Théâtre

Superbe fantôme

d'Lëtzebuerger Land du 13.04.2018

Une claque. C’est tout simplement – et enfin – ce qu’envoie le Théâtre ouvert de Luxembourg au visage de son public avec sa nouvelle création présentée actuellement. Adapté du texte de Philip Ridley représenté pour la première fois en 2000, mis en scène par Véronique Fauconnet et porté tambour battant par un duo d’acteurs époustouflant, ce Vincent River percute de manière pertinente dans un contexte actuel où l’homosexualité peut être encore et toujours un motif de haine, à l’instar de nombreuses autres « différences ».

Anita est dévastée : son fils unique, Vincent, qu’elle a élevée seule et avec qui elle fut terriblement complice s’est fait battre à mort quelques mois plus tôt, son corps retrouvé par hasard dans une gare désaffectée de Shoreditch à Londres, haut lieu de rencontres entre hommes... Devant les révélations médiatiques, elle qui n’avait jamais demandé de détails sur la vie amoureuse de son cher enfant a dû alors faire face aux regards méprisants et aux remarques homophobes des bigotes de sa résidence, en addition à son insupportable deuil... N’en pouvant plus, elle a déménagé dans un appartement vétuste de Dagenham, loin de la peine, loin des jugements. C’est là qu’elle finit par inviter un mystérieux jeune homme qui l’observe de loin depuis des semaines. Elle l’avait remarqué, mais ne s’en inquiétait point. Mais ce jour-là, il est tout cabossé devant sa porte et elle lui propose d’entrer. Alors qu’elle le désinfecte, ils font connaissance : lui c’est Davey, il a 17 ans. Il est farouche, apeuré, mais curieux... Pourquoi suit-il Anita depuis l’enterrement de son fils ? C’est lui et non sa petite amie Rachel – qui avait appelé la police –, qui a trouvé le corps de Vincent. Depuis, Vincent le hante chaque jour, malgré lui, et c’est pour exorciser ce fantôme qu’il veut en savoir plus sur cet homme qu’il n’a jamais connu vivant.

Commence alors une danse macabre entre Davey et Anita, un pacte dans le cadre duquel chacun dévoilera un peu de sa vie et de celle de Vincent à l’autre... Pourquoi Davey et Rachel sont-ils passés par cette gare sordide le soir de leurs fiançailles ? Comment était Vincent lorsqu’il était petit ? À quoi ressemblait-il lorsque le jeune couple l’a trouvé cette nuit-là ? Et cet hôpital où Anita a séjourné quelques jours, ne serait-ce pas le même dans lequel la mère de Davey était traitée pour son cancer... ? Au fur et à mesure des révélations, des verres de gin, des comprimés, des joints et des massages de voute plantaire, les langues vont se délier pour le meilleur et pour le pire, dévoilant tous les pans de l’histoire qui a conduit Vincent à sa perte...

Aux manettes de cette création du Tol, Véronique Fauconnet n’a aucunement l’intention d’épargner les sentiments du spectateur et c’est tant mieux ! En choisissant une mise en scène haletante, vive et physique, elle permet à l’action de ne souffrir aucun temps mort et de coller à la violence du contexte. Ses personnages sont des écorchés vifs et la vie semble transpirer de chacun de leurs pores malgré la seule chose qui les rassemble a priori : la mort de Vincent. Pour incarner ce duo incongru, on retrouve tout d’abord une Catherine Marques touchante et on ne peut plus crédible en mère anéantie, à la psyché anesthésiée par la disparition de son rayon de soleil. Sans en faire des tonnes, elle saura camper cette Anita avec humilité et précision tout a long de l’action, dans sa solitude tout comme dans sa soif insatiable de lien humain... Puis il y a Massimo Riggi, sa gueule de l’emploi pour incarner Davey et son interprétation bluffante d’énergie et d’émotion. Tout d’abord attendrissant lorsqu’il est encore ce petit animal blessé et pris au piège d’une vision qui semble s’imposer à lui, Riggi sait faire évoluer son corps, son ton, l’expression de son visage et l’aura qu’il dégage à la minute près, tout comme évolue le rôle de son personnage dans la trame de l’histoire. Lors des pires révélations, ses yeux transpercent le public qui ne peut détacher son regard de ce Davey bien plus sulfureux, bien plus subversif que prévu, alors que la pauvre Anita ne peut que se murer dans l’horreur et le silence...

Si Vincent River aurait très certainement gagné à être connu de son vivant, une chose est certaine : celles et ceux qui lui ont survécu lui rendent un hommage vibrant et bourré de sentiments dans cette version très réussie du Tol.

Vincent River de Philip Ridley, traduction par Sébastien Cagnoli ; mise en scène par Véronique Fauconnet, scénographie et costumes : Jeanny Kratochwil ; avec Catherine Marques et Massimo Riggi ; au Tol, 143, route de Thionville, encore les 13, 14, 18, 19, 20, 25, 26, 27 et le 28 avril à 20h30 ; informations : www.tol.lu.

Fabien Rodrigues
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