Master en sciences du théâtre et interculturalité

Fécondations/Befruchtungen

d'Lëtzebuerger Land vom 15.11.2019

Sascha Dahm a l’enthousiasme contagieux. « C’est génial de pouvoir parler à tous ces gens, parce que le Luxembourg est petit, que les chemins sont courts et que beaucoup de témoins de l’époque vivent encore… » Arrivé en fin de parcours universitaire, qu’il a achevé par le master en sciences du théâtre et interculturalité (après un premier master en littérature et didactique), Sascha Dahm rédige son mémoire de master sur le théâtre absurde et la création du Théâtre ouvert Luxembourg (Tol). Donc, ses journées, il les passe entre le Centre national de littérature à Mersch, qui a notamment un « Fonds Marc Olinger », des entretiens avec des auteurs comme Lambert Schlechter, Pol Greisch ou Henri Losch, son bureau et …le théâtre. Dahm est actif au Kasemattentheater (où il n’est pas rare de le voir faire le service au bar) et vient d’assister le metteur en scène Florian Hackspiel à la mise en scène de Nur Kinder, Küche, Kirche, sur base de textes de Dario Fo et Franca Rame, au Kaleidoskop Theater à Bettembourg. « Je voulais profiter de mes années d’études pour m’approprier une connaissance approfondie sur le théâtre dans toutes ses formes en jetant un regard derrière les coulisses », explique Dahm, qui se destine à une carrière au théâtre, se voit dramaturge « comme Frank Feitler, qui a commencé ainsi, avant de diriger les Théâtres de la Ville ». Son mémoire devra être prêt d’ici janvier 2020, ses recherches sur la création du Tol pourraient donner lieu plus tard à une publication anniversaire, car le théâtre fêtera son cinquantenaire en 2023. Dans les années 1970, Marc Olinger (Tol) et Philippe Noesen (Centaure) opérèrent une véritable révolution du théâtre contemporain francophone, révolution que Tun Deutsch avait réalisée dix ans plus tôt (en 1964) pour le théâtre germanophone au Kasemattentheater : une rupture dans la scène locale dominée par Eugène Heinen.

Nous voilà pleinement dans « l’interculturalité » que s’est donnée comme slogan l’équipe du master fondé il y a trois ans à l’Université du Luxembourg, à savoir Natalie Bloch et Dieter Heimböckel. « La scène théâtrale luxembourgeoise est très particulière parce qu’elle est à la fois très internationale et de taille modeste. Elle est surtout très intéressante parce qu’elle fait se rencontrer beaucoup de langues et de traditions théâtrales », estime Natalie Bloch lors d’un entretien sur ce master à la Maison des sciences humaines à Belval. Elle est venue accompagnée de deux étudiants du master : Marie-Paul Greisch, Luxembourgeoise qui a « toujours fait du théâtre » et pris un congé sans solde dans l’administration dans laquelle elle travaillait afin de pouvoir se professionnaliser (elle en est au premier semestre) et Luuk Wildschut, d’origine néerlandaise, qui vient de terminer ce master-ci et enchaîne avec un autre en philosophie (aussi à l’Uni.lu), mais travaille déjà en parallèle en tant que pédagogue de théâtre ou met en scène de petits projets. « Déjà durant leur cursus, nos étudiants participent très activement à la vie culturelle du pays, estime Natalie Bloch. Il y a là une véritable fécondation mutuelle ». Une autre étudiante, Mandy Thierry, par exemple a écrit une pièce, Escher Meedchen, que Rafael Kohn a mise en scène au Théâtre d’Esch ; des professionnels locaux, comme Frank Hoffmann ou Charles Muller, interviennent dans le cadre du master et les conférences les plus intéressantes sont publiées dans la série Theater international chez Hydre Éditions.

Natalie Bloch est originaire de la Ruhr en Allemagne, a fait ses études à Münster et Bielefeld, où elle a passé son doctorat sur « Sprache als Ort der Gewalt » (la langue comme lieu de violence) et publie énormément en Allemagne, notamment comme critique de théâtre pour le magazine spécialisé Theater heute ou dans des anthologies d’essais sur le théâtre européen. Pour les étudiants du master, cela apporte la possibilité d’apprendre de grands professionnels du métier. La dramaturge Katja Hagedorn vient de les faire travailler sur le principe de Nachlass – Pièces sans personnes de Rimini Protokoll (Stefan Kaegi & Dominic Huber), à laquelle elle avait participé au Théâtre de Vidy – Lausanne : Comment montrer les dernières volontés de défunts, des lieux de souvenirs de ce qu’ils voulaient léguer ? Les étudiants ont aussi pu assister à des conférences du metteur en scène Milo Rau ou de l’auteur Feridun Zaimoglu, entre autres. « Nous avons la chance de découvrir tous les aspects du théâtre, aussi bien la théorie que la pratique », se réjouit Luuk Wildschut. Nombre d’étudiants font des stages auprès de petites structures théâtrales, du Théâtre national en passant par Maskénada asbl jusqu’aux Rotondes. « Malheureusement, constate Marie-Paule Greisch, le théâtre n’est pas intégré dans les cursus scolaires. On considère encore souvent la pratique théâtrale comme un hobby plutôt que comme un moyen pédagogique. » Même si les étudiants du master ne sont pas très nombreux (ils sont cinq inscrits au premier semestre cette année), on les retrouvera certainement bientôt derrière le rideau de scène. Ils participeront sans conteste à, voire accélèreront, cette professionnalisation que le théâtre autochtone est en train de réaliser depuis quelques années.

josée hansen
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