Art vidéo

Des cactus fort emblématiques

d'Lëtzebuerger Land vom 06.05.2016

Qui s’y frotte s’y pique : l’expression qu’on fait remonter très loin, fin du moyen âge ou seizième siècle au moins, veut que quiconque ait intérêt à éviter la chose, quoi exactement, on ne sait trop. Et suivant l’origine qu’on lui attribue, la voici associée tantôt au porc-épic tantôt au chardon. L’un a sa robe pleine de piquants et était censé jadis pouvoir les lancer au loin pour atteindre ses adversaires ; l’autre, plante épineuse, s’il est aujourd’hui l’emblème de l’Écosse, même si son équipe de rugby ne fait plus guère preuve de l’agressivité souhaitable, était aussi le symbole, contraire en fait, de la douleur ou de la vertu. Du chardon, il y a peu pour passer au cactus, il en existe de toutes sortes, de toutes formes ou morphologies, avec leurs épines justement, à fonction multiple, protection contre les animaux ou l’ardeur du soleil, captation de la rosée, on veut même qu’elles aident à la dissémination de l’espèce en s’accrochant aux toisons des bêtes.

C’est sûr, comme pour le porc-épic et le chardon, mieux vaut ne pas se frotter au cactus, pas même y toucher ; Oui, ça pique, on s’en rend compte on voyant des fois la réaction de Stéphanie Rollin, quelle idée de s’en prendre aux figuiers de Barbarie, et de vouloir remédier à une injustice de la nature. Il y en a en effet qui ont des épines, d’autres non, et il s’agit dans leur vidéo, pour elle et David Brognon, de les transplanter des uns aux autres, quitte à se piquer. On est sur les terres d’Israël et de Palestine, il est vrai que d’autres s’y sont déjà plus que piqués, de sorte que l’on évite dans la haute politique de s’y frotter. On laisse le conflit s’embourber, occupations ou intifadas, avec le risque d’un incendie.

David Brognon et Stéphanie Rollin aiment à aller aux limites, aux marges. Dans telles vidéos, elles sont sociales, dans l’une des plus récentes, Subbar, Sabra, montrée au bout de leur invitation au BlackBox du Casino, elles sont géographiques et terriblement politiques. Car les figuiers en question, plantés en ligne, ont servi à délimiter les parcelles de terrain entre voisins, succédané de cadastre. Et leurs racines ont subsisté quand les villages arabes ont été rasés, eux ont repoussé, témoins donc d’une présence effacée, éradiquée.

La vidéo, en collaboration avec D. Almasy, comporte une double projection, d’un côté une large vue sur le paysage et les deux artistes en train de recueillir les épines sur une broussaille de figuiers, de l’autre, en gros plan, des mains qui attachent les épines aux cladodes, appelés encore raquettes pour leur forme, qui en étaient dépourvus. Les deux images, de la sorte, rendent d’une façon combien poétique, en même d’une expression prenante, une situation qu’on dira simplement épineuse. Ce que l’art peut faire de mieux, en trouvant la forme exacte pour dire les choses.

Le cactus choisi par nos deux artistes, et le transfert qu’ils opèrent, le fait d’autant plus fortement que le langage vient s’y mêler. Le mot arabe, repris avec le mot hébreu dans le titre, renvoie comme le figuier lui-même, à de la patience, de la ténacité, devient ainsi symbole du peuple palestinien. Alors que le hébreu sabra est employé en Israël pour désigner un Juif né dans le pays. Tout un imaginaire vient se greffer, faisant du cactus une plante fort ou trop symbolique. Un écrivain palestinien compare la résilience du figuier à celle de son peuple, survivant envers et contre tout ; par extrapolation israélienne, il suggère le cœur tendre des sabras qui se cache sous des dehors rugueux.

Stéphanie Rollin et David Brognon ont été sur les terres bibliques au mois d’octobre 2015, alors que débutait la vague d’attaques au couteau à Jérusalem. Et tout porte à croire que l’on n’est pas près de voir leur vidéo, et cette situation qu’elle montre, dont elle fait prendre conscience, démenties par un changement d’attitude, des deux côtés, des puissances qui devraient s’y frotter, tout en évitant quelque piqûre dont on sait qu’elle peut produire les accidents les plus graves.

Lucien Kayser
© 2023 d’Lëtzebuerger Land