, et elles seront élaborées. Mais la qualité de vie des gens est importante pour nous, et la situation sur la route principale est devenue intenable, les valeurs des émissions NOX augmentent sans cesse. »

Alors, est-ce une bataille de clochers ? Est-ce que ce dossier s’envenime tant parce que les élections communales approchent ? Les deux maires, Michel Wolter et Georges Engel, insistent sur leur bonne entente par ailleurs, que des habitants de Sanem viennent à la fête nationale à Bascharage ou encore que Sanem cofinance les infrastructures communes autour de la gare. Il n’y aurait, assurent-ils, aucune mésentente historique entre leurs deux communes. Aux dernières élections législatives, Georges Engel a récolté 1 310 voix à Käerjeng, contre 2 143 pour Michel Wolter. À Sanem, c’était l’inverse, Michel Wolter n’a eu que 1 947 voix, contre 3 506 pour Georges Engel, qui avait été plébiscité deux ans plus tôt aux communales (5 937 voix). Michel Wolter par contre n’était devenu maire en 2011 que grâce aux Verts, auxquels Yves Cruchten, LSAP, gagnant des élections avait claqué la porte un peu trop vite et qui se sont alors ralliés au CSV et à l’initiative citoyenne BIGK pour former une majorité. Cette mandature était la première de la commune fusionnée, et si Michel Wolter se dit fier des infrastructures qu’il a pu construire avec les 25 millions d’euros d’aide publique reçus grâce à cette fusion, il avance aussi, presque timidement, que « ces élections, j’aimerais bien les gagner, oui. J’ai encore plein de projets pour la commune ». Avoir l’esprit de clocher peut aider.

josée hansen
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