Biennale d'architecture

Anti-bling-bling

d'Lëtzebuerger Land vom 18.09.2008

La modestie paye parfois. Pour sa troisième présence à la biennale d’architecture de Venise, qui s’est ouverte le week-end dernier, la Fondation de l’architecture et de l’ingénierie (FAI), qui y représente le Luxem­bourg, revendique une présence modeste mais rigoureuse. Et se fait remarquer parmi les dizaines de pavillons et expositions thématiques : « Luxembourg’s exhibition could not be more minimalist (...), » écrivait le très sérieux Guardian anglais dans la section Travel de son site Internet en début de semaine, « but the idea is intriguing for those who take the time to read about it ». Le quotidien de gauche a sélectionné 10 things to see in Venice, et le pavillon luxembourgeois y occupe la deuxième position, derrière le pavillon britannique.

« Je voulais instiguer une réflexion réelle sur l’architecture, son sens et sa fonction, » résume le commissaire de cette participation vénitienne Christian Bauer, architecte lui-même et président de la Fondation de l’architecture. Son idée était simple : et si, au lieu de produire toujours plus d’images, de rechercher le spectaculaire en architecture, on prenait du recul et on se posait les questions essentielles sur cet art incontournable ? Il a donc envoyé quatre questions qui lui semblent fondamentales à dix architectes, philosophes ou artistes internationaux – à côté des Luxem­bourgeois Enrico Lunghi, Léon Krier, Polaris et Bert Theis, il s’agit de Massimo Carmassi, Joe Coenen, Dietmar Eberle, Inge­borg Flagge, Rudy Ricciotti et Heinz Tesar. En toute logique, le pavillon s’intitule Points of view – 4 questions, 44 answers. 

Les réponses, qui ne devaient pas dépasser les cent mots, sont toutes inscrites sur un simple ruban en papier blanc qui sillonne tout le rez-de-chaussée de la Ca’ del Duca1, qui se présente tel que l’avait transformée l’artiste Jill Mercedes pour la biennale d’art l’année dernière. « Nous voulions ajouter une fine couche d’architecture sur l’art, » est l’expression de Christian Bauer. Les questions sont : 1. « Architecture : objet, logo et spectacle ? – Les architectes deviennent des designers, qui sera l’architecte de la ville ? », 2. « Vers un copier-coller global ? – Un genius loci – existera-t-il encore ? », 3. « Qui va corriger l’environnement bâti ? » et 4. « LU-LX-XL – Building-boom (aussi au Luxembourg) – chance ou danger ? ». 

Les réponses des participants sélectionnés sont aussi différentes que le sont leurs CVs, du plus sérieux, diplomatique ou académique, au plus subversif, plein d’humour. Ainsi, à la troisième question, Bert Theis répond : « The family of Hurricane Katrina ? Medium-range ballistic missiles ? Bin Laden and Al Qaida ? » et en réaction à la quatrième question, Polaris cite Woody Allen : « Money is better than poverty, if only for financial reasons ». Mais de manière générale, le ton qui domine toutes les réponses est plutôt pessimiste, très critique envers l’architecture et surtout l’urbanisme contemporains. « The truly sublime city is the European city that stood still at the end of the 19th century, » estime ainsi Rudi Ricciotti. Et Léon Krier est persuadé que la crise pétrolière et ses conséquences vont avoir des effets jusque dans l’urbanisme, qui va se réorienter vers des villes qu’on explore à pieds. Et : « The earlier architects and urban planners understand that there is no high-tech future to speak of, the better they will be prepared to confront the tasks ahead ».

Avec ses interrogations fondamentales sur l’architecture, le pavillon luxembourgeois s’intègre à merveille dans le thème général de cette onzième biennale, Out There: Architecture Beyond Building, sous le commissariat d’Aaron Betsky. Comme si l’époque du Anything goes était révolue, que, une fois la Du­baïsation de l’architecture – le toujours plus grand, toujours plus spectaculaire – poussée à son paroxysme, il y avait eu comme une implosion, une nécessaire remise à zéro des compteurs. Paradoxalement, le premier public que la FAI vise avec ses interpellations à Venise sont ...les décideurs politiques et économiques luxembourgeois. « Nous aimerions que les clients des architectes soient des clients ‘avertis’, avec une certaine formation dans ce domaine, afin qu’ils ne choisissent pas simplement des signatures prestigieuses qui imposent leur style sans se soucier du contexte, de l’existant, » espère Christian Bauer. 

Pour lui, la mission essentielle de la Fondation est de défendre « l’environnement bâti », donc l’ensemble de bâtiments, infrastructures publiques, places et parcs qui créent une ville. Toutefois, si la FAI milite pour des maîtres d’ouvrage responsables et engagés pour, par exemple, des formes d’habitat communes, plus denses, voire plus économiques, l’Ordre des architectes par contre a fait tout le contraire, en récompensant, lors du Bauhärepräis 2008, essentiellement des villas unifamiliales de luxe. Comme quoi, même les architectes n’ont pas tous la même approche. Pour être défaitiste, de toute façon, comme le rappelle laconiquement Bert Theis : « Only six percent of buildings worldwide are designed by architects ».

1 La Ca’ del Duca, une villa construite au XVe siècle et appartenant à la famille Le Gallais, est louée depuis dix ans par l’État luxembourgeois pour abriter ses participations à la biennale d’art contemporain. La FAI, qui avait loué d’autres locaux pour ses deux premières participations, l’investit cette année pour la première fois. Lors de sa visite à Venise, le week-end dernier, la secrétaire d’État à la Culture, Octavie Modert (CSV) a pu annoncer la reconduction de la convention de location pour dix ans.

La biennale d’architecture de Venise dure jusqu’au 23 novembre, pour plus d’information sur le volet international : www.labiennale.org. Le pavil­lon luxembourgeois a son propre site Internet : www.points-of-view.lu. Le livre LX Architecture par Alain Linster et Ulf Meyer, paru en coédition chez Dom Publishers et lancé à Venise, sera présenté au Luxembourg dans le cadre du Festival d’architecture, qui aura lieu du 9 au 18 octobre ; www.fondarch.lu.

josée hansen
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