Art contemporain

Deux points de vue

Nairy Baghramian sous la neige devant le Mudam
Photo: Marianne Brausch
d'Lëtzebuerger Land du 01.02.2019

Formidable projection que celle de Le Détroit de Stan Douglas dans une des salles au sous-sol du Mudam. Cette vidéo de l’artiste canadien, acquise en 2001 par le musée, y est montrée pour la première fois. Stan Douglas a réalisé un court-métrage (double projection, noir et blanc, 35 mm, durée six minutes), qui concentre toutes les qualités de son savoir-faire dans les domaines des arts visuels : photographie, projection diapo, vidéo.

Dans Le Détroit (1999/2000), Stan Douglas, montre un personnage, partant explorer une maison abandonnée. Certaines scènes sont tactiles, comme celle où Eleonor touche les habits de ce qui fut le vestiaire de l’ancienne habitante. Ou encore celle où son souffle efface les traces d’une semelle dans la poussière accumulée de quelqu’un qui est passé là avant.

Le Détroit est une double projection, sur un écran placé au milieu de la salle. On peut donc la regarder côté pile et côté face. Il y a aussi la présence physique dans la pénombre, des énormes machines de projection de part et d’autre de l’écran et l’effet de masque, sur le visage du personnage.

La voiture elle aussi, apparaît fantomatique : c’était la voiture type des détectives américains… La vidéo – par ailleurs inspirée de deux œuvres littéraires, l’une historique, l’autre d’horreur – situe l’histoire à Detroit, ville déclassée de la production automobile US, triomphante autrefois. Le personnage sort de la voiture, marche, progresse de pièce en pièce dans une maison. Le scénario, qui fait chercher quelque chose à Eleonor – en vain – la fait revenir en arrière par le même parcours et remonter dans la voiture, puis l’histoire reprend à l’identique. Les cadrages et le montage, la projection en continu de cette narration qui se heurte comme à un mur invisible et prisonnière du mouvement perpétuel est du grand art.

On est moins convaincue par la présence de Privileged Points, une sculpture en bronze, recouverte de peinture couleur pastel, de l’artiste iranienne Nairy Baghramian. Elle occupera le grand hall du Mudam et est une acquisition récente du musée. Il est précisé, sur le kakemono qui accompagne la sculpture, que le travail de Nairy Barghamian, « incite à une approche visuelle, physique et tactile ». De couleur crème, Privileged Points est un bronze recouvert de peinture, dont les coulures, suggèrent un dialogue entre le dur et le mou. Une dissolution de la matière qui résisterait néanmoins, en se cabrant, dans le grand hall du Mudam. Mais cela ne marche pas.

Pas plus dans le cas de ses deux œuvres-sœurs, installées sur l’esplanade devant le Musée Dräi Eechelen et qui inaugurent un nouveau programme d’œuvres d’art dans l’espace public dans le parc. Elles sont obligées de batailler avec une borne de frontière symbolisant la création du jeune État indépendant luxembourgeois installée là, bien centrée, devant le panorama de la vielle ville.

Si Nairy Baghramian est assurément une artiste de talent – invitée au Festival d’Automne à Paris l’année dernière et à la Biennale d’art dans l’espace public de Münster en 2017 – la force et la fragilité que suggèrent Privileged Points ne trouvent pas leur équilibre et n’entrent en résonnance ni avec l’espace intérieur ni extérieur.

Le Détroit de Stan Douglas est encore à voir jusqu’au 24 février ; Privileged Points, trois sculptures de Nairy Baghramian, sont encore à voir jusqu’au 22 septembre ; Mudam et Park Dräi Eechelen ; www.mudam.lu

Marianne Brausch
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