Exposition

Folies de jardins

d'Lëtzebuerger Land du 28.07.2017

Le titre de l’exposition du Centre Pompidou-Metz promet un « jardin infini » ; promesse tenue, et le plaisir qu’on y prend n’est pas moindre. En sous-titre, on est emmené de Giverny (sachant la transformation qu’y a opérée Claude Monet à son installation) à l’Amazonie, pas moins. Mais arrêtons-nous à d’autres jardins, à d’autres bois (ou forêts), voisins dans l’exposition, et qui tous deux, Désert de Retz, à la limite nord de la forêt de Marly, comme Bosco Sacro, à Bomarzo, au nord du Latium, nous ont été révélés, (re)-découverts par les surréalistes. La végétation en avait pris possession, les pierres ne tenaient plus debout, et comme on est dans le conte, dans la féerie, le pur Dornröschenschlaf dont il fallait les sortir.

Plus près de nous que l’autre, le Désert de Retz, à une vingtaine de kilomètres de Paris, remonte à la fin du XVIIIe siècle, jardin anglo-chinois initié par François Racine de Monville qui en a fait justement son désert, endroit solitaire comme le privilégiait l’Alceste de Molière. L’attention, de mon côté, y fut attirée dans la vente aux enchères André Breton, en avril 2003, avec des tirages photographiques du groupe surréaliste, de ses membres et de leurs masques blancs. À l’époque de la visite (ou de l’occupation des lieux) par les Breton, Mansour, Toyen, bien avant les restaurations, les reconstructions, le Désert ne fut réouvert au public qu’en 2009, pas difficile d’imaginer combien cette troupe devait s’y plaire. Un paysage, un pays, comme sorti de leur propre tête. Site non encore classé monument historique, ce fut fait en 1941 quand même.

L’aristocrate bâtisseur, suivant le goût de l’époque, avait joué lui-même de l’attrait des ruines. Ainsi pour la Colonne détruite, comme le vestige d’un temple colossal, dira-t-on que sa date de construction, 1781, peut la faire passer pour annonciatrice des bouleversements à venir. Il en va de même pour d’autres fabriques, les unes encore présentes, d’autres en ruine, définitivement, ou disparues ; fabriques, dans la langue de l’époque, œuvre, ou atelier, disons simplement travail de construction d’un édifice, avec pourtant une référence au langage symbolique des francs-maçons.

L’originalité des bâtiments, l’exotisme, du pain béni pour les surréalistes, comme le souvenir des fêtes qui s’y étaient données. Cela va plus loin, même dans la note extravagante, qui appartient au maniérisme italien, avec sa part d’érotisme, dans le Parco dei Mostri, chez les monstres de Bomarzo, près de Viterbe. Et dans le temps on remonte à la Renaissance, au milieu du XVIe siècle, pour les lubies constructrices du condottiere Vicino Orsini.

Pour le Bosco Sacro, la découverte, je la dois à André Pieyre de Mandiargues, grand voyageur, grand amoureux de l’Italie, à son livre paru en 1957 avec des photographies d’André Glasberg. « […] de grands monuments bizarres, qui se trouvent en Italie, non loin d’Orte… », c’est le moins qu’on puisse dire pour ce qui vous attend, une fois la porte surmontée de l’emblème des Orsini franchie, et les deux sphinx laissés derrière vous. Une ménagerie de pierre, animaux sauvages et fabuleux, comme telle harpie à pattes de lion et queue de sirène ; un étalage de mythologie grecque.

Aujourd’hui, là encore, le parcours est fléché, c’était autre chose quand Mandiargues tombait sur ces statues « qui semblent n’avoir été taillées que pour créer l’effroi ou le trouble des sens ». On s’en doute, avec toutes ces gueules ouvertes, a fortiori cette créature moins connue, Echidna, proche peut-être de Mélusine, mais autrement scandaleuse, avec ses jambes sous forme de serpents écartées. Et puis que dire de l’Ogre, porte des Enfers, pas étonnant non plus que très vite l’émerveillement ait fait place à un désir de compréhension, à l’interprétation.

Vicino Orsini l’avait prédit, évoquant dans une lettre au cardinal Farnèse les imbéciles qui visiteront son parc sans rien y comprendre. Des historiens d’art s’y sont mis, Horst Bredekamp le premier, et dans sa suite, Renate Vergeiner, dans un livre qui vient de paraître, chez Birkhäuser. Il faudrait visiter Bomarzo à la façon dont on lit un roman d’initiation, et le jardin serait comme un soulèvement contre Dieu, l’église, le monde tel qu’il était. « Lasciate ogni pensiero », est-il inscrit à l’entrée des Enfers, à l’envers de Dante, de son « lasciate ogni speranza ». Il reste qu’il y a de quoi cogiter dans le bois sacré nouvelle manière ou, comme le suggère Mandiargues, se laisser aller à « une musique qui n’avait pu être que céleste ou terrible ».

Lucien Kayser
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