Ceveriki

Le village de Babouchka

d'Lëtzebuerger Land vom 18.02.2010

Un train passe, dehors. La neige, elle, ne se lasse pas de tomber. À son passage, il soulève un nuage de poudreuse poussière. Une ambiance probablement chère à Marcin Sobolev, qui dit de lui-même qu’il « préfère le brouillard à la clarté d’un temps ensoleillé (…) parce que dans l’univers indéfini, il y a bien plus à rêver que dans un monde où le bonheur est envisageable. » Nous sommes dans les locaux du Centre d’art Dominique Lang à Dudelange, où s’est installé cet artiste de souches russe et polonaise qui n’a pas trente ans le temps d’une exposition dans laquelle dessins et peintures, installation et sculpture cohabitent harmonieusement.

C’est autour de Ceveriki, le village natal de sa bien-aimée babouchka, Nina, que le jeune Marcin Sobolev a filé la métaphore de son exposition, en hommage à son aïeule. Il se remémore ces précieux instants partagés avec cette grand-mère qui a bercé son enfance de mille et un contes et de récits au sujet de son lieu d’origine, Ceveriki, à tel point détaillés que le créateur a l’impression que « c’est ça qu’il dessine chaque jour », sans jamais, pourtant, s’être rendu lui-même dans ce bout de campagne « si lointain, si mystérieux, si étrange ». Dans ce voyage au cœur de ses origines, la main s’est attachée à très fidèlement traduire et reproduire les narrations de sa babouchka en langage artistique.

Le résultat est un formidable concentré de vie(s), passée(s), présente(s) et rêvée(s), à l’instar de cet énorme personnage, Gena, « jeté » sur le mur qui accueille le visiteur dès son entrée dans la galerie. Un singulier alliage entre hippopotame et musicien de ska que son auteur qualifie d’« autoportrait ». Pas étonnant, en soi, de découvrir dans cette œuvre un cocktail aussi détonnant, si l’on considère le parcours artistique de son architecte. Formé et forgé à la précision et à la bienveillance de l’ébénisterie, il n’en est pas moins adepte de cet art controversé qu’est le graffiti. Et n’a pas hésité à plusieurs reprises déjà à mettre sa personne en danger pour une bombe de peinture ou des matières à réputation dangereuse comme des acides pour travailler le verre par exemple.

Plus loin, Isba, sa création la plus récente, une installation en bois qui ressemble à une inoffensive cabane pour oiseaux, interpelle. Il s’agit en réalité d’un triste legs de la Seconde Guerre mondiale, des miradors désertés par l’occupant nazi, mais que l’artiste a choisi de transmuer en « cabane d’enfant sans fenêtre pour garder les secrets » pour, dit-il, « rendre l’objet plus romantique ».

La « dictature », encore elle, catapultée à l’acide fluor sur du verre en la personne de Poutine, lui conférant un aspect presqu’estimable, mais flanqué d’une catapulte et d’une armée de poupées russes à ses pieds – ceux du verre – qui ne permettent plus une quelconque diversion, mais soulignent la perversion d’un régime théocratique.

Invité pour la première fois en France à la galerie Russiantearoom en décembre 2008, Marcin Sobolev avait alors choisi de mettre en œuvre et en vedette des « partisans de la liberté », un hymne de quatorze objets et dessins à l’esprit libre, criminel parfois, mais éternellement romantique. Sa passion pour cette identité russe qu’il n’a de cesse de faire transparaître dans son et ses œuvres mariée à ses innombrables voyages dans les pays de l’Est le nourrissent en permanence de rencontres et d’expériences inoubliables.

Sa fascination d’autre part pour les marginaux, les criminels, les exclus sont une autre source à laquelle il aime puiser pour créer, au point de vouloir lui-même expérimenter l’exclusion : « L’enfermement conduit souvent à la création pure. en déduit-il. Il m’est arrivé d’être emprisonné pour avoir voulu imposer mon art aux yeux du commun des mortels. C’est dans une cellule, un soir d’hiver, que j’ai remarqué le potentiel artistique des incompris. » Quoi qu’il en soit. Compris ou incompris, entendu ou sous-entendu, le travail de Marcin Sobolev ne laissera personne indifférent, tant il diffère par une férocité d’un genre nouveau. Une douce férocité.

L’exposition Marcin Sobolev : Ceveriki au Centre d’art Dominique Lang à Dudelange, dure jusqu’au 28 février ; ouverte du mardi au dimanche de 15 à 19 heures ; www.centredart-dudelange.lu.
Samuelle Konsbruck
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