Esthétique des campagnes électorales

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d'Lëtzebuerger Land vom 27.05.2004

«De la droite, vous vous êtes déplacé de plus en plus vers le centre. Alors, est-ce que vous allez aussi prochainement abandonner le 'C' dans votre nom?» s'inquiète une intervenante lors d'une de ces réunions électorales Juncker on Tour rassemblant quelque 450 personnes dans une grand-messe autour de cette star de la politique qu'est devenu le Premier ministre, lundi à Hespérange. Non, non, assure l'interpellé, que même s'il ne parle pas beaucoup du C - comme «chrétien» - et même si son parti n'est pas le prolongement politique de l'église catholique ou vice-versa, il n'aimerait néanmoins pas être dans son parti sans l'idéologie chrétienne sur laquelle sont basées ses valeurs.

Pourtant, l'idéologie semble disparaître peu à peu des campagnes électorales des grands partis, de plus en plus «américanisées», misant sur une blague, une esthétique, une couleur ou un personnage. Et de plus en plus interchangeables. Ainsi, si celle de 1999 fut dominée par le dauphin fraîchement inventé par les conseillers image du DP, la mascotte de la campagne 2004 se nomme Xorro, personnage de dessin animé vaguement inspiré du héros de western, «vengeur masqué» qui défend les petites gens (dont le nom commence avec Z), mais qui devint aussi un peu le petit fripon de la vieille dame CSV, se moquant dans les pages spéciales du parti CSV Profil et dans les spots qui passent au cinéma de l'adversaire politique avec un humour semblable à celui des blagues tout public en dernières pages du Télécran. 

Les affiches du CSV quant à elles misent avant tout sur la tête de liste Jean-Claude Juncker, prenant l'air sérieux et responsable - les 92 pour cent d'adhésion à sa personne exprimés lors des derniers sondages avoisinent le plébiscite. À tel point que même le président du parti François Biltgen en fait un argument de vente: «Seul dans le parti marqué CSV, on trouve du Jean-Claude Juncker à l'intérieur.» Comme une pub pour une poudre à laver ou du chocolat à tartiner. Quelques-unes des affiches avec un ordinateur portable, un microscope, un ours en peluche, une calculette et surtout un porte-carabine, toujours sobres en gris et orange, déclinent l'idée de sérieux et la compétence en matière budgétaire, sociale ou d'éducation avec lesquels le parti veut continuer à régir le pays. De séchere Wee, le chemin le plus sûr, est leur slogan. Qui fait un peu assurance tout risque. 

Dans les spots télévisés de la campagne officielle du CSV, toute trace d'humour ou d'originalité a complètement disparue: des images au kilo, qui pourraient tout aussi bien servir de campagne de promotion pour un stand de foire d'une quelconque industrie, en noir et blanc, avec une musique au mètre doivent là encore signifier le sérieux du parti. Le cadre orange ajouté en haut et en bas vient rappeler que la nouvelle corporate identity voulait rajeunir le parti, qu'il se veut moderne aujourd'hui - ou comment allier un peu lourdement les symboles à l'encontre de toutes les classes d'électorat. Du parti qui se vante à longueur de campagne d'avoir diversifié l'économie luxembourgeoise en créant entre autres le secteur audiovisuel de toutes pièces - et qui compte la ministre de la Culture dans ses rangs -, on se serait attendu à plus d'inventivité et d'originalité dans les spots publicitaires.

Comme dans celui des Verts. Plein d'humour - un cactus devant la photo du ministre de la Justice, une danse de préservatifs, une copulation de scarabées, des candidats en pop-ups -, alliant campagne image (tout en vert), de personnes (Claude Turmes, Camille Gira y jouent leurs propres rôles e.a.) et contenu (énergies alternatives, transport en commun, redresser Pisa, etc.) son spot audiovisuel est formellement le meilleur. Mais, réflexion faite, pourrait tout aussi bien vanter les mérites d'une agence de voyage, d'un dentifrice, d'une voiture à faible consommation d'énergie, de fromage frais sans graisse ou de n'importe quel autre produit un peu branché et écolo. Comme pour le spot, les affiches sont elles aussi réalisées par une agence allemande, en collaboration avec une agence locale. 

Or, fait nouveau, bien qu'elles se concentrent sur des thèmes très écolos, transports en commun, utilisation des ressources naturelles et du sol, éducation, elles utilisent une iconographie très urbaine, très léchée, très libérale, loin des pulls tricotés mains par les hommes du parti de ses débuts. Esthétique tellement libérale que le Forum du Campus Geesseknäppchen, censé faire «moderne» avec son architecture de verre et de fer - un des seuls bâtiments scolaires inaugurés par Anne Brasseur, DP -, qu'elle se retrouve sur les affiches aussi bien des Verts que des socialistes. Depuis peu, les deux partis ont aussi lancé leurs campagnes personnelles avec les portraits des têtes de liste. 

Les Verts étaient les premiers à organiser une conférence de presse pour présenter leur campagne électorale, suivis par le CSV pour le lancement officiel de la sienne, ou encore le LSAP. Les socialistes sont le parti qui marque le plus de présence médiatique. Il est un de ceux qui ont aussi acheté de l'espace publicitaire commercial chez RTL pour y faire passer son spot de présentation de ses candidats, misant donc sur l'effet panachage des élections luxembourgeoises. Ses spots «image», tout comme les affiches du même genre, montrant le bonheur et l'optimisme de Cindy et de Christian, mascottes grandeur nature des socialistes, quant à eux sont bien faits mais interchangeables là encore avec n'importe quel produit.

L'ADR, visant un électorat très conservateur, se vante de tout avoir fait lui-même dans sa campagne, «car nous savons le mieux ce que nous voulons exprimer et ne nous laissons rien imposer d'une agence,» comme l'avait formulé le manager de leur campagne Gast Gibéryen lors d'une interview. Sa campagne de «ras-le-bol!» et «ça suffit!» fonctionne avec des symboles primaires, sinon primitifs - un biceps musclé pour signifier l'emploi, des euros qui volent pour le gaspillage d'argent, des non-acteurs comme une femme au foyer ou un hôtelier pour jouer leur propre rôle... Sur fond jaune, muni de messages directs et agressifs, elle se démarque effectivement de la masse. L'amateurisme apparent est voulu, signifiant là encore la proximité de son électorat, le côté «direct» que le parti revendique. Qu'il fasse les marchés dans un bus sponsorisé par la multinationale du pétrole Q8 ne semble guère gêner l'ADR. 

Le plus jeune parti, le FPL, Fräi Partei Lëtzebuerg, utilise les mêmes couleurs, jaune et vert, mais faute de moyens, son spot se limite à une seule image, l'affiche, avec en bande sonore les promesses du parti (salaire minimum plus élevé, loyers plus modestes... ) énoncés par son président, Jean Ersfeld. Le parti communiste invoque Che Guevara sur ses affiches - pas évident après la campagne Dexia de l'année dernière - et dénonce les méfaits de la société néolibérale sur le social dans ses spots. La Gauche, quant à elle, reste très graphique dans ses affiches - seul le slogan Eng aner Welt ass méiglech, un autre monde est possible, rêve utopiste s'il en est, les orne. Elle joue la carte de l'humour dans ses spots très variés et parfois inventifs.

Wat wier d'Liewen ouni blo? était le slogan le plus vide de sens de la campagne 1999, mais il a néanmoins marqué toute la période préélectorale. Depuis lors, le parti libéral a déjà adapté son logo - comme d'ailleurs également le CSV et le LSAP -, et cette fois-ci, son bleu n'est plus le bleu de la mer mais plutôt celui du ciel. La deuxième vague d'affiches et d'annonces que les libéraux viennent de lancer et qui s'engagent sur treize points concrets (aucune hausse d'impôts, plus d'emplois... ), redressent les erreurs de la première vague, en étant beaucoup plus sobres, plus directs et plus lisibles. 

Comme pour les socialistes, dont la deuxième vague d'affiches parle plus directement et plus agressivement, en noir et rouge, du bilan désastreux (selon eux) du gouvernement CSV/DP et de leurs engagements dans ces domaines-là. Le DP est le seul parti à vraiment mettre en avant une femme leader dans sa campagne: Lydie Polfer, tête de liste, dont le teint a été un peu trop trafiqué par un graphiste pour devenir brillant comme une figure de cire, orne depuis peu les rues et les jardins des candidats. Ce qui est d'autant plus incroyable que le parti s'est toujours exprimé contre les quotas et autres mesures positives pour les femmes. Car par ailleurs, il est flagrant que les femmes ont quasiment disparu de cette campagne, que les partis n'envoient que des hommes, soi-disant spécialistes tout terrain aux table rondes et débats par exemple.

Le fait le plus marquant de cette campagne électorale pourtant, qui n'était qu'amorcé en 1999, est l'importance qu'accordent les médias à l'événement: RTL et Editpress ont acheté des sondages chez ILReS - alors même que l'Université du Luxembourg en a fait réaliser elle aussi -, RTL mise un budget spécial dans la recherche et la réalisation de nouveaux formats d'émissions - face-à-faces, jeux, angles originaux... - et le Groupe Saint-Paul a annoncé son grand débat avec les «éléphants» Jean-Claude Juncker (CSV), Jean Asselborn (LSAP) et Henri Grethen (DP), qui s'est déroulé mercredi à Luxexpo, durant des semaines, comme une coupe du monde de football ou un autre grand événement sportif. 

Pour les médias, les élections sont devenus de «l'événementiel»: comme elles ne se déroulent que tous les cinq ans, qu'elles touchent quasi tout le monde et qu'elles sont prévisibles, autant en maximiser l'effet. Les élections profitent toujours aussi aux médias, le public étant plus politisé et plus intéressé à l'actualité politique. 

Toutefois, cette année, on touche l'overkill, surtout à cause de la multiplication des chaînes de télévision et de radio: que ce soit Tango TV, dokTV, Planet RTL, les news de RTL, la radio 100,7 ou Eldoradio, tout le monde semble se battre dans la catégorie de l'originalité du traitement des élections. Les hommes et femmes politiques doivent donc non seulement posséder le don d'ubiquité, mais aussi être assez à l'aise devant une caméra pour ne pas être broyés dans le système. Car comment développer des idées complexes en vingt ou quarante secondes (Tango) ou en jouant en même temps du minifoot (Planet RTL)? Seule compte l'image, la notoriété. Au diable, le message!

 

 

 

 

josée hansen
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