Le lectorat du Land

Small is beautiful

d'Lëtzebuerger Land du 07.01.2004

Ce n’est pas la taille qui compte, semblerait-il, et il vaudrait mieux que ce soit vrai. d’Lëtzebuerger Land ne sera sans doute jamais le journal le plus lu du pays. Même le Bild compte plus de lecteurs au Luxembourg que d’Land. Mais ne dit-on pas que ce qui compte c’est la qualité, et non la quantité ? 

Chaque édition du Land est en moyenne lue par quelque 12 000 personnes. Des lecteurs fidèles et assidus, actifs et bien avancés dans leur carrière professionnelle grâce notamment à un niveau de formation élevé. Cinquante ans après le premier numéro, le lectorat de l’hebdomadaire reste largement luxembourgeois, plutôt masculin et citadin. En cette année jubilaire, le Land est toujours un journal apprécié par son public cible. Le journal vit un renouveau certain après une phase plus difficile, même s’il n’atteint plus aujourd’hui un public aussi large qu’il y a vingt ans encore.

d’Lëtzebuerger Land est lu par trois pour cent de la population luxembourgeoise au dessus de quinze ans, selon le dernier sondage « Media » de  l’Ilres, réalisé en 2002. Plus récente, l’étude « TNS Plurimedia Luxembourg 2003 (Saint-Paul/ Editpress) » confirme ce chiffre, bien qu’avec une méthodologie différente. Il s’agit d’une moyenne par numéro. Le lectorat global du Land, c’est-à-dire toutes les personnes lisant au moins un numéro de l’hebdomadaire sur une période de trois mois, s’élève à six pour cent ou 22 000 lecteurs.

Avec une pénétration moyenne de trois pour cent, le Land se situe en ce début de millénaire dans la moyenne des vingt dernières années, depuis la première étude à ce sujet par l’Ilres en 1982. Mais le journal a aussi connu de meilleurs temps : au début des années 80, chaque numéro du Land touchait ainsi cinq pour cent de la population avant de tomber à trois, voire deux pour cent. Après un léger redressement à partir de 1993, le Land connut aussi une traversée du désert de 1996 à 1999, quand son taux de pénétration est régulièrement descendu à deux pour cent, touchant un fond à 7000 lecteurs par numéro. Une certaine relance est cependant indéniable depuis 1999, double année d’élections ainsi que la date du lancement de la nouvelle maquette du Land.

Un mot de précaution s’impose quant à tous ces chiffres. Si les résultats de sondages impressionnent par la précision des chiffres, on oublie trop souvent de mettre en garde quant à la marge d’erreur, appelée par les spécialistes l’« intervalle de confiance ». Bien que l’échantillon de l’Ilres soit assez grand (plus de 3 000 sondés), les progressions ou reculs d’un point ou deux sont à interpréter avec précaution et à situer dans la durée. Il en est sans doute ainsi avec la pointe de 1995, quand le taux de pénétration du Land atteint tout à coup cinq pour cent avant de tomber l’année d’après à deux pour cent. Il y a aussi d’autres phénomènes à considérer. Le Jeudi, par exemple, imprime depuis des années avec 10 500 exemplaires trois fois plus de journaux qu’il n’en vend. Le Centre d’information sur les médias (CIM) a en conséquence classé l’hebdomadaire francophone parmi les publications gratuites. Le seul changement de nom du GréngeSpoun en Woxx lui a coûté deux points dans les sondages : d’un taux de trois à un pour cent. 

Longtemps le seul journal hebdomadaire d’information générale, d’Lëtzebuerger Land doit aujourd’hui se comparer à la concurrence. Le principal phénomène de presse de la dernière décennie est sans aucun doute le journal satirique Den Neie Feierkrop avec une pénétration de huit pour cent en 2002. Le Jeudi est crédité de six pour cent par l’Ilres et Woxx d’un pour cent. L’étude Plurimedia 2003 de Saint-Paul et Editpress confirme la valeur de Woxx mais donne onze pour cent au Feierkrop et dix à Le Jeudi.

d’Land peut, malgré les nouveaux concurrents, compter sur un lectorat fidèle, en majorité des abonnés. Deux sur trois lecteurs lisent ainsi tous les numéros de l’hebdomadaire. Et une fois qu’ils ont mis la main sur le journal, ce n’est pas seulement pour le feuilleter : près de trois quarts lisent au moins la moitié du journal, 22 pour cent le consultent en entier. La barrière de la langue persiste pourtant. Si un quart des lecteurs luxembourgeois lisent le Land en entier, ce chiffre tombe à douze pour cent pour les autres. Les Luxembourgeois dominent aussi en général le lectorat du Land (81 pour cent).

De par le profil socio-professionnel de ses lecteurs, le Land maintient un profil de haute qualité, certains diraient « élitaire ». Aucun autre organe de presse d’information générale au Luxembourg ne compte autant de cadres supérieurs ou indépendants dans son lectorat (36 pour cent), aucune autre publication n’a des lecteurs avec un niveau d’instruction plus élevé : 71 pour cent des lecteurs ont au moins conclu leurs études secondaires, la moitié des lecteurs sont des universitaires (pour une moyenne de 17 pour cent parmi les sondés). 

Un tiers des lecteurs déclare un revenu du ménage de plus de 4 500 euros (bien que la moitié des sondés refuse de répondre à cette question). Chaque dixième universitaire au Luxembourg lit le Land. Les cadres moyens représentent un quart du lectorat.

Le lecteur type du Land est un homme (62 pour cent), plutôt citadin et exerce une profession (seulement treize pour cent des lecteurs sont au foyer). Cinquante pour cent du lectorat est âgé entre 25 et 49 ans ; seize pour cent sont retraités. 

Ce profil qualitatif représente un élément clef dans la survie économique du Land, puisqu’il permet au journal d’attirer des annonceurs malgré le taux de pénétration limité. 

Les lecteurs du Land sont en général de véritables papivores. Ils sont 74 pour cent à lire le Wort (contre 49 pour cent en moyenne), 41 pour cent à lire le Tageblatt (deux fois la moyenne), vingt pour cent le Journal (quatre fois la moyenne) et huit pour cent le Zeitung (huit fois la moyenne). 

En même temps, il est trois fois plus probable qu’un lecteur du Land lise aussi la presse étrangère que cela n’est le cas pour la moyenne de la population. Trois pour cent lisent des quotidiens allemands, six pour cent la presse française. Près de la moitié des lecteurs du Land lit le Feierkrop, 21 pour cent lisent Le Jeudi et 17 pour cent (huit fois la moyenne) le magazine Forum. Les sondages indiquent en même temps qu’il y a un nombre certain d’habitués du Land qui ne lisent ni le Wort ni le Tageblatt.

Les vieux préjugés semblent aussi rester valables : à en juger des habitudes de lecture, les clients du Land ont plus d’affinités avec les mondes libéraux et socio-démocrates que catholiques. Si quatorze pour cent des lecteurs du Journal lisent aussi le Land ainsi que sept pour cent de ceux du Tageblatt, ce n’est vrai que pour cinq pour cent des habitués du Wort. Les lecteurs du Land sont de même plutôt des consommateurs du Revue que du Télécran.

D’un point de vue commercial et dans une vision à plus long terme, le profil du Land dévoile aussi des faiblesses. Les étudiants sont ainsi trop rares dans le lectorat de l’hebdomadaire. Le taux de pénétration s’élève à seulement un pour cent, leur nombre absolu à moins de mille lecteurs. L’abonnement à tarif réduit ne semble guère faire d’effet. Il est vrai que les frais d’expédition à l’étranger annihilent la réduction du prix de l’abonnement. L’Université de Luxembourg constitue donc aussi pour le Land un défi. 

Le profil du lectorat du journal n’a par ailleurs pas su évoluer au même rythme que la démographie générale du pays. Le Land, journal des « décideurs », reste en retrait auprès des non-luxembourgeois. C’est sans doute aussi une conséquence du choix assumé de maintenir le traditionnel multilinguisme de la presse luxembourgeoise.

La question fondamentale est cependant celle des ambitions à avoir : quel taux de pénétration peut-on attendre d’un journal d’analyse au style sobre ? Le regard au-delà des frontières temporise l’optimisme. L’hebdomadaire Die Zeit, le modèle sur lequel ses fondateurs ont calqué d’Land (toutes proportions gardées), n’atteint lui aussi qu’une pénétration moyenne de 2,9 pour cent – tout comme il ressemble par d’autres aspects de son profil de lectorat au Land

Il serait sans doute trop facile de prendre cela comme excuse. Le regard en arrière montre qu’il y a de la place pour d’Lëtzebuerger Land dans le paysage médiatique luxembourgeois – qu’il y a aussi encore un peu plus de place. 

Jean-Lou Siweck
© 2023 d’Lëtzebuerger Land