Législation sur la filiation

Ces enfants si intensément désirés

d'Lëtzebuerger Land du 06.05.2016

C’est pas mal de lire, dans un avis du très sérieux Conseil d’État, les termes « copulation », « pulsion sexuelle » et « contraception inefficace ». Ces termes, les « sages » les emploient dans leur avis, visiblement écrit sous l’influence d’un certain agacement, sur la proposition de loi du très à droite député ADR Fernand Kartheiser concernant l’assistance médicale à la procréation. Dans son texte, Kartheiser veut aller beaucoup plus loin que la majorité politique dans l’interdiction des techniques de procréation médicale assistée (PMA), les réservant aux seuls couples hétérosexuels mariés infertiles, en excluant donc expressément les couples de même sexe. Pour Fernand Kartheiser, le projet de loi n° 6568 déposé en 2013 par le ministre de la Justice de l’époque François Biltgen (CSV) et qui est actuellement discuté à la Chambre des députés, est trop frileux dans ses restrictions, n’interdisant que la gestation pour autrui (GPA).

À l’ombre des discussions publiques sur toutes sortes de #leaks, le débat sur la réforme de la législation sur la filiation, et donc plus spécifiquement sur les techniques de PMA et le statut des enfants qui en sont issus, est plus que passionnant et ouvre des guerres de tranchées idéologiques qui ne sont pas sans ressembler à celles sur l’avortement ou le mariage gay en France. Passionnant, parce qu’ici, les avis des politiques conservateurs ou progressistes, mais aussi des ONGs et groupements d’intérêt divergent radicalement, chacun cherchant à établir un équilibre qui lui semble juste entre les possibilités de la technique médicale, qui avance à la vitesse grand V, et les limites qu’il dresse en se référant à la morale, qu’elle soit personnelle, dictée par une religion ou par les principes fondateurs de son association.

Pour y voir plus clair, les députés de la commission parlementaire juridique, auxquels se joignent parfois ceux de la santé, ont décidé, en octobre 2015 – le projet de loi avait alors déjà deux ans – de se faire expliquer cette matière complexe par les responsables du service PMA du Centre hospitalier, le seul spécialisé au Luxembourg. Stimulation ovarienne, insémination artificielle, fécondation in vitro avec ou sans technique ICSI, don de sperme, d’ovocytes, de gamètes, tri génétique, gestation pour autrui... Autant de techniques développées depuis la naissance de Louise Brown, le premier « bébé éprouvette » en 1978, . Depuis, cinq millions d’enfants sont nés grâce à la PMA, répondant parfois à une infertilité d’un couple hétéro, de plus en plus souvent à un désir d’enfant d’un couple homosexuel – et le législateur luxembourgeois préférait taire le sujet (tout en en remboursant les frais). Alors si les uns, y compris le Planning familial, protecteur des femmes, craignent une commercialisation du corps de la femme (ce sont toujours des pauvres qui portent les bébés de riches, contre rémunération), voire du vivant, et que les autres mettent en garde contre les dangers de cette ambition prométhéenne de l’homme, voulant se substituer à Dieu en créant la vie là où la nature l’a interdite, les plus rationnels, notamment l’Ombudscomité fir d’Rechter vum Kand, considèrent surtout l’intérêt supérieur de l’enfant. Ces enfants existent, même ceux nés de GPA, forcément conçus à l’étranger, puisque cette technique n’est pas pratiquée au Luxembourg : que leur adviendra-t-il si la loi instaure vraiment cette nullité des conventions de GPA prévue à l’époque par François Biltgen ? Comment auront-ils accès à une reconnaissance au Luxembourg, à un statut juridique et à la nationalité de leurs parents ? À l’heure actuelle, ces questions se règlent encore de manière assez pragmatique (le parent d’intention reconnaît l’enfant, le deuxième pouvant alors faire une adoption plénière).

Bien sûr que, contrairement à une procréation naturelle, une multitude de questions pratiques et éthiques se posent dans les cas de PMA : Qu’en est-il des possibles dérives eugéniques ? Qu’est-ce qui prime : le droit de l’enfant de connaître sa mère ou son père biologique ou le droit du donateur ou de la donatrice (de sperme, d’ovocytes) à l’anonymat ? Faut-il interdire toutes les revendications patrimoniales d’un descendant par rapport à son parent biologique ? Mais la question essentielle est celle que pose pertinemment le Conseil d’État, très rationnel sur le sujet : Comment déterminer « si les enfants qui sont le fruit du désir de futurs parents de les élever avec amour sont à plaindre par rapport à ceux qui sont le fruit d’une simple pulsion sexuelle ou d’une contraception inefficace » ?

josée hansen
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