Tatiana Fabeck

Une année en noir et gris

d'Lëtzebuerger Land du 11.12.2008

Malgré la fin d’année, le mauvais temps, et le fait que sa dernière conférence à Luxembourg remontait au décembre 2007, Tatiana Fabeck s’est retrouvée, mercredi 3 décembre, devant une salle remplie de spectateurs et le temps de faire un tour rapide des 21 projets présentés, deux heures se sont écoulées sans qu’une âme ne se sauve. Certes, le nouveau cadre convivial des conférences organisées dans le pavillon Skip du Fonds Belval y a contribué : des chaises regroupées par quatre autour de tables où sont servis des rafraîchissements. Fidèle à sa tradition, le Fonds Belval avait invité Tatiana Fabeck (TFA), lauréate du concours de la Maison des sciences humaines de l’Université du Luxem­bourg, premier prix en association momentanée avec le bureau d’architectes Abscis Ontwerpgroep et les bureaux d’études Betic, Best et Studie Boydens, en début d’année.

Mais la Maison de la sciences humaines n’est pas le seul projet qui lie TFA au site de Belval. Les liens sont nombreux : participation aux concours Lycée technique de Belval-Ouest et Bâtiment administratif (troisième prix) ; membre du jury du concours de la Maison du nombre et de la Mai­son des arts et des étudiants, et, dans le cadre d’un poste de professorat de représentation (Vertretungsprofessur) à la Hochschule für Technik und Wirtschaft des Saarlandes à Sarre­bruck, projet d’atelier d’architecture sur le programme du concours de la Maison du livre, qui sera aménagée dans l’ancien bâtiment de la Möllerei sur le site des hauts fourneaux A et B (Hermann [&] Valentiny).

Les projets choisis reflétaient l’occupation de TFA tout au long de 2008. Plus de vingt projets dont deux à Bel­val, huit sur le territoire de la ville de Luxembourg, un à Trêves et le reste parsemé sur le territoire du pays ; des projets soit en développement, soit en exécution, soit achevés. Dans ce mélange, certains projets médiatisés comme la Maison des sciences humaines, d’autres moins médiatisés, d’autres révélés en première au grand public, comme le premier prix du concours du Casino-Gebäude au Petrisberg à Trêves. Des projets issus de la panoplie rêvée de tout architecte : études de restructuration et d’aménagement urbain, bâtiments scolaires et administratifs, logements, horeca, centre culturel, nouvelle construction, restauration, rénovation, transformation, mobilier. En matières de concours, TFA s’en sort souvent avec un prix ou une mention, alors que côté exécution, l’on pratique une exigence minutieuse, photos de chantier et de détails d’exécution faisant preuve.

Ce qui frappe, c’est la ressemblance des projets, la sensation de déjà-vu à l’extérieur où règnent la rigueur et l’austérité par des variations sur parallélépipèdes rectangles. Ensuite l’effet surprise : l’on invite le paysage à l’intérieur du bâtiment où se cachent des richesses spatiales d’espaces traversants, de jeux de perspectives, de fuyantes et de regards multiples.

Puis stupéfaction : d’après les 21 projets présentés, TFA a opté, en 2008, pour le noir et le gris, relevé par des touches vertes, jaunes ou dorées, toutes affectations et situations géographiques confondues. Phénomène de mode, blocage artistique, signature, carte de visite, image de marque, co­ïncidence ? Cela laisse quelque peu perplexe, car les nouvelles constructions et transformations lourdes sont équilibrées et rythmées par les projets pour des maîtres d’ouvrage particuliers, de restauration de vieilles bâtisses en habitation avec fonction annexe, dont la maison d’habitation et l’atelier de l’architecte. Quelle nostalgie et respect du passé, quelle pas­sion, quelle tendresse quelle douceur dans le choix des gestes, dans le récit ou plutôt le témoignage de l’expérience comblante qu’est celle de rendre la vie à un bâtiment. 

Les femmes possèdent-elles la particularité de gérer la simultanéité ? Ta­tiana Fabeck en est bien une preuve : architecte, épouse, mère, membre du conseil d’administration de la Fondation de l’architecture et de l’ingénierie, co-curatrice du pavillon luxembourgeois à la biennale d’architecture de Venise 2008 (pour la deuxième édition de suite), enseignante. En tant que conférencière, elle apparaît simplement comme un être humain engagé, convaincue, fa­tiguée à la fin d’une année chargée et d’une longue journée, heureuse de pouvoir s’échanger avec son public, reconnaissante à son équipe, qui assume et assure sa multidisciplinarité et qui la rend si fière d’amener de la vie à son village d’adoption Koerich, qui de fait est un village-dortoir. 

Shaaf Milani-Nia
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