Après plus de trente ans d'existence, le Centre Pompidou à Paris suscite toujours des commentaires négatifs d'une partie du grand public qui, nonobstant son aversion de la façade «en tuyaux de gaz» sur la rue Beaubourg, utilise avec joie les escalators sur la Piazza pour s'extasier de la vue panoramique sur Paris. Les professionnels de l'architecture regrettent eux les cloisonnements des plateaux libres d'exposition remaniés et la disparition de la pénétration de la rue à l'intérieur du rez-de-chaussée, signes de l'embourgeoisement de «la machine culturelle» issue du vent de liberté de Mai 68 et qui faisait de l'uvre des jeunes Renzo Piano et Richard Rogers un melting-pot artistique et sociologique quasi révolutionnaire et unique en son genre.
Il est vrai que depuis, les institutions culturelles ont pris des chemins plus commerciaux et rentables mais non moins intéressants sur le plan architectural. Pour le Musée Guggenheim, le Californien Frank O. Gehry, à Bilbao, a imaginé une baleine ludique échouée dans le port de la ville de Galice revivifiée. C'est avec beaucoup plus de sérieux que les Suisses Herzog [&] Demeuron ont transformé un signe industriel fort, historique dans la ville, pour la Tate Modern à Londres. Enfin à Paris, avec le Palais de Chaillot, la culture institutionnelle imite celle alternative des squats d'artistes, avec l'intervention juste de colmatage des Bordelais Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, dans un chantier jamais terminé. De la part des professionnels de l'art, ces différentes approches architecturales suscitent toujours débat comme le fit Beaubourg en son temps mais le fait est là: ces institutions ne désemplissent pas.
Aussi, suite à une présentation par le Centre Pompidou des collections dans les régions françaises tout le temps que dura la restauration du «navire amiral» et au vu du succès de l'opération, celui-ci a décidé d'installer une antenne fixe de Beaubourg en province. Et c'est à Metz que le public pourra accéder de manière permanente aux trésors d'art moderne et contemporain qui ne peuvent être exposés à Paris faute de place. On ne s'attardera pas ici sur la «coïncidence» du choix de cette ville vu les attaches du ministre de la Culture français Jean-Jacques Aillagon dans la région ni sur le fait qu'il l'aurait choisie pour succéder au maire actuel Jean-Marie Rausch, aux prochaines élections municipales. Toujours est-il que celles-ci coïncideront effectivement, en 2007, avec l'ouverture du Centre Pompidou-Metz et l'arrivée du très attendu TGV Est.
Cette synergie fera en tout cas de Metz un pôle culturel renforcé, riche déjà de la très fréquentée salle de concerts et de danse contemporaine à l'Arsenal remanié par Ricardo Bofill quand l'Opéra-Théâtre (le plus vieux de France) semble connaître un nouvel engouement avec une programmation dépoussiérée. On ne s'interrogera pas non plus ici sur les arguments qui ont été ceux de l'architecte Richard Rogers, un des pères du Beaubourg parisien, invité au jury, qui a choisi à l'unanimité le projet du Japonais Shigeru Ban, associé à Jean de Gastines (Paris) et Philip Gumuchudjian (Londres). Mais celui-ci semble ouvrir une nouvelle voie architecturale.
Si les projets des ténors conceptuels Herzog [&] Demeuron et Dominique Perrault sont apparus comme trop classiques et compacts, ceux des Hollandais Nox et des Français Stéphane Maupin et Pascal Cribier avaient un petit quelque chose qui, comme le projet gagnant, rappelle le monde fantastique d'où est issue la maison-mère parisienne: celui du groupe futuriste anglo-saxon des années 1960 Archigram. On retrouve cette vision «pop» et joyeuse, qui avait comme caractéristique plus profonde d'être détachée des contraintes au sol (ainsi le projet utopiste Walking City) chez Ban qui fascine l'Occident depuis sa réalisation en matériaux recyclables pour la pavillon japonais à l'Expo universelle de Hanovre.
Cet esprit «fun», transculturel et écolo, caractérise également le projet pour le Beaubourg messin. Ban dans sa présentation, fait ainsi référence au chapeau asiatique en bambou tressé utilisé par les paysans dans les rizières. De fait, la grande structure qui constituera l'enveloppe sera un maillage en toile de fibre de verre et Téflon porté par une structure à double courbure en acier galvanisé tenue par une flèche centrale et six pieds en pourtour de la nappe hexagonale à la base. L'ensemble (12000 mètres carrés au total et 6000 mètres carrés pour les expositions) donne donc une impression de légèreté et promet une liberté d'usage (à rez-de-chaussée, accueil projections, performances, conférences, cafétéria) qui pourra s'étendre ou se transformer «en fonction du temps, de la muséographie comme on change de vêtement grâce à des stores, des écrans, des portes coulissantes, des rideaux de théâtre»...
Surtout, le projet sera construit dans le quartier de l'Amphithéâtre actuellement coupé du cur de la ville, car situé à l'arrière de la gare de Metz. Il lui apporte une nouvelle dynamique (avec le Palais des sports) grâce à un passage qui rendra le Centre Pompidou-Metz accessible via la gare, depuis le centre. Les abords immédiats, aménagés en parc paysager, confèrent de plus du sens au canal et à la rivière Seille, affluent de la Moselle, aujourd'hui géographiquement quasi ignorés.
Enfin, trois galeries d'exposition suspendues de six mètres de haut pour cent de long, seront utilisées séparément ou reliées par des galeries façon passerelles d'embarquement d'aéroport. Au fur et à mesure de la montée du public vers le restaurant au quatrième étage, s'ouvrira la vue panoramique sur le paysage messin et mosellan. Ce qui n'est pas sans rappeler l'«appel» à monter - et pourquoi pas à accéder à la culture - des fameux escalators parisiens.
Les six projets concurrents sont exposés dans le hall de la Mairie de Metz, Place de la Cathédrale, jusqu'au 6 janvier 2004: ouvert du lundi au vendredi de 8 à 19 heures et le samedi de 8 heures à midi; renseignements par téléphone au: 00 333 87 55 50 00