Exposition

Les styles art déco

d'Lëtzebuerger Land du 04.05.2018

On ne sait plus où donner de la tête à l’époque actuelle : le design est partout. Mais ce n’est pas un phénomène nouveau, comme le montre l’exposition Art Déco au Luxembourg, qui vient d’ouvrir au Musée national d’histoire et d’art (MNHA) au Fëschmaart. Les années 1920 et 30 furent elles aussi particulièrement riches et connurent la première manifestation stylistique qui toucha un large public, au-delà des couches sociales privilégiées.

Un petit retour historique s’impose : à l’origine du XXe siècle, il y eut l’Art Nouveau – dont notre région peut s’enorgueillir d’être le berceau avec l’École de Nancy. Mais les formes organiques et végétales, hormis des édicules populaires comme les bouches du métro parisien inauguré en 1900 et des grands magasins, étaient encore majoritairement réservées à une élite. Puis vint, dans l’Allemagne des années 1920, le Bauhaus, dont l’expérience radicale marqua stylistiquement le modernisme et le style international, mais qui fut à l’époque un échec populaire, avant d’être brutalement remplacé par le style « heimisch » des nazis. À cheval entre le deux, il y eut les arts décoratifs, nés dans les années 1910 aux Wiener Werkstätte. On citera les créations exceptionnelles de Josef Hoffmann, Koloman Moser, Otto Wagner et Adolf Loos.

Mais les arts décoratifs furent véritablement popularisés par l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de Paris en 1925 et connurent dès lors un engouement universel. C’est cette histoire à travers des artisans, des architectes et la production luxembourgeoise que raconte le MNHA dans cette exposition richement documentée. Mentionnons en particulier les documents d’époque collectés par le Lëtzebuerger Architekturmusée, Anne Stauder et Alain Linster, en ce qui concerne l’architecture et les dessins d’aménagements intérieurs.

L’exposition commence par une section dédiée aux arts graphiques, car, au sortir de la Première Guerre mondiale, où les progrès techniques firent l’hécatombe que l’on sait, la paix revenue, la vitesse, promue par l’aviation civile et l’automobile, devint synonyme de dynamique. En témoigne une amusante affiche pour un diplôme de nageur, où le personnage semble littéralement plonger à pleine vitesse vers le bassin de natation dans la Pétrusse depuis la Passerelle. Elle fut créée en 1928 par Victor Engels.

La Première Guerre mondiale, encore elle, libéra les femmes des tenues corsetées, car engagées comme manutentionnaires dans les usines d’armes et sur le front comme infirmières. En témoignent quelques robes fluides dans la deuxième partie de l’exposition. Au Luxembourg, à partir de 1919, les femmes purent exercer leur droit de vote, et souveraine oblige, on peut voir ici un somptueux diadème plutôt qu’une lourde couronne enserrer le front de la Grande-Duchesse Charlotte (création de la Maison Chaumet de la Place Vendôme).

Avec une tenue, achetée dans un grand magasin (Meta-Brahm 1932-34, au coin de la Grand-Rue par l’architecte Nicolas Schmit-Noesen), il était surtout plus facile de se déplacer et de voyager. C’est l’essor du tourisme et des dîners en ville : projet de l’hôtel Kons (1934) par le même architecte, carte du restaurant du regretté Hôtel Alfa (1931), prospectus de l’Hôtel Cravat (1936) par le plus influent graphiste luxembourgeois de l’époque, Robert Mehlen. Le Luxembourg faisait sa promotion à l’Exposition universelle de Paris en 1937…

Des lieux publics aux intérieurs privés, il n’y a qu’un pas, richement documenté dans la section qui suit : mobilier et images de l’intérieur de la famille Pauly à Esch-sur-Alzette, dessins de diplômes de l’École d’artisans de l’État, où s’opposaient néanmoins deux tendances. Celle opulente et un peu prétentieuse de Pierre Kipgen, lui-même diplômé de l’école Boulle à Paris et celle aux lignes épurées d’influence autrichienne et allemande de Jean Cunot. Question… de goût et de moyens sans doute.

Sur le mobilier, on pose des objets de décoration et la faïencerie Villeroy & Boch représenta largement le Grand-Duché à l’Exposition des arts décoratifs de 1925 à Paris. Si aujourd’hui encore, quoique de plus en plus rarement, on trouve quelques pièces des années 1930 chez les antiquaires, brocanteurs et sur les marchés aux puces, on découvrira ici un éventail impressionnant des créations et de l’inventivité technique de l’époque. La collaboration avec Robj (Paris) pour des petits personnages et sujets animaliers est connue, beaucoup moins les décors en relief et à coulures de Jean Luce (années 1920), les décors abstraits, les formes géométriques, dont un étonnant cowboy quasi cubiste de Pierre Toulgouat (1930).

Art déco au Luxembourg se poursuit par une brève section dédiée au regretté cinéma Marivaux rue Zithe, souvent remanié certes, mais définitivement disparu en 1994, et s’achève sur le nec plus ultra de l’artisanat d’art. L’Église à l’époque fait fi de l’historicisme à la Charles Arendt et ose des constructions résolument modernistes : église de Merl, par Joseph Jentgen en 1937 et surtout, chapelle du Christ-Roi à Belair, par Hubert Schumacher en 1931, ainsi que l’extension de la cathédrale en 1935-38 par le même. L’architecte, en adapte de l’« art total » prôné par les Viennois et le Bauhaus, signa également les remarquables objets du culte.

L’exposition Art Déco au Luxembourg est à voir jusqu’au 4 novembre au Musée national d’histoire et d’art au Marché aux Poissons à Luxembourg-ville ; ouvert tous les jours sauf lundi de 10 à 18 heures, nocturne le jeudi jusqu’à 20 heures ; informations sur les événements et conférences : www.mnha.lu.

Marianne Brausch
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