La réforme de l’avortement…

… ou la juste mesure de la détresse d’une femme

d'Lëtzebuerger Land du 28.01.2010

Non, je ne l’ai pas fait ! Mais j’aurais pu… Seulement, j’ai eu la chance de n’avoir jamais eu à décider, j’ai eu la chance de ne m’être jamais retrouvée dans une situation, où j’aurais dû me décider pour ou contre un avortement.

Mais j’en connais beaucoup, des femmes qui, pour des raisons que je n’ai pas à juger, ont avorté. Elles ont estimé, souvent le cœur lourd, qu’elles n’étaient pas en mesure de s’occuper d’un enfant à ce moment donné de leur vie. La plupart d’entre elles, comme beaucoup d’autres, ont dû partir à l’étranger, en Belgique ou aux Pays-Bas. Au Luxembourg, cela ne se faisait pas… du moins pas sans la bienveillance ou la sensibilité d’un médecin capable de mesurer la détresse d’une jeune femme à l’égard d’une grossesse et d’une maternité non prévues, non voulues…

Je me rappelle bien, qu’après m’être enragée face à cette situation dans un commentaire que j’ai fait en tant que journaliste, le directeur du média en question est venu me trouver pour me dire que j’avais tout faux. Que depuis 1978, l’avortement n’était plus interdit, du moins sous certaines conditions. Imaginez-vous : cet homme me faisait l’éloge d’une loi qui donnait aux « dieux en blanc » le droit et le pouvoir de juger si la détresse psychique d’une femme était, à leurs yeux, assez grande pour qu’elle puisse ne pas avoir l’enfant dont elle ne voulait pas et qui – chaque mère le sait – allait changer sa vie à jamais !

Je persiste à trouver cela révoltant – ce paternalisme, cette arrogance de se croire légitimé d’imposer une décision tellement personnelle, tellement intime et tellement difficile à une autre personne.

C’est sans doute pour ces raisons que j’ai jugé important de soutenir le Planning familial, dont le combat me paraissait et me paraît juste et bon, nécessaire et admirable.

C’est pour ces raisons aussi, et non seulement en tant qu’attachée parlementaire du LSAP, que j’ai soutenu avec plaisir et satisfaction la députée Lydie Err lors de l’élaboration de sa proposition de loi sur la réforme de l’avortement, parce qu’elle visait à rendre à la femme ce qui lui appartient : le droit à l’autodétermination – avec tout ce que cela peut impliquer !

Je reste convaincue que les dispositions contenues dans la proposition de loi Err sur la réforme de l’avortement (et qui, soit dit en passant, ne sera jamais la proposition de loi Polfer, quoiqu’en dise le règlement de la Chambre des députés) représente la solution idéale.

La solution mise en avant par le projet de loi du gouvernement me paraît, honnêtement, plutôt satisfaisante. Que ceux qui disent le contraire continuent à s’occuper de formalité et de terminologies – que cela s’appelle « Indikationslösung » ou « Fristenlösung » – pour moi c’est le résultat qui compte : dorénavant, ce ne sera plus le médecin qui décidera, mais la femme elle-même.

À mes yeux, la femme n’a pas à mentir sur une « situation de détresse psychique ou sociale » – parce que je pense que toute femme confrontée à une grossesse et une maternité non-désirées est en droit de dire qu’elle se trouve dans une telle situation !

Quant à la consultation obligatoire dans un centre de consultation et d’information familiale, même si elle peut être ressentie comme un calvaire, je pense qu’elle n’est pas inutile. D’un côté, l’obtention d’informations concrètes sur les aides et les soutiens auxquels elle pourrait faire appel en tant que mère (tout en évitant bien sûr les manipulations), peuvent jouer un rôle dans le processus de prise de décision d’une femme enceinte pour ou contre un avortement. De l’autre côté, il faut dire qu’avec tous les moyens contraceptifs disponibles actuellement, une femme qui tombe enceinte sans le vouloir doit pouvoir être conseillée sur la façon d’éviter à l’avenir de se retrouver dans une situation pareille.

Selon le projet de loi du gouvernement, l’avortement reste inscrit dans le code pénal, mais non punissable en tant qu’exception et dans des conditions précises déterminées par la loi. Ceux et celles qui s’insurgent contre ce fait doivent savoir que la situation en Belgique est tout à fait pareille et qu’en matière d’euthanasie et d’aide au suicide, le législateur a opté pour une solution qui suit le même principe.

Bien sûr, tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Le projet de loi doit maintenant suivre la procédure officielle : il sera, espérons-le, amendé en certains points pour être plus cohérent au moment du vote. À mon avis, il faudrait par exemple supprimer la condition de résidence de trois mois et introduire le délit d’entrave en suivant l’exemple de la France.

Mais c’est au niveau de la mise en œuvre que se montrera si la réforme représente effectivement un progrès ou non. Reste à voir quels seront les centres de consultation habilités destinés à accueillir les femmes en question, comment ils travailleront et surtout s’ils disposeront des moyens personnels et financiers suffisants pour que la nouvelle réglementation puisse contribuer à atteindre le but poursuivi déjà par la loi de 1978 : que le nombre de grossesses non désirées diminue.

L’auteure est attachée parlementaire du LSAP
Nadine Entringer
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