Circonscription Centre

The day after tomorrow

d'Lëtzebuerger Land vom 17.06.2004

Lorsque Jack Hall, joué par Dennis Quaid, avertit ses collègues climatologues que tout indique qu’un changement climatique d’une ampleur inouïe risque d’anéantir la civilisation occidentale, personne ne veut le croire. Le vice-président de son pays est même furieux, veut punir celui qui joue les Cassandre en supprimant les crédits de son institut de recherche. Deux heures plus tard, New York a disparu sous la neige, surgelée en quelques minutes. Certes, Roland Emmerich a dû en faire des tonnes pour que The day after tomorrow devienne un succès commercial, mais le scénario catastrophe présente néanmoins quelques similitudes avec ce qui s’est passé au Centre avec le DP diman-che. Depuis un an au moins, les sondages Tageblatt/ILReS prédisaient à intervalles réguliers que les libéraux allaient perdre entre deux et trois sièges (aux alentours de dix pour cent des voix) dans la circonscription. Dans les baromètres de popularité publiés dans le même Tageblatt, les scores des libéraux du Centre étaient en chute libre. En mai, 61 pour cent des interrogés ne voulaient surtout pas que le maire de la capitale, Paul Helminger, joue un rôle politique plus important dans le futur. Selon ces sondages, seules Lydie Polfer et Anne Brasseur arrivaient à stabiliser leur cote de popularité avoisinant les 70, respectivement les 60 pour cent. Et comme chez Emmerich, les Jack Hall d’ILReS allaient garder raison : au final, les libéraux perdent deux de leurs sept sièges au Centre, moins 8,72 pour cent. Paul Helminger n’est même pas directement élu, le président sortant du groupe parlementaire et échevin Jean-Paul Rippinger arrive en neuvième, l’ancien secrétaire d’État à la Fonction publique, Jos Schaack, en dixième position de leur liste. Si Paul Helminger garde une petite chance de regagner son siège de député, au cas où Lydie Polfer partait effectivement au Parlement européen, comme elle l’a laissé entendre lundi à la télévision, ou à la Commission, comme le veulent les rumeurs (ou, cas moins probable, si les libéraux revenaient au gouvernement), la carrière politique des deux autres hommes pourrait s’arrêter là1. Le plus étonnant dans la défaite du DP – outre son étonnement face à l’ampleur des dégâts dimanche, et son obstination à ne pas vouloir s’avouer vaincu et rejoindre les bancs de l’opposition –, c’est qu’il ne semble pas avoir pris ces sondages alarmants au sérieux. Et qu’il n’y a surtout pas réagi, ni dans la campagne électorale, ni surtout dans la composition des listes, qui, à quelques exceptions près, ne misait que sur les « valeurs sures ». Que d’aucuns appelleraient « les vieux de la vieille ». Un de leurs slogans n’était-il pas Kommt, mir maache weider : continuons ainsi. Surtout pas d’innovation. Interrogé lundi soir par RTL Télé Lëtzebuerg sur sa défaite, Paul Helminger s’est dit « étonné » par le fait que seuls les responsables politiques libéraux furent sanctionnés, alors que les échevins CSV, avec lesquels ils forment une coalition communale à Luxembourg furent élus « haut la main ». Car il ne fait pas de doute que l’introduction douloureuse du parking résidentiel et la situation irrésolue de la gestion du trafic sur le territoire de la capitale sont une des explications possibles pour le déclin du DP. Paul Helminger a toujours été tenu responsable pour la situation, seul, « alors que la politique communale ne connaît que la responsabilité collégiale, » avait-il souligné lundi. D’autant plus que Paul-Henri Meyers du CSV est en fait l’échevin en charge des transports et de la circulation à Luxembourg. Dans le classement général de la circonscription, Paul-Henri Meyers est le neuvième sur 147, alors que Paul Helminger se classe 32e. Pourtant, seules 652 voix personnelles séparent les deux hommes. L’inversion de la tendance politique dans la circonscription est avant tout due aux suffrages de liste : ainsi, si le CSV a gagné deux sièges, c’est grâce à un plus de quelque 43 000 suffrages de liste, soit deux mille par candidat élu. Le stock de voix de chaque élu CSV était donc de 9 255 dès le départ. Alors que le suffrage de liste des libéraux a quasiment été divisé par deux, de plus de 8 300 par candidat en 1999 à 4 400 cette année. Selon les sondages RTL/ILReS publiés lundi, le taux de migration des électeurs libéraux vers le CSV furent massifs, de l’ordre de 54 000, ce que faisait dire à Charles Margue que « les électeurs du DP sont retournés vers le CSV ». Car traditionnellement, le Centre était CSV (cf. tableau ci-contre), à l’exception d’une parenthèse DP en 1999. Que la capitale fut ressentie depuis plusieurs années comme une forteresse libérale, c’était surtout grâce à la popularité des maires Polfer, père et fille. Au Centre, le CSV a certainement aussi profité de l’effet Juncker. Leur score (35,49 pour cent, un plus de 7,45 pour cent) avoisine celui du CSV au niveau national. Ce résultat est d’autant plus remarquable que deux des candidats les plus populaires leur manquaient : Alphonse Theis et Willy Bourg sont morts. Jacques Santer n’était plus candidat aux législatives en 1999 déjà. Le succès du CSV Centre est un succès de parti, d’une liste entière plutôt qu’une addition de bons scores personnels. Luc Frieden, ministre de la Justice et du Budget sortant et tête de liste, en est le grand gagnant : avec presque 42 000 voix, il a quasiment doublé son résultat de 1999 et sort premier de toute la circonscription, suivi par Claude Wiseler, qu’on dit futur ministre de l’Éducation nationale depuis des mois, avec 26 009 voix, également presque le double de 1999. Puis suivent Laurent Mosar, Erna Hennicot-Schoepges, Paul-Henri Meyers et trois nouveaux : Lucien Thiel, directeur de l’ABBL, Marie-Thérèse Gantenbein-Koullen (65 ans), maire de Hespérange, inconnue au bataillon politique national jusque-là mais qui a visiblement su récupérer une bonne partie des voix de son prédécesseur Alphonse Theis, et le secrétaire général du parti, Jean-Louis Schiltz, qui avait eu du mal à décrocher une place sur la liste. Avec deux, voire trois ministres dans la circonscription, le député sortant Patrick Santer ainsi que Marcel Oberweis et éventuellement Martine Stein-Mergen auraient des chances d’entrer au parlement. Les électeurs CSV ne semblent pas aimer ceux qui jouent aux saute-parti : Théo Stendebach, qui a quitté le DP pour le CSV il y a un an, n’y a pas survécu, il termine tout en bas de la liste. Pour les socialistes, les choses sont moins claires : avec un plus de seulement 1,55 pour cent des voix, on peut tout juste parler d’une stabilisation de leur électorat au Centre. Certes, Jeannot Krecké a fait un assez bon score personnel, terminant sixième sur la circonscription (14 580 voix) – précédé toutefois non seulement par les plus populaires du CSV et du DP, mais aussi par François Bausch, tête de liste des Verts. Et certes, le parti a gagné quelques centaines de suffrages de liste. Mais pour les prochains élus, le résultat est plus mitigé, Mady Delvaux garde son (relativement bon) score de 1999, Robert Goebbels perd 4 000 voix (dû à son mandat européen), Ben Fayot quant à lui, profitant de sa plus grande notoriété nationale grâce à son mandat de député (en 1999, il revenait de Strasbourg), gagne sensiblement, plus 3 500 voix. Si Robert Goebbels garde son mandat européen, comme l’a annoncé son parti lundi, le maire de Steinsel, Jean-Pierre Klein est sûr de récupérer son mandat de député. Il serait alors le seul socialiste au Centre à ne pas être élu dans la capitale. 1 + X était le nom d’une initiative citoyenne qui, fin janvier, lors de son assemblée constituante, appelait tous les habitants du canton de Mersch à voter pour les candidats de leur canton. Ceci surtout afin que l’inégalité géographique des mandats qu’ils fustigeaient – seuls les candidats de la capitale représenteraient la circonscription au parlement, oubliant les intérêts légitimes de Mersch et de ses environs – soit redressée. On ne peut pas encore dire avec certitude si Claude Adam a profité des sympathies de cette initiative citoyenne ou si ce sont les suites de son travail en tant qu’échevin de Mersch, en tout cas, il a su assurer un troisième siège aux Verts au Centre. Et il faut souligner qu’ils venaient de loin : leur meilleure élue de 1999, Renée Wagener (9 686 voix) ayant décidé de quitter la politique, ils entraient dans la campagne pour ces élections avec un président de fraction sortant très populaire – François Bausch comptabilisait 59 pour cent d’adhésion dans les sondages Tageblatt/ ILReS en mai –, mais étant quasiment le seul personnage connu. Les deux porte-paroles, Viviane Loschetter et Carlo de Toffoli étaient inconnus à 66 respectivement 77 personnes inter-rogées par l’ILReS pour le Tageblatt en janvier encore, mais ont beaucoup gagné en notoriété jusqu’en mai. Aux urnes, Viviane Loschetter a visiblement pu rattraper les électeurs – et surtout électrices ? – de Renée Wagener. Elle est la seule femme verte directement élue (sur sept mandats sur le plan national) et fait un bon score personnel, plus 5 000 voix par rapport à 1999. Mais le succès des Verts au Centre est, comme pour le CSV, un succès de liste : presque 30 000 suffrages de liste en plus en cinq ans. Ce qui fait un stock de base de plus de quatre mille voix par candidat, 700 de moins que pour les socialistes. Les électeurs des Verts n’ont donc pas autant voté pour des têtes que pour un programme. Le vote vert pourrait être un vote contre la politique de la droite sur des questions sociales (chômage, immigration, famille...), contre les intérêts particuliers de l’électorat commerçant et bourgeois et surtout pour des thèmes écologiques, comme la protection de l’environnement et la sécurité alimentaire. Les sondages RTL/ILReS ont prouvé que les gens leur attribuent une grande compétence dans ces domaines. Selon la première analyse des migrations d’électeurs présentée lundi soir à la télévision, Déi Gréng gagneraient beaucoup plus d’électeurs du DP (16 000) que du CSV (2 000). La capitale et les communes à sa périphérie avec leur vie urbaine et suburbaine, leurs loyers élevés et leur populations plutôt aisées – commerçants, employés privés, banquiers, fonctionnaires –, sont considérées comme ayant un électorat plutôt au centre-droite. Les nouvelles cités de jeunes ménages avec enfants voteraient plutôt Verts, qui communiquent sur le mode de la modernité et veulent donner une image de parti contemporain, ancré dans les interrogations de notre époque. Le renouveau du CSV Centre et le rajeunissement de sa liste dans la circonscription semble avoir répondu à un certain nombre d’attentes – alliant la sécurité d’un parti expérimenté avec une volonté de renouvellement. Les socialistes, manquant de profil, ont tout juste gardé le statu quo, sans toutefois rattraper beaucoup d’électeurs perdus du DP. Il n’est pas étonnant que dans ce spectre politique assez serré autour du centre, il n’y ait guère de place pour les extrêmes. L’extrême-gauche aurait stabilisé son score de 1999 (2,82 pour cent), si elle ne s’était pas scindée en deux, KPL et Déi Lénk. Et à l’extrême-droite, l’ADR a perdu un siège, celui de Fernand Greisen, mais il a aussi et surtout perdu beaucoup de suffrages de liste, moins 11 000.

1 Sur la liste du DP sont directement élus : Lydie Polfer, 28 206 voix, Anne Brasseur, 19 355 voix, gardant toutes les deux leurs scores de 1999, puis Niki Bettendorf, Xavier Bettel et Colette Flesch.

josée hansen
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