L’assurance luxembourgeoise aborde 2018 en position favorable

Un excercice 2017 de bonne tenue

d'Lëtzebuerger Land du 27.04.2018

Sans basculer dans l’euphorie, qui n’est du reste pas le trait dominant de la personnalité des assureurs, il est permis d’avancer que l’assurance luxembourgeoise aborde l’année 2018 dans une position remarquablement favorable. Et cela tant en raison de ses performances de l’année passée que des perspectives radieuses que lui ouvre le Brexit pour le proche avenir.

Les statistiques du quatrième trimestre 2017 publiées par le Commissariat aux assurances (CAA) attestent, selon les termes du régulateur, d’une « bonne santé de l’assurance luxembourgeoise ». De fait, l’exercice 2017 présente tous les signes d’une bonne cuvée. Et si une analyse plus fine méritera sans doute d’être effectuée à la lumière du rapport annuel du CAA, attendu pour le mois de juillet 2018, il est d’ores et déjà possible de dresser quelques constats flatteurs.

En assurance-vie, dont les ventes à l’étranger représentent quelque 90 pour cent du total des encaissements, l’année 2017 enregistre des performances positives, tant sur le plan quantitatif que qualitatif.

Le montant des primes encaissées en 2017 s’est élevé à 23,5 milliards d’euros, en progression de 15,22 pour cent par rapport à l’exercice précédent. Ces chiffres permettent de relativiser le bilan en demi-teinte des années 2016 et 2015. Et de rassurer ceux qui redoutaient une panne durable de l’assurance vie luxembourgeoise, qui a connu, depuis l’ouverture en 1990 du marché unique européen aux produits d’assurance, une croissance remarquable : on est ainsi passé d’un total des encaissements vie des assureurs luxembourgeois de 115 millions d’euros en 1990 à plus de 23 milliards d’euros en 2017 ! Surtout, les bons chiffres de 2017 confirment que le secteur a bien surmonté la disparition du secret fiscal décidée en 2013. Il est clair désormais que l’assurance vie luxembourgeoise repose sur des atouts pérennes : une règlementation équilibrée qui garantit aux clients une bonne sécurité financière tout en leur offrant une grande souplesse dans l’architecture financière des contrats ; et une expérience de l’international forgée patiemment durant un quart de siècle et qui n’a d’équivalent dans aucun autre pays européen. Ces facteurs expliquent que la place de Luxembourg soit devenue incontournable en assurance-vie, notamment pour les opérations de gestion patrimoniale d’une clientèle haut de gamme, qui trouve dans les contrats à fonds dédiés proposés par les assureurs luxembourgeois l’outil idéal pour placer ses biens et en organiser la transmission après décès dans un cadre juridiquement et fiscalement favorable.

Concernant les produits, l’assurance-vie est surtout connue du grand public pour ses contrats en euros à versements et à rachats libres, adossés à des placements obligataires. Ce produit constitue l’archétype du placement de père de famille et a conquis l’ensemble des épargnants européens. Il se trouve qu’avec la baisse spectaculaire et persistante des taux d’intérêt sur les marchés, la rémunération des contrats d’assurance-vie en euros est devenue famélique. Une récente lettre-circulaire du CAA fixe à 0,50 pour cent le taux annuel maximum que les assureurs sont autorisés à garantir. Dans la réalité, les assureurs luxembourgeois ne promettent plus guère de rendement sur les contrats en euros : ils se contentent de garantir le maintien du capital versé. Et même avec ces restrictions, les assureurs restent exposés à de graves risques financiers en cas de remontée brutale des taux d’intérêt : celle-ci pourrait entraîner, en effet, des vagues de rachat obligeant les assureurs à vendre à perte leurs obligations en portefeuille. C’est pourquoi le CAA recommande depuis plusieurs années déjà aux assureurs de privilégier la vente de contrats d’assurance-vie en unités de compte, autrement dit de contrats exprimés en placements financiers dont les variations boursières sont répercutées à la hausse comme à la baisse sur la valeur du contrat ; et dont les risques sont ainsi supportés entièrement par le client. Or, les années 2015 et 2016 avaient, à rebours de cette recommandation, enregistré chez les assureurs-vie luxembourgeois une croissance des contrats en euros par rapport aux supports en unités de compte. L’exercice 2017 a permis une correction de cette anomalie : l’assurance-vie en unités de compte y a progressé de 28 pour cent ; tandis que l’assurance vie en euros a diminué de onze pour cent et ne représente plus que vingt pour cent des encaissements en unités de compte. Il s’agit là d’une évolution vertueuse saluée par le régulateur.

En assurance non-vie, les encaissements ont connu une évolution moins spectaculaire qu’en assurance-vie. Avec un montant global de primes de 3,6 milliards d’euros collecté en 2017, la progression est de 4,43 pour cent par rapport à l’exercice précédent. Le marché domestique, qui n’est guère exposé à la concurrence internationale, a connu une croissance des primes de 3,81 pour cent, supérieure à l’inflation. Plus intéressante à noter est la part croissante prise par les activités internationales : celles-ci ont représenté en 2017 plus de 72 pour cent du total des primes non-vie. L’activité internationale des assureurs non-vie luxembourgeois recouvre principalement l’assurance maritime, l’assurance caution et, phénomène d’apparition plus récente, l’assurance dommages « grands risques » des entreprises. Cette dernière, commercialisée par voie de succursales auprès d’une clientèle internationale « corporate », s’est particulièrement développée depuis que le groupe Swiss Ré a établi à Luxembourg, en 2008, sa plate-forme européenne d’assurance destinée à servir ses clients établis dans divers pays de l’Union. C’est là une évolution favorable : les affaires internationales non-vie constituent une diversification bienvenue, puisqu’elle réduit la dépendance du secteur à l’assurance-vie internationale, par nature plus exposée aux aléas de la conjoncture et donc plus instable.

Si l’on ajoute que le secteur des assurances directes a enregistré en 2017 une progression importante de ses résultats, qui atteignent le chiffre record de 492 millions d’euros (en croissance de 45 pour cent par rapport en 2016), on aurait tendance, avec le Docteur Pangloss, à considérer que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. D’autant que, comme on va le voir, la sortie du Royaume Uni de l’Union européenne vient encore élargir l’horizon de l’assurance luxembourgeoise.

Des perspectives de croissance ouvertes par le Brexit

Officiellement déploré par les autorités gouvernementales, le Brexit n’en va pas moins produire des retombées positives pour l’industrie locale de l’assurance. Les entreprises opérant à l’international qui s’étaient établies à Londres se trouvent en effet contraintes de choisir une autre juridiction située au sein de l’Union européenne pour conserver les bénéfices du passeport européen. Et Luxembourg a d’ores et déjà ramassé une mise conséquente en obtenant que plusieurs compagnies, actuellement basées à Londres, viennent s’établir au Grand-Duché.

Dans une interview donnée en novembre 2017 au journal allemand Börsenzeitung, le directeur du CAA Claude Wirion a indiqué que trente groupes d’assurance avaient manifesté de l’intérêt pour Luxembourg et avaient engagé des discussions avec l’instance de régulation. Dix de ces entreprises se sont engagées en faveur de Luxembourg, tandis que les vingt autres ont soit choisi une autre implantation (Bruxelles, Dublin), soit n’ont pas encore pris leur décision. Les dix entreprises ayant choisi Luxembourg – et dont certaines ont déjà obtenu leur licence – vont opérer dans l’assurance non-vie. La plupart d’entre elles sont américaines (AIG, FM Global, Liberty, CNA Hardy, Hiscox). On relève également deux groupes japonais (Tokio Marine, Aioi) et le britannique RSA.

Cette situation entraîne deux questions : Comment s’explique cet engouement pour le Luxembourg ? Et que va représenter l’arrivée de ces nouveaux acteurs ?

Comme l’a indiqué Claude Wirion, l’attrait principal de Luxembourg réside dans son expérience avérée dans les différents domaines de l’assurance internationale, avec ce que cela implique comme présence locale de toutes les compétences professionnelles requises. Il ajoute, avec juste raison, que l’existence à Luxembourg d’un régulateur concentré sur l’assurance, qui s’applique à être réactif et accessible, constitue un facteur apprécié par les dirigeants des groupes d’assurance.

Quant aux résultats à attendre de ces nouvelles arrivées, le CAA estime à ce stade qu’elles vont entraîner une multiplication par trois de l’activité internationale non vie. Ce qui est considérable ; et viendra opportunément renforcer le rééquilibrage de l’assurance luxembourgeoise en faveur des branches non vie.
Bref, le Brexit fait figure d’aubaine pour la place luxembourgeoise. Et conduira sans doute certains à penser que ces Luxembourgeois sont décidément fort habiles : dans les années 1990, ils ont su tirer parti de la construction du marché unique européen ; et un quart de siècle plus tard, ils tirent bénéfice de sa déconstruction provoquée par le départ du Royaume Uni.

Gérard Klein
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