Luxinvest

« Madoff gérait »

d'Lëtzebuerger Land du 26.11.2009

Les liquidateurs judiciaires des fonds Madoff luxembourgeois vont passer à l’action et les révélations de ces dernières semaines sur le degré de connaissance qu’avait la banque UBS sur le rôle du financier américain, au cœur d’un des plus grands scandales financiers de l’histoire, ne sont peut-être pas étrangères à ce sursaut. 

Ils ont promis mercredi de lancer dès la semaine prochaine une première assignation contre « tous ceux qu’ils estiment responsables de la perte des actifs » dans le fonds LuxAlpha, où les pertes et les victimes sont les plus importantes (1,4 milliard de dollars). Il faudra attendre quelques semaines de plus, c’est-à-dire la mi-janvier, pour qu’une seconde assignation soit engagée. Cette fois dans le contexte d’un autre fonds Madoff, LuxInvest. On ne sera pas explicitement contre qui ces assignations seront lancées, mais il fait désormais peu de doute qu’UBS Luxembourg et Ernst & Young, le réviseur externe des fonds, échappent à la procédure. Le réviseur a peut-être « vu » les irrégularités, mais il n’a apparemment rien dit à la Commission de surveillance du secteur financier du rôle trouble que jouait Madoff dans les fonds d’investissement, ni du dégagement en touche de la banque dépositaire, pourtant censée être garante de l’intégrité des Sicavs. Des documents, qui devraient être communiqués sous peu aux investisseurs, donneront probablement un éclairage complet sur les responsabilités éventuelles du réviseur.

Les investisseurs et/ou « actionnaires » de LuxInvest, qui a englouti plus de 460 millions de dollars dans le naufrage des sociétés de Madoff, étaient invités mercredi à entendre les liquidateurs sur le travail qu’ils ont accompli depuis fin avril 2009, date du jugement de dissolution du fonds.

Les deux liquidateurs nommés par le tribunal, l’avocat Alain Rukavina et le réviseur Paul Laplume, ne se sont pas montrés très disserts lors de cette réunion, où les invités devaient montrer patte blanche, craignant sans doute autant les fuites dans la presse que les grandes oreilles d’UBS, qui avait dépêché sur place deux de ses avocats. 

La présence des représentants de la banque a jeté un froid dans l’assemblée réunissant une quarantaine d’investisseurs ou de leurs représentants. Distillant l’information au compte-gouttes, avançant prudemment, les liquidateurs ont tout de même dû étaler certaines de leurs cartes.

Alain Rukavina a été très clair sur le rôle de Bernard Madoff et de sa société BMIS dans LuxInvest, et ses multiples fonctions dans la Sicav au mépris de la réglementation luxembourgeoise de 2002 sur les OPCVM, notamment sur les conflits d’intérêt. Madoff était tout à la fois gérant, sous-dépositaire et broker. 

Exactement comme le document interne (OPMEM) à UBS Luxembourg sur LuxInvest le relève (Land du 13.11.09). « BMIS gérait les avoirs en vertu d’une délégation de pouvoir. Il choisissait les investissements sur une liste préétablie et le volume des acquisitions », a affirmé Alain Rukavina. Paul Laplume ne l’a pas contredit. UBS conteste précisément la qualité de gérant à Madoff (et met en cause la légalité de l’OPMEM) et on sait bien pourquoi. La banque se retranche derrière un document de souscription qu’elle a fait signer aux investisseurs, selon lequel elle dégage en touche et limite sa responsabilité de banque dépositaire, en cas de défaillance du broker, à la seule surveillance des fonds, non pas à leur « garde ». Une nuance qui lui permet de ne pas indemniser les clients des fonds dont elle était officiellement le gardien. Une attitude très critiquée. 

Si tant de gens ont fait confiance à LuxInvest ou LuxAlpha, c’est parque que ces fonds portaient le « tampon » UBS et la marque de fabrique « made in Luxembourg » (à l’opposé des fonds offshore, attirant une certaine méfiance en raison du moindre degré de protection offert en cas de défaillance). Les liquidateurs ont actuellement dans leurs caisses un montant de 2,38 millions d’euros. Pas de quoi pavoiser. 

Pour indemniser les créanciers (trois seulement ont fait jus­qu’à présent des déclarations), il faudra passer à l’offensive. La recherche d’un arrangement à l’amiable avec UBS n’a jusqu’à présent rien donné, ont confirmé mercredi les liquidateurs. 

Maintenant que tout et tous démontrent qu’UBS – et peut être aussi Ernst & Young – connaissait le rôle exact de Madoff et l’a caché aux souscripteurs de fonds ainsi qu’à la CSSF, ce serait peut-être le moment pour la banque de passer à la caisse. 

C’est sans doute aussi le temps pour les autorités luxembourgeoises, CSSF et exécutif compris, de montrer qu’elles n’ont pas le ventre mou. 

Véronique Poujol
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