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Un gazouilleur chez Goldman Sachs

d'Lëtzebuerger Land vom 27.01.2012

La banque Goldman Sachs occupe dans l’actualité un rôle exceptionnel : portée aux nues pour sa profitabilité résistant à toutes les vicissitudes, décriée pour sa duplicité (avérée), admirée pour le génie (probable) de ses dirigeants, soupçonnée de prendre le pouvoir partout dans le monde en plaçant d’anciens dirigeants à des postes-clé dans des gouvernements et banques centrales, elle est l’objet de tous les fantasmes de notre univers financiarisé. La curiosité à l’égard de ses petits secrets est donc naturellement extrême. C’est pourquoi l’insider, qui a eu l’idée de lancer en août dernier un compte Twitter appelé @GSElevator et de l’alimenter régulièrement de petits extraits de conversations censées avoir été entendues dans les ascenseurs de l’établissement, n’a pas tardé à devenir la coqueluche des milieux bancaires. Aujourd’hui, après cinq mois de fonctionnement et plus de cinq cents tweets, le compte a près de 150 000 followers et a fait l’objet d’articles dans le New York Times, le Financial Times ou le Guardian. L’auteur a réussi à ce jour à préserver son anonymat, ce qui vaut sans doute mieux pour lui…

Au-delà des penchants humoristiques que dénotent ses tweets, on en sait un peu plus sur l’auteur de @GSElevator grâce à des interviews accordées par email. Au début, raconte-t-il, il se contentait de publier sur son compte de micro-blogging des bouts de conversations qu’il avait lui-même glanés –  pas toujours dans des ascenseurs d’ailleurs, mais le lieu symbolise parfaitement l’occasion de laisser traîner ses oreilles à la re-cherche de perles – ou que des collègues lui avaient rapportés. Lui-même se dit banquier d’affaires – il parle avec un certain mépris des employés de banque qui se font passer pour tel pour draguer, mais n’ont jamais été face à un client – et reconnaît n’être pas suffisamment senior pour fréquenter régulièrement le CEO Lloyd Blankfein. Il précise d’ailleurs que pour éviter de se faire repérer, il a choisi d’exclure certains « joxaux » qui auraient pu mettre les enquêteurs sur sa trace. Une fois que son compte a acquis une certaine notoriété, d’autres ont commencé à lui transmettre des discussions croustillantes, ce qui lui a permis d’étoffer son flux. Le contenu de ses tweets est assez diversifié : bravades de machos ou de nouveaux-riches, small-talk désabusé de machine à café, déclarations définitives sur l’état de l’économie mondiale, grossièretés extrêmes, petites piques entre collègues émaillées de jurons etc. L’auteur assure que la vaste majorité de ses tweets sont authentiques, même ceux qu’il publie à partir de témoignages reçus, à un rythme soutenu, à l’adresse elevatorgoldman@gmail.com, et dont il déclare sélectionner en moyenne deux sur dix pour publication.

Petit florilège des gazouillis de ces derniers jours (la plupart sont ponctués de signes dièse suivis d’un nombre pour identifier les participants d’une conversation : « #1 : Les WASPs embrassent leurs enfants sur le front et leurs chiens sur la bouche » ; « #1 : Je m’en fous combien elle est juive, aucune fille ne veut retourner à un appartement à Murray Hill » ; « #1 : Une fille m’a demandé ce que je ferais d’un million de dollars. Je lui ai dit que je demanderais où est passé le reste de l’argent » ; « #1 : Même avec une coupe de cheveux à 50 pour cent, la dette grecque sera à 120 pour cent du PIB en 2020. #2 : Une coupe de cheveux ? C’est d’une bonne scalpation dont ils auraient besoin. #3 : Cowboys et Athéniens » ; « #1 : L’Europe commence à faire ressembler les leaders africains à des compétents » ; « #1 : Chaque fois que je vois un gars noir avec mon nom de famille, je ne peux pas m’empêcher de me demander si ma famille possédait la sienne autrefois » ; « #1 : Deux semaines passées en famille. je suis prêt pour un FBT pour me défouler un peu. #2 : un FBT ? #1 : Fake Business Trip ».

Si @GSElevator a au début parsemé ses tweets de noms de hauts dirigeants de la banque, pour établir sa crédibilité, explique-t-il, il y a depuis renoncé. Même sans les noms, le compte est aujourd’hui une fenêtre amusante sur la culture des grandes banques d’affaires internationales. Mais il ne fait pas rire tout le monde. Impertur[-]bablement professionnel, le Financial Times précise que Goldman Sachs n’a pas souhaité lui fournir de commentaire pour son article sur @GSElevator.

Jean Lasar
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