Naturpark Öewersauer

Déi vum Séi

d'Lëtzebuerger Land du 13.03.2003

« Success Story » : le terme est abondamment utilisé pour décrire le « Naturpark Öewersauer ». Au moins au niveau de la marque « vum Séi », c'est incontestable. Que ce soit du thé, de la viande ou encore des pâtes à l'épeautre, les produits du lac de la Haute Sûre sont reconnus pour être de qualité. C'est peut-être même le seul label luxembourgeois couvrant toute une gamme de produits à bénéficier d'un tel prestige.

 

Lundi dernier, Marco Schank (CSV), bourgmestre de Heiderscheid et président du syndicat Naturpark Öewersauer, avait invité les sept communes participantes pour tirer un bilan, dix ans après le vote de la loi relative aux parcs naturels. La création juridique du parc naturel de la Haute Sûre n'est en fait intervenue qu'en 1999, même si les premières initiatives qui ont mené au syndicat datent de la fin des années 80.

 

L'objectif du parc naturel consiste dans la mise en valeur des ressources naturelles et culturelles de la région afin de soutenir son développement économique et social. Les trois principaux domaines d'activités concernent l'agriculture, l'environnement et le tourisme.

Quelque 80 pour cent des 120 exploitations agricoles des sept communes collaborent aujourd'hui d'une manière ou d'une autre avec le syndicat du Naturpark, selon Marco Schank. Le soutien à l'élaboration de plans de fumure est apprécié dans la région du plus important réservoir d'eau potable du pays. Le concept du parc naturel, avec l'accent mis sur des critères de qualité régionaux, intéresse surtout les petites ou moyennes entreprises agricoles. Les grandes s'orientent volontairement au marché mondial.

 

Près de quarante agriculteurs produisent soit leur viande, soit des thés et herbes, soit de l'épeautre selon les conditions du parc naturel. Commercialisés de manière directe et sur le marché local, ces produits bénéficient du grand avantage d'échapper aux lois des prix mondiaux de produits agricoles. Les marges sont dès lors bien plus intéressantes (de quelque quinze pour cent selon la fondation Oekofonds) que pour des céréales, par exemple. « La production de thé n'est certes qu'une activité parmi d'autres pour un agriculteur, explique Marco Schank, mais une activité intéressante puisque la demande dépasse toujours l'offre. » 

 

Cette recette fonctionne moins bien dès que la production entre en concurrence sur le marché mondial. La production d'orge brassicole souffre ainsi depuis plusieurs années de la chute des prix pour cette matière première. Même si un accord existe avec la brasserie Simon de Wiltz, les producteurs du parc naturel n'y échappent pas. Le concept est dès lors en train d'être revu. Une solution envisagée est d'en renforcer encore le caractère local en dotant la région de sa propre malterie.

 

En matière de protection de l'environnement, le Naturpark a engagé un conseiller écologique et dispose depuis peu d'une station biologique. L'ensemble des initiatives du parc, notamment dans le domaine culturel, visent aussi à soutenir le tourisme dans la région. L'investissement le plus important était sans doute la restauration de la « Duchfabrik » d'Esch-sur-Sûre, qui abrite aussi les services du syndicat.

 

Or, en matière de tourisme, le parc naturel serait encore bien trop timide, selon Arthur Schockmel (DP). Le bourgmestre de Goesdorf est en principe enthousiaste pour le projet du parc naturel et d'ailleurs intéressé à y faire adhérer sa commune. Il voit toutefois un rôle plus important pour le syndicat dans la promotion du tourisme de masse dans l'Oesling. « Tous les projets qu'on a vus pour l'instant sont très bien, explique le maire, mais au niveau du nombre de nuitées dans les hôtels de la région, le parc n'a pas encore eu d'impact. » Seule une démarche décidée et conséquente promouvant le tourisme et la commercialisation directe de la production agricole per-mettrait de compenser par de nouvelles activités économiques les contraintes liées au parc naturel et au lac de la Haute Sûre. 

 

Le projet fétiche d'Arthur Schockmel est depuis des années la construction d'une grande piscine de loisir. « Nous n'avons jusqu'ici ni été abordé pour la construction d'une piscine ni pour celle d'une piste de ski artificielle, » expliquait lundi Marco Schank, qui n'est pas nécessairement convaincu par ces idées. Un promoteur d'un grand hôtel orienté « wellness » serait par contre le bienvenu au Stau. 

 

Le bourgmestre de Goesdorf ne veut pas attendre le syndicat du parc naturel. Il a réussi à dénicher un promoteur privé prêt à financer le projet. La piscine serait localisée à Büderscheid (Bitscht) à quelques kilomètres d'Esch-sur-Sûre. Bien qu'il s'agisse d'une initiative privée, les écoliers de la région pourraient aussi profiter des nouvelles infrastructures. La présentation officielle du projet serait pour les semaines à venir.

La ville de Wiltz est aussi intéressée à se joindre au syndicat, selon Marco Schank. Le trou béant dans la carte du parc naturel n'est par contre pas prêt d'être bouché. Quand le projet a été lancé officiellement, en 1999, les communes de Rambrouch et Wahl avaient fait faut bond à leurs partenaires de Boulaide, Ell, Esch-sur-Sûre, Heiderscheid, du Lac de la Haute Sûre, de Neunhausen et de Winseler. À Rambrouch, l'opposition était et reste farouche. À Wahl, c'est plutôt une question de manque d'intérêt. « Nous ne sommes pas opposés par principe, explique Jean Ferber, élu bourgmestre de Wahl après la constitution du parc. Mais alors que nous connaissons le coût d'une participation, nous ne savons pas ce qu'elle nous apporterait. »  Faute d'activités de tourisme dans la commune, l'intérêt concret aux projets du Naturpark est réduit dans sa commune.

 

Comme toujours, c'est l'argent qui est le nerf de la guerre. D'autant plus que les philosophies varient fortement. Le syndicat Naturpark Öewersauer est aujourd'hui co-financé par les communes participantes et l'État. Le ministère de l'Intérieur prend à sa charge jusqu'à 80 pour cent des salaires des sept employés du « Naturparkzentrum ». Dans le budget 2003, la participation de l'État aux frais s'élève à plus de 310 000 euros. S'y ajoutent les dépenses pour des projets concrets, à l'exemple de la construction future d'une station d'épuration régionale au Heiderscheidergrund. Et, alors que les uns s'inquiètent d'un éventuel retrait de l'État, d'autres jugent le poids de l'État dans le projet nocif.

 

À Goesdorf, Arthur Schockmel plaide pour un financement indépendant du budget de  l'État : « Nous n'avons pas besoin d'aide au développement. » Or, son idée de financer le parc en partie par une taxe sur l'eau potable, le fameux « Waasserfrang », s'est jusqu'ici révélée politiquement irréalisable. Même si la dépendance de plus en plus de communes de l'eau du lac artificiel est en train de faire évoluer les mentalités, selon le ministre Michel Wolter.

 

Une ombre sur le parc naturel reste le fait qu'il s'est construit en premier lieu sur des subsides. Des programmes Leader jusqu'au syndicat « Naturpark Öewersauer », le projet ne s'est jamais financé lui même. Cela provoque évidemment les inévitables rumeurs et reproches sur le gâchis de deniers publics. L'exemple du parc naturel allemand de la Südeifel, qui a dû réduire son personnel faute de moyens, pèse aussi. La politique de subsides rend quasi impossible de tirer un bi-lan économique réel de l'expérience. Surtout puisque, par ex-em-ple, les chiffres d'affaires des différentes associations « vum Séi » ne sont pas publics.

 

Pour confirmer son succès, le Naturpark devra réussir à devenir un pôle d'attraction pour de nouvelles activités économiques. En ce qui concerne de nouvelles entreprises dans les sept communes, on cite au lac surtout les commerces établis au Pommerloch, concèdant toutefois immédiatement que ce n'est pas le bon air qui les a attiré. En matière de tourisme, les promoteurs du parc sont tiraillés entre deux objectifs : maintenir le niveau de qualité actuel de leurs projets d'une part et augmenter l'attraction du parc naturel pour un grand nombre de visiteurs de l'autre.

 

Jusqu'ici, c'est la qualité qui semble primer, ce qui résulte aussi dans un certain élitisme. Mais au moins, on a réussi à maintenir la qualité. L'association « Gourmet vum Séi », qui propose des menus gastronomiques originaux sur base de produits typiques de la région, a cependant dû réduire le nombre de restaurants participants. La création d'une boucherie dédiée au « Véi vum Séi » visait de même en premier lieu de reprendre le contrôle sur la provenance et la qualité de la viande commercialisée. 

 

D'un point de vue commercial, cette approche semble en tous les cas réussir au « Buttik vum Séi ». La petite épicerie à Eschdorf devrait laisser la place à une véritable zone commerciale réunissant plusieurs magasins. Une épicerie, une boulangerie et une boucherie devraient occuper ensemble un terrain à l'entrée de Heiderscheid. Le projet a déjà été soumis aux ministères de l'Intérieur, de l'Économie et de l'Agriculture en vue d'un co-financement. Les travaux pourraient commencer en automne. 

 

Dans un esprit d'animation, les clients devraient pouvoir assister en direct aux processus de production, explique Christine Lutgen, la nouvelle directrice du Naturpark. Dans le cadre du projet « Bléi vum Séi », qui a jusqu'à présent donné naissance à une huile de bain, une manufacture de cosmétiques pourrait être installée au même endroit.

 

Le Naturpark Öewersauer a à coup sûr eu un démarrage encourageant. S'il s'agit vraiment d'une « success story » devra toutefois encore se confirmer au long terme.

 

Jean-Lou Siweck
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