La commission juridique du parlement va commencer la grande réforme sociétale par le mariage. La responsabilité parentale, la filiation, l’adoption et le divorce suivront

Label mariée

d'Lëtzebuerger Land vom 20.01.2012

L’institution du mariage se lit comme la bible ou le coran : en la mettant dans son contexte historique. Au risque de s’immobiliser par une lecture trop orthodoxe ou bien d’en faire une coquille vide – le mariage, sous sa forme actuelle, présente des symptômes de cette volonté, de plus en plus mal vécue, de soumission des individus aux normes au lieu de l’inverse. Ce qui fut jadis un instrument important de régulation et de contrôle de la société est devenu un carcan aujourd’hui difficilement justifiable. Qu’une réforme du code civil datant de l’ère napoléonienne s’impose ne fait pas de doute, mais par où commencer ?

L’entreprise est périlleuse, admet le député CSV Paul-Henri Meyers, rapporteur du projet de loi ayant pour objet de modifier l’âge légal du mariage et d’abroger les délais de viduité : « Le mariage est devenu une imposante construction et si nous commençons à retirer des éléments des fondations, nous risquons l’écroulement. Ce qui est certain, c’est que l’instrument n’est plus à jour, mais la difficulté est de garder une vue d’ensemble pour déceler les points qu’il faut adapter. » Il faut aussi éviter les oublis et les incohérences – c’est en gros le message redondant du Conseil d’État dans ses différents avis, qui pointe aussi du doigt les incompatibilités entre les différents projets de loi venant du gouvernement, comme si une main ne savait pas ce que faisait l’autre.

La commission juridique est actuellement saisie de cinq projets de loi concernant le mariage, le divorce, l’adoption et la filiation1. Un autre concerne les déclarations de naissance à l’état civil et les donations. La prochaine réunion aura lieu mercredi. « Nous ne pouvons pas les considérer séparément, sinon nous risquons de devoir recommencer à changer le code civil dans six mois, explique Paul-Henri Meyers, c’est une question de sécurité juridique. C’est la raison pour laquelle nous devons commencer par le mariage. » Cependant, le projet de loi sur le mariage des personnes de même sexe n’a pas encore été avisé par le Conseil d’État. Le député insiste d’ailleurs sur l’utilisation du terme neutre « de même sexe », au lieu de mariage « homosexuel », qui revêt selon lui une connotation négative. Dans ce projet, ce n’est pas tellement le fait d’ouvrir le mariage qui fait mouche, c’est davantage le sujet de l’adoption qui chauffe les esprits voir d’Land du 3 mars 2011). Sur le premier point, tous les partis sont tombés d’accord, de sorte qu’il a été décidé de scinder les deux aspects : mariage et adoption, pour ne traiter d’abord que du premier sujet. La question qui fâche est donc relayée à plus tard, sous le chapitre de la filiation.

Pour faire avancer la barque, les députés entendent organiser une coopération plus pragmatique entre gouvernement, parlement et Conseil d’État. « Le président du Conseil d’État a récemment déclaré dans une interview au Quotidien qu’il fallait se concerter plus souvent de vive voix au lieu de faire des navettes et d’attendre des avis, ajoute Paul-Henri Meyers, nous avons attrapé la balle au bond en fixant une réunion qui aura lieu bientôt avec le ministre de la Justice et les conseillers en charge de l’analyse des projets de loi. » Une solution certes pragmatique, mais qui pose aussi la question de la séparation des pouvoirs et de la nécessaire distance qui garantit l’indépendance des différents acteurs. Une opposition formelle, ça va mieux en l’écrivant.

Reste à régler les particularités du divorce : faute ou pas faute ? La question n’est toujours pas tranchée et la position de Paul-Henri Meyers de régler certains points cruciaux dès le départ, même avant la célébration du mariage, rejoint les visées de Christine Doerner (CSV), la rapportrice du projet de loi sur la réforme du divorce (voir d’Land du 16 avril 2009).

Et de relancer le sujet qui fâche : l’accès à la sécurité sociale, des droits de pension équitables, adaptés aux curriculum. « Dans les années 1980 j’avais déjà lancé l’idée qu’il fallait considérer l’histoire du couple lors du divorce, se souvient le vieux routier du CSV, si un conjoint a interrompu sa carrière professionnelle pour les besoins du ménage, il doit obtenir une compensation pour racheter ses droits à la pension. Le partage des biens ne se ferait qu’après avoir réglé cette question. Cette solution aurait été très simple à mettre en musique, même si elle n’était pas parfaite. Si on ne se décide jamais à lancer un nouveau modèle, on ne peut pas l’améliorer. » Il reste persuadé qu’à la longue, les conjoints auraient compris qu’ils feraient mieux de continuer à cotiser pour les deux au lieu de se fier à la perpétuité du couple – ce qui aurait abouti à l’individualisation des droits sociaux, qui reste un vœu pieux, même pour la génération suivante. Ça coince au niveau des droits dérivés : la pension de survie accordée aux veufs, qu’ils aient été mariés jusqu’au bout ou divorcés. « Autant abroger cette pension de survie, lance le député CSV, car il faut savoir que tous les couples ne sont pas mariés ou pacsés. Il faut en tenir compte ! » Il se souvient d’un cas où un homme était brusquement décédé, laissant derrière lui une femme et trois enfants. Or, il ne s’était plus remarié après un divorce antérieur, ce mariage était resté sans enfants. Finalement, la mère de ses trois enfants n’avait que ses yeux pour pleurer, tandis que l’épouse divorcée pouvait envisager de travailler à mi-temps, maintenant qu’elle avait droit à la pension de survie de son ex-mari. Encore heureux qu’il ait pensé à reconnaître officiellement ses enfants, car la loi fait toujours une différence entre enfants légitimes et naturels.

« Il n’est plus concevable qu’un acte comme le mariage ou le pacs soit déterminant pour l’octroi de prestations aussi essentielles de la part de l’État, s’offusque le député conservateur, je compte pousser ce débat jusqu’au bout, c’est une question d’équité. » Pourquoi ne pas s’inspirer du système américain qui considère un couple comme marié après un an et un jour de cohabitation ? « Il y a bien des raisons pour refuser cet acte, poursuit-il, et il faut respecter ces considérations personnelles. Nous ne pouvons plus nous voiler la face, car je pense que des couples non mariés sont beaucoup plus nombreux que nous le croyons. Je pense qu’ils doivent même être un tiers. »

Le problème n’est pas seulement une question de politique sociétale, il est aussi juridique. L’année dernière, la Cour constitutionnelle avait tranché une affaire de différence de traitement en matière de pension de survie. Elle avait précisé que le législateur pouvait soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents sans violer le principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi – sous condition que cette distinction soit « objective, rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but ». Il n’est pas certain que la différence d’étiquettes d’un couple – marié, pacsé ou célibataire – soit une condition suffisante pour permettre à l’État une différence de traitement de ses citoyens aussi éclatante. La question attend d’être posée.

« Est-ce que nous pouvons encore nous permettre de faire dépendre des prestations de la sécurité sociale du statut de marié ou pas ? se demande encore Paul-Henri Meyers. La seule solution envisageable est que chacun cotise individuellement. Et c’est à la société tout entière de décider si elle souhaite encourager les familles, et c’est à elle de construire un environnement favorable aux couples et à leurs enfants. » La couverture sociale doit donc s’étendre à tous les couples, quel que soit leur statut. C’est la raison pour laquelle le député propose de reconsidérer toutes les mesures, comme les chèques service ou les allocations familiales, et de les analyser selon leur cohérence.

La forme de vie en commun d’un couple est une affaire privée de laquelle l’État n’a pas le droit de se mêler. « L’État a intérêt de faire en sorte que toutes les familles soient logées à la même enseigne, pour qu’elles puissent se développer correctement, résume le député, il faut créer des espaces de liberté. Le temps est venu où la question doit être réglée définitivement et je suis persuadé que la société est prête. »

La société peut-être, mais qu’en est-il des partis ? Là, la question est loin d’être tranchée. La peur de vider de sa substance l’institution du mariage s’était déjà manifestée lors des discussions sur le partenariat, où les plus conservateurs avaient eu peur d’un mariage bis. Ce sont les partisans du « y avait qu’à ». Comme dans l’exemple cité : la deuxième femme n’avait qu’à se marier, elle aurait eu droit à la pension de survie. « Si nous commençons à raisonner comme ça, l’État devrait refuser son aide dans beaucoup d’autres situations, répond Paul-Henri Meyers, un exemple est le surendettement, il y en a beaucoup d’autres encore. L’État ne peut se défaire de sa responsabilité, c’est une question de solidarité. » Et de respect.

Cependant, au niveau des décideurs, l’esprit d’initiative est mollasson. Le manque de courage s’explique certainement par l’ampleur de la tâche, mais aussi parce qu’il n’y a pas de lobby assez puissant pour allumer le feu sous les tabourets. Il n’y a rien à attendre des syndicats, qui sont attachés aux droits dérivés, ni du timide Conseil national des femmes, dont l’action se limite à émettre de temps en temps un communiqué en faveur de l’individualisation des droits sociaux. Qu’est-ce qu’on attend ?

1 Projet de loi 5914 ayant pour objet de modifier l’âge légal du mariage et les dispositions y afférentes, ainsi que d’abroger les délais de viduité et de compléter certaines dispositions du Code civil
anne heniqui
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