Pavillon du centenaire Esch/Alzette

Élégie

d'Lëtzebuerger Land vom 28.02.2008

À Esch-sur-Alzette, l’architecture de qualité et de renommée internationale – le bureau barcelonais Enric Miralles Benedetta Tagliabue (EMBT) fait partie de l’avant-garde européenne – et doublement primée par le Prix construction acier et le Prix luxembourgeois d’architecture en 2007 est désormais abordable au commun des mortels. Le conseil communal a décidé vendredi dernier que le Pavillon du centenaire ArcelorMittal construit par EMBT, financé par le sidérurgiste et offert en guise de cadeau d’anniversaire à la Ville, pourra désormais être loué au prix de 500 euros par jour. Sont exclues les manifestations qui pourraient détériorer les locaux et le matériel ou porter atteinte à la sécurité et à la propreté générale du pavillon ; un règlement d’ordre intérieur est à signer lors de la location. 

La Ville d’Esch a passé plusieurs heures déjà à discuter au conseil communal de ce pavillon sophistiqué dans sa structure, tout en étant ludique, léger et élégant d’aspect, mais pourtant mal aimé de certaines franges de la population et surtout de l’opposition politique, qui y voit un gouffre financier et un cadeau empoisonné. La cause de cette méfiance : la convention signée entre la Ville et Arcelor en décembre 2005, qui règle les conditions de l’échange. Le maître d’ouvrage s’y engage à construire le pavillon à ses frais et sous sa responsabilité et à conclure les contrats avec les architectes et les entreprises, sur un terrain appartenant à et mis à disposition par la Ville. Celle-ci deviendra, comme le veut le droit luxembourgeois, propriétaire du bâtiment qui s’y érige, mais le concède alors à nouveau à Arcelor par un bail emphytéotique d’une durée de 49 ans, pour une redevance annuelle de mille euros. 

En outre, la convention stipule les conditions d’occupation exactes : en 2006, le pavillon, inauguré en novembre de cette année-là, était réservé aux manifestations du centenaire, notamment une exposition sur la culture contemporaine de l’acier ; en 2007 y avaient lieu des manifestations dans le cadre de l’année culturelle et depuis le 1er janvier de cette année, la galerie Schlassgoart d’ArcelorMittal y a définitivement emménagé. 

Les discussions se sont à nouveau enflammées en décembre dernier, lors des débats sur le budget communal 2008, qui prévoit 311 000 euros pour le seul entretien et les charges de ce pavillon du centenaire, dont, selon l’échevin Jean Tonnar (LSAP), 90 000 euros pour le chauffage et l’électricité – sommes basées sur des estimations et jugées exorbitantes par l’opposition CSV. Un des passages essentiels de la convention, l’article 9, concerne en effet l’entretien du pavillon, qui est entièrement à charge de la Ville, qui « s’engage de manière générale à maintenir le pavillon en excellent état et procédera à toutes les réparations nécessaires à son entretien », y compris les grosses réparations, « sans préjudice du droit d’emphytéose concédé à Arcelor ». 

Or, en se promenant le long de la Dippach, petit ruisseau renaturé, qui longe les Nonnewisen, on se dit forcément qu’Arcelor a eu mille fois raison : le « village du centenaire » dont la Ville était tellement fière, est désertique, trois des cinq pavillons sont abandonnés et ont été la cible de vandales et artistes graffeurs en tout genre. Seuls deux des pavillons, les deux premiers, ceux qui ont été érigés et sont gérés par des sponsors privés, restent opérationnels et attractifs, celui d’ArcelorMittal et celui, certes un peu moins ambitieux côté architectural (bureau Beng), baptisé « art et gastronomie » appartenant à la brasserie Bofferding, qui y exploite un restaurant. La société-mère Munhoven a également signé une convention avec la ville d’Esch, en février 2006, sur un bail emphytéotique de vingt ans, sans toutefois que les mêmes charges n’incombent à la Ville. Ce pavillon a été taggé aussi, tout comme celui d’Arcelor par endroits, mais ces dégâts ne sont pas dramatiques.

La situation par contre l’est d’autant plus pour les trois autres pavillons, érigés et payés par la ville, pour quelque 600 000 euros : la serre en plexiglas, qui accueillait les expositions sur « Esch – ville verte » est en ruines, démolie par des jets de pierre et, visiblement, des squatteurs (conception : service développement urbain de la Ville). Le pavillon cinq, conçu par le service de l’architecte de la commune et qui était consacré aux « rencontres entre générations et migrations », le plus proche du quartier résidentiel voisin, est seulement occupé par quelques chats errants, ses parois hautes en couleurs sont taggées de toutes parts. 

Le troisième pavillon, le beau tube en tissu qui s’élance dans les airs et fait en même temps fonction de pont et de point de vue sur les champs alentour, réalisé par le bureau eschois Metaform et également primé par un Silwer Award au Prix luxembourgeois d’architecture, a été dégradé à tel point que la passerelle qui y mène, à partir de la rue, a carrément été enlevée. Anciennement réservé aux manifestations consacrées à l’économie, il est désormais inutile car non accessible. 

La nature a horreur du vide : là où aucune fonction n’occupe un bâtiment, le public en prend possession à sa manière. L’exemple du pavillon Skip du Fonds Belval, rond-point Raemerich, prouve que seul un concept d’expositions et de conférences, un programme soutenu géré au jour le jour peut remplir un tel bâtiment de vie, lui donner une âme. 

Esch-sur-Alzette manque de salles pour accueillir les manifestations de ses clubs et associations. Mais le destin des pavillons du centenaire est loin d’être fixé : lors des débats sur le budget 2008, il fut question soit de destruction, soit d’en transplanter l’un ou l’autre dans un autre quartier. On entend aussi une rumeur sur la vente du cinquième pavillon, « mais je ne peux rien vous dire de concret, ça change au jour le jour, » fut le commentaire laconique du responsable des relations publiques de la Ville. 

josée hansen
© 2023 d’Lëtzebuerger Land