Nouvelle maquette du Land

De l’air !

d'Lëtzebuerger Land vom 07.01.2004

Même après des années d’expérience, il reste toujours aussi excitant d’ouvrir un paquet de journaux fraîchement livrés par l’imprimeur, de tenir entre les mains le produit final, la somme de tous les efforts d’une semaine. Si, le mercredi, au Land, on écrit, le vendredi est le jour de la moisson, où l’on peut véritablement toucher le résultat, chercher les gaffes et les coquilles, voir aussi si la transposition d’une idée de mise en page ou d’illustration a fonctionné. Car une chose est certaine : la maquette inventée en 1999 par Tom Gloesener demande qu’on porte beaucoup plus de soin qu’avant à l’iconographie et à la photographie. « Die Reform des Layouts ist ein Einschnitt in der Geschichte dieser Zeitung, » écrivions-nous en Une le 11 juin 1999, lors du lancement de la nouvelle mise en page. Un rajeunissement dont la préparation avait duré plus de six mois et dont l’équipe n’était pas peu fière ce jour J-là. 

Quatre ans plus tard, retour sur les lieux du crime avec Tom Gloesener – l’ancien étudiant en graphisme qui, à l’âge de 23 ans seulement, alors qu’il était en dernière année à la Norwich School of Art and Design, avait réalisé un modèle de relookage du Land comme travail de fin d’études et l’a finalement vu réalisé –, et Sylvano Vidale, son ancien collègue d’école, devenu depuis lors son associé dans l’agence VidaleGloesener. Le temps d’une matinée, nous avons demandé aux deux graphistes qui restent les conseillers du Land en matière de mise en page, de feuilleter avec nous un demi-siècle du journal.

1954. Première édition. Le journal s’appelle d’Letzeburger Land, sans tréma sur le premier « e », sans « e » derrière le « u ». Nous avons changé l’orthographe en l’adaptant aux règles en vigueur en 1999, mais au milieu des années 1950, on l’écrivait ainsi. 1954 était d’ailleurs aussi l’année de la création, par Hubert Beuve-Méry, du Monde diplomatique, avec lequel le Land partageait toujours l’ambition de faire un journal sérieux, qui se traduisait longtemps par une certaine austérité dans la mise en page ; le Monde diplomatique vient seulement d’adapter sa maquette en août 2003. 

En 1954, un abonnement au Land coûte 60 francs luxembourgeois, contre 60 euros aujourd’hui, soit quarante fois plus. Le Land fait alors 34,5 centimètres sur 48,5, sur une douzaine de pages, est imprimé en caractères de plomb sur un papier très épais et raide à l’imprimerie Bourg-Bourger. 

Dès les premières pages qu’ils feuillettent, Tom Gloesener et Sylvano Vidale sont enthousiastes de l’inventivité de la mise en page, des illustrations, des annonces souvent composées par et pour le journal – les bandes sur cinq colonnes que nous connaissons encore aujourd’hui y sont déjà, avec ces slogans incitatifs univoques qui font le charme de la publicité des années cinquante – et des entêtes de rubriques. Les « Randbemerkungen » qui sont devenues les « marges » trouvent leur place dès les premières éditions, il y avait un « Wirtschaftsblatt », cahier économique, et même une rubrique entièrement dédiée à l’acier et au charbon. Carlo Hemmer avait l’ambition expresse d’accorder une place importante aux arts et à la culture, dans une rubrique intitulée « Literatur – Kunst – Wissenschaft » ; la dernière page était alors dédiée à la jeunesse, « Jonktem », ciblant les quinze à 25 ans. 

Dans les premiers numéros du Letzeburger Land, les pages sont archi-remplies de texte, le plus frappant étant le nombre de polices de caractères différentes qui se côtoyaient sur une même page. « Mais dès les débuts, les polices avec sérif et celles sans sérif sont utilisées en alternance, » remarque Tom Gloesener. « C’est le contraste qui est important, continue Sylvano Vidale, regardez : les polices avec sérif (ces petits « pieds » des caractères) se lisent plus facilement dans le texte, alors que celles sans sérif peuvent s’utiliser en gras dans les titres. »

1968, quatorze ans plus tard, année choisie au hasard. Leo Kinsch est l’éditeur et rédacteur en chef du Land depuis dix ans, il mènera le journal durant un quart de siècle ; Rosch Krieps et Paul Neyens l’ont rejoint. Le format du journal a changé, il est bien plus grand, 35 sur 54 centimètres, la qualité du papier est meilleure, désormais, il est imprimé à l’Imprimerie centrale, qu’il ne quittera plus. « On dirait le Land des années 1990, » s’étonne Tom Gloesener, les rubriques sont déjà les mêmes, notamment la dernière page humoristique, plus de photos. 

Durant les années 1980 et 1990, les rédacteurs en chef successifs, Lucien Thiel, Jean-Marie Meyer, Jean-Paul Hoffmann ne toucheront que très peu à la maquette, à part quelques maquillages, l’introduction d’un nombre croissant de filets et de cadres autour des rubriques, l’utilisation de graphiques, des intertitres ou des initiales pour alléger la lecture de textes d’analyse plus long. « Le layout devient de plus en plus ‘nerveux’ constate Sylvano Vidale. Les rubriques se sont multipliées, les annonces deviennent plus sophistiquées et sont même de plus en plus souvent en couleur, les avis officiels imposent désormais aussi leur format sur les pages. 

« Il y a eu une véritable révolution durant les années ‘Apple-Macintosh’, dans les années 1980, lorsque l’informatique devenait plus accessible. Beaucoup de journaux se sont alors renouvelés, » estime Tom Gloesener. Bien qu’il se soit équipé assez tôt en informatique – des Mac Classic pour toute la rédaction – le Land n’a guère touché à sa maquette. L’impression était passée en offset, le format était devenu celui que nous connaissons aujourd’hui, le papier aussi. 

À l’imprimerie, l’ordinateur remplaçait peu à peu les métiers traditionnels. Suivirent les années où des apprentis sorciers du graphisme essayaient chaque bouton de leurs magnifiques programmes – avec le recul, on se rend compte que la circonspection des anciens dirigeants du Land dans l’adaptation de la maquette aux nouveaux moyens techniques était une aubaine, cela nous a évité bien des pollutions esthétiques. Les journaux sont « passés très vite de la composition des caractères en plomb à la photocomposition, dit Roger Black, designer de journaux dans une interview au Monde (du 5 décembre 2003), puis aux technologies numériques. Mais ils l’ont fait sans exigences, au prix d’une certaine dégradation. C’est seulement dans les dix dernières années qu’on s’est soucié d’améliorer la typographie. »

Lorsque l’équipe du Land, soucieuse de renouveler son lectorat, a commencé en 1998 à réfléchir à une refonte de sa maquette, c’était donc déjà après le boom informatique, après qu’on se soit rendu compte que l’ordinateur était un outil formidable, qui permettait de faciliter bien des procédures et des tâches, mais qu’il n’était pas encore doté de sens pour l’esthétique ou l’équilibre d’une page. Des artistes qui étaient intervenus directement dans nos pages avaient contribué à aiguiser notre regard, à ausculter les limites d’une page de journal. Avec toujours une exigence de rigueur : du minimalisme au lieu d’un trop-plein baroque. 

La rencontre fortuite avec Tom Gloesener tombait, par hasard presque, dans cette phase de réflexion des rédacteurs qui se demandaient comment adapter le journal aux nouvelles exigences des lecteurs, comment se démarquer au kiosque face à un nombre croissant de publications magazine en quadrichromie. Nous savions ce que nous voulions valoriser des spécificités du Land : des articles de fond et d’analyse dans un paysage médiatique, presse et audiovisuel, tendant plutôt vers des nouvelles brèves, des pages ouvertes sur des auteurs venant de l’extérieur, les rubriques traditionnelles qui marquent son profil : la politique, l’économie, le social, la culture, les pages internationales…

Depuis 1997, Martin Linster avait rejoint le Land. Son œil, son interprétation souvent insolite, toujours complémentaire du texte, l’avaient démarqué du clic-clac ambiant dans la presse. Fan de ses photos, Tom Gloesener plaida dès le début pour une valorisation des éléments visuels comme la photographie, mais aussi les illustrations de Roger Leiner et de Dan Perjovschi. Son mot d’ordre était « de l’air ! » Les premières pages du journal allaient désormais être dominées par l’horizontale, moitié texte, moitié photo plus blanc, beaucoup de blanc, élagage maximum, abolition de tous les filets et cadres superflus… La pagination du journal augmentait en conséquence. Depuis lors, l’utilisation du blanc – une aberration pour tout imprimeur – est redevenue moins radicale. 

En même temps que la maquette, l’équipe a opté en 1999 pour une modernisation du logo du Land : la police avec sérif a été remplacée par une combinaison Frutiger Light et Bold, sans sérif, résolument plus moderne. Le petit visuel, dessiné jadis à la main par les fondateurs et symbolisant les régions du pays, a été redessiné et adapté à l’air du temps. Les cahiers thématiques amovibles du Land, dédiés dès les années 1980 aux évolutions macro-économiques, aux médias, aux institutions européennes par exemple, devenus une référence incontournable dans ces domaines, furent adaptés eux aussi pour devenir des suppléments à l’esthétique soignée, toujours aussi minimaliste.

En 1999, la réaction des lecteurs était mitigée : il y avait ceux qui regrettaient l’ancienne version, plus compacte, et, à l’extrême opposé, ceux qui adoraient et sont depuis lors de fervents fans du Land. Mais personne ne restait indifférent – c’est bon signe.

josée hansen
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