Candidature possible de Juncker pour la présidence de la Commission européenne

Jean-Claude et l’intérêt national

d'Lëtzebuerger Land vom 17.06.2004

« Non. » Bien sûr, M. Juncker. « No. » Comme tu dis. « Niet. » Absolument, Monsieur le Premier ministre. « Neen ! » Oui, Jean-Claude, on sait, mais maintenant que ces élections sont passées, parlons de choses sérieuses. Dimanche soir, le téléphone de Jean-Claude Juncker ne sonnait pas seulement pour le féliciter. Le Premier ministre sortant et magistralement réélu du Luxembourg n’avait pas plus tard que samedi dernier dicté au Financial Times un dernier « Nein! Non! No! Neen! » en réponse à sa possible candidature pour la présidence de la Commission européenne. La pression sur le doyen du Conseil européen s’est néanmoins maintenue avant comme après la clôture du scrutin de dimanche. Si l’ambition ne suffit pas, les Schroeder et Chirac de cette Europe essaient de prendre Jean-Claude Juncker aux sentiments : « On a besoin de toi. » Il y a dix ans, Jacques Santer n’avait pas pu résister au même appel de son ami Helmut Kohl. La course au poste de président de la Commission européenne est ouverte depuis au moins un an. Et pourtant aucun successeur potentiel à Romano Prodi ne réussit à faire l’unanimité. Sauf un : « Si Jean-Claude Juncker avait voulu, l’affaire serait réglée, expliquait il y a deux semaines Bertie Ahern, le Premier ministre irlandais qui préside le Conseil européen de ce week-end. Tout le monde le voulait. » Tony Blair, le Premier britannique, n’a certes pas trop dû se reconnaître dans cette remarque, mais il est connu que Juncker pourrait s’imposer sans trop de problèmes. Ce qui le différencie d’autres « papabiles » : les belges Guy Verhofstadt et Jean-Luc Dehaene, les britanniques Chris Patten et Donald Sutherland, le portugais Antonio Vitorino, les irlandais Bertie Ahern et Pat Cox ou encore l’autrichien Wolfgang Schüssel. Beaucoup de règles définissent le choix d’un président de la Commission, et peu sont écrites. Le Conseil européen limite sa recherche largement aux siens, c’est-à-dire à un chef de gouvernement ancien ou en exercice. La France exige qu’il parle la langue de Molière. Les Anglais n’ont certes pas de veto mais s’attendent à ce que leurs objections soient prises en compte. Au Parlement européen, qui doit confirmer le président, le groupe politique le plus large, les chrétiens-démocrates, exigent qu’il s’agisse d’un des leurs. De manière générale, ce serait au tour d’un conservateur d’un petit pays après le socialiste italien Prodi. Jusqu’ici, seul Juncker semble sortir intact de ce labyrinthe. Or, à la mise sous presse de ce supplément, l’heureux élu tenait bien. Une décision a par contre déjà pu tomber hier jeudi lors d’un dîner commun des membres du Conseil européen. Lundi, Schroeder et Chirac semblaient avoir finalement accepté qu’un homme politique puisse tenir à ne pas rompre une promesse faite à un pays de seulement 450 000 habitants. Ils laissaient filtrer que leur candidat s’appelle Verhofstadt. Principal problème : les Anglais s’opposent encore plus à lui qu’à Juncker. S’y ajoute que le libéral flamand vient de prendre une raclée aux élections régionales belges, dimanche dernier. La presse belge a recommencé à spéculer sur les chances du chrétien-démocrate Jean-Luc Dehaene. Il a une revanche à prendre : il y a dix ans, sa candidature avait échoué face à un veto britannique. Si à la publication de ces lignes aucune décision n’a été prise, un autre scénario devient possible. Le Conseil reporte la nomination du nouveau président. En attendant, la pression sur Jean-Claude Juncker serait augmentée encore de l’un ou l’autre cran jusqu’à ce qu’il obtempère. Dans l’intérêt national, pour sauver l’Europe ou quelque chose du genre. Rien n’est impossible.

Jean-Lou Siweck
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