Plan hospitalier

Casus belli

d'Lëtzebuerger Land du 03.05.2001

En catimini, le gouvernement a adopté, début avril, le règlement grand-ducal établissant le plan hospitalier national finalement publié au Mémorial A n° 49 du 27 avril 2001. Le règlement grand-ducal est donc, et ce malgré une opposition politique et syndicale féroce, en vigueur.

Il aura fallu, en fin de compte, deux jours au ministre de la Santé, Carlo Wagner (PDL), pour analyser l'avis que le Conseil d'État a rendu le 5 avril et soumettre le texte proposé par le Conseil d'État au gouvernement qui l'a approuvé le 7 avril, lors de son conciliabule au château de Senningen. La dernière charge du parti socialiste, qui s'est basé justement sur l'avis du Conseil d'État pour vilipender le texte et la politique gouvernementale en matière de santé, aura donc été vaine : la décision était prise.

Le texte du règlement remanié par le Conseil d'État correspond , en ce qui concerne le fond, au texte soumis pour avis par le ministère de la Santé. Les changements y apportés sont de nature technique et juridique. Cependant, dans ses considérations générales qui ne sont pas contraignantes, le Conseil d'État n'y est pas allé de main morte - revendiquant e. a. une loi formelle pour instituer le plan hospitalier, « permettant un débat démocratique au sein des instances législatives » au vu du lourd engagement financier de l'État (80 pour cent des investissements hospitaliers). Plus préoccupant, des investissements autorisés par la loi du 21 juin 1999 « ne répondent plus aux choix politiques prévus dans le cadre du projet de plan hospitalier sous revue ». Finalement, le Conseil d'État se soucie des effets de la rationalisation des lits aigus, une rationalisation qui doit « aller de pair avec une amélioration au niveau de l'organisation des hôpitaux, une meilleure structuration des services, la validation des services prestés au regard des normes de qualité et un accueil permettant au patient de faire valoir ses droits ».

Mais comme à son habitude, lorsqu'il s'agit du plan hospitalier et autres textes législatifs ayant trait au secteur de la santé, le Conseil d'État a haussé le ton, mais ne s'est pas opposé à sa promulgation. Déjà, lors des avis qu'il a rendu au sujet de la loi autorisant l'État à participer au financement de la modernisation, de l'aménagement ou de la con-struction de certains établissements hospitaliers (finalement votée in extremis avant les élections législatives le 21 juin 1999), le Conseil d'État s'était fait un vilain plaisir d'énumérer toutes les imperfections, contradictions voire illégalités du projet de loi - sans toutefois s'opposer formellement au texte (voir l'article « Le plan hospitalier n'existe plus » dans d'Land du 7 mai 1999 ou sur www.land.lu).

Soit. Fait est que le règlement grand-ducal instituant le plan hospitalier national est en vigueur, avec la réduction du taux de lits aigus à cinq pour mille habitants, avec la répartition géographique des hôpitaux de proximité et ceux généraux ainsi que des services nationaux. Des défendeurs et pourfendeurs du plan hospitalier, le son de cloche n'a pas changé depuis le moratoire décidé par le nouveau gouvernement dès son entrée en fonction, seulement, les attaques sont devenues plus dures, les positions plus extrêmes : ici le ministre de la Santé qui se justifie - ou se fait justifier - qu'il n'« y aura pas de réduction de lits hospitaliers », étant donné que par la création de lits gériatriques supplémentaires, le nombre de lits hospitaliers  ainsi libérés va même aller croissant ; là, les socialistes qui vilipendent le plan hospitalier à cause de la « réduction des lits et des services et donc des conséquences néfastes pour le patient » qu'il comporte. Entre-temps, le plan hospitalier a même amplifié la fissure de la scène syndicale : pour l'OGB-L et son chef de file John Castegnaro, le plan hospitalier, aussi à cause des répercussions qu'il aura pour les salariés du secteur hospitalier, vaut même une grève générale, tandis que le syndicat chrétien LCGB s'est prononcé en sa faveur

Quant au Premier ministre Jean-Claude Juncker, et son parti chrétien social, ils semblent tout faire pour ne pas se retrouver en première ligne de ce dossier. Juncker, bien qu'il cautionne toutes les décisions du ministre de la Santé Carlo Wagner par sa fonction de chef de gouvernement, s'empresse de faire croire à sa neutralité dans l'affaire. Or, si le POSL doit accepter le reproche d'être impliqué dans la situation actuelle du secteur hospitalier à cause de sa participation au gouvernement pendant quinze ans lors desquelles il était en charge du ministère de la Santé, le PCS est encore davantage impliqué. D'abord, il fut un des architectes du plan hospitalier précédent - la cause de tous les maux à croire le PDL -, ensuite, son effort pour les hôpitaux congréganistes qui, dépendants de l'archevêché, lui sont proches, en fait un acteur de premier rang dans la polémique actuelle. Et ce des deux côtés, les hôpitaux congréganistes, le futur hôpital du Kirchberg en tête, étant eux aussi profondément opposés à une réduction de lits qui leur serait préjudiciable. Ce dont l'éditorial du Luxemburger Wort du 20 avril s'est largement fait l'écho. À voir si la tactique du Premier ministre et de sa fraction gouvernementale n'est pas de lâcher le partenaire de coalition PDL avec « son » plan hospitalier si les oppositions devenaient trop pressantes et de se retrouver, le cas échéant, avec une veste blanche dans l'affaire.

En attendant, le règlement grand-ducal établissant le plan hospitalier devra être republié au Mémorial A : la version promulguée du plan hospitalier attribue en effet le Centre national de rééducation fonctionnelle et de réadaptation à la région hospitalière du Nord et fait la part belle à l'Hôpital congréganiste du Kirchberg qui disposerait de 377 lits au lieu des 337 prévus initialement.

Comme par hasard, les deux erreurs dans le texte - qui est celui en vigueur - touchent à deux des éléments les plus sensibles du plan hospitalier. Le débat n'est donc paut-être pas encore clos.

 

marc gerges
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