Chronique Internet

Mouchard caché

d'Lëtzebuerger Land vom 15.02.2019

À l’occasion d’une mise à jour de son système d’alarme Nest Guard, Google a révélé ce mois-ci qu’il contenait un microphone, surprenant tout le monde. Jamais jusque-là, il n’avait été question que ces systèmes, déployés aux États-Unis, puissent contenir un tel capteur : il n’était pas mentionné dans ses spécifications techniques. Google a présenté la mise à jour comme un élément de progrès dans la mesure où il rend ces appareils compatibles avec les fonctionnalités de Google Assistant. Google a aussi cherché à rassurer en insistant sur le fait que le micro était désactivé par défaut. D’un autre côté, il suffit, pour l’activer, de prononcer une des expressions qui mettent en branle l’assistant vocal, « OK Google » ou « Hey Google ». Google avait déjà suscité la polémique à l’automne dernier lorsque des journalistes, à qui l’entreprise avait prêté un autre appareil, Google Home Mini, s’étaient aperçus d’une propriété semblable : en raison d’un « bug » activant par défaut l’assistant, celui-ci était en réalité à l’écoute 24 heures sur 24, répercutant sur les serveurs de Google les sons captés à l’intérieur du foyer.

Au vu de ces deux révélations, on est en droit de se demander s’il est raisonnable de faire entrer chez soi ce genre d’appareil, et si ce que Google décrit comme des « bugs » ne sont en réalité pas des propriétés soigneusement pesées pour maximiser les informations personnelles sur ses utilisateurs dont le géant va disposer. Certes, Nest Guard n’est pas encore déployé en Europe. Mais cet appareil est un système d’alarme auquel on peut connecter des serrures et des systèmes de domotique. Pour Google, les assistants vocaux et systèmes d’alarme sont un élément central de la stratégie grâce à laquelle il entend se rendre indispensable en facilitant les gestes de la vie quotidienne. Les révélations à répétition sur le caractère intrusif de ces appareils nous projettent dans un univers passablement effrayant, où Big Brother s’insinue graduellement dans nos vies, sans crier gare, au nom du confort. Est-il vraiment acceptable de faire entrer des assistants aussi curieux dans nos vies, surtout si l’on découvre certaines de leurs propriétés après coup ?

Dans un premier temps, les publications spécialisées en hardware ont fait état de l’existence du microphone de Nest Guard de manière très factuelle, mentionnant en passant les implications en matière de protection des données personnelles et d’intrusion. Mais clairement, une analyse détaillée devra encore être réalisée par les organisations publiques et privées censées nous protéger contre les abus des géants du Net. Et il y aura probablement, lorsqu’elles livreront leurs conclusions, une majorité d’utilisateurs pour accepter ce niveau d’intrusion au nom des gains en termes de confort et d’une meilleure intégration des différents appareils connectés. Plusieurs téléviseurs connectés, dont on avait découvert il y a quelques années qu’ils enregistraient les sons recueillis au salon où ils sont installés et les transmettaient au serveur de leur fabricant, à l’aide du microphone intégré voire dans certains cas par le biais du haut-parleur, se sont déjà essayés à cet exercice. Certains smartphones sont eux aussi suspectés de se livrer à ce genre d’espionnage.

Quand bien même Google finirait par apporter aux autorités de protection des données personnelles toutes les garanties requises sur l’utilisation des sons enregistrés par Nest Guard ou Google Mini, il reste le risque de piratage. Celui-ci est d’autant plus prononcé que l’on a découvert un peu par hasard l’existence de microphones intégrés dans ces appareils. Des hackers avaient-ils découvert leur existence auparavant et les avaient-ils activés pour voler des informations et se livrer à des escroqueries ? En tout cas, la dissimulation de microphones ou d’autres accessoires dans des systèmes destinés à prendre place dans nos foyers n’est pas compatible avec des pratiques respectueuses de notre sphère privée, et Google continue de nous devoir des explications.

Jean Lasar
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