Où en est l’appel de Noël 2007 lancé par l’archevêque aux églises pour libérer du foncier et faire du logement social ?

Des fabriques dures de la feuille

d'Lëtzebuerger Land vom 17.02.2011

Trois ans après s’être payé des pleines pages de publicité dans son journal préféré, le Luxemburger Wort, pour diffuser plus largement le message (remontant, lui, à septembre 2006) de son chef, mon­seigneur Franck, rappelant le droit de chacun à disposer d’un logement à un prix abordable (d’Land 18/01/2008), l’Archevêché de Luxem­bourg peut difficilement tirer un bilan très positif de sa propre action en vue d’améliorer l’offre de logements abordables au grand-duché. Les réalisations sont loin d’être « exemplaires » comme l’affirmait pourtant, en 2008, l’ancien ministre CSV du Logement, Fernand Boden, en détaillant la prétendue générosité de l’Église catholique, grande propriétaire foncière, à mettre sur le marché des terrains destinés à la construction de logements sociaux et de logements tout court.

Exception faite des terrains du « Carmel » à Luxembourg-Cents qui a permis de démarrer l’important complexe de logements sociaux, les exemples de cession de parcelles par les religieux ne sont pas légion. Et mis à part quelques microscopiques programmes à Pinsch ou à Echternach (ces constructions ont fait partie du huitième programme de logements sociaux du gouvernement et réapparaissent comme des petits pains au neuvième programme pour la simple raison qu’il reste encore au ministère du Logement à payer un reliquat de subventions), les réalisations concrètes restent encore très marginales.

Il serait toutefois peu honnête d’affirmer que l’Église ne bouge pas et que le message de Noël 2007 de l’archevêque a manqué sa cible. L’Église gesticule, mais elle compte aussi ses sous et connaît très bien les prix de marché du foncier. Autant dire qu’elle ne brade pas son patrimoine. « Ce sont des hommes d’affaires », plaisante un secrétaire communal, qui a eu à traiter avec l’archevêché. Un comportement qui au final devient peu compatible avec le message officiel de l’archevêque : si l’Église vend ses terrains au prix du marché, comme n’importe quel spéculateur privé, comment peut-elle espérer contribuer à une baisse des prix du logements ? Une contradiction que le ministre CSV du Logement, Marco Schank, ne manque d’ailleurs pas de lui rappeler lorsque l’occasion se présente. Le successeur de Fernand Boden semble avoir pris ses distances par rapport à la politique menée par les ministres chrétiens-sociaux successifs qui « tiennent » le département du logement. Peu après sa prise de fonction à l’été 2009, il s’est fendu d’une « note » aux fabriques d’Église et à l’archevêché pour leur rappeler à la fois leur vocation « sociale » que l’appel de monseigneur Franck de décembre 2007.

Ainsi, le neuvième programme de construction d’ensembles de logements subventionnés prévoit onze projets portant sur 29 logements que l’État va subventionner à Pétange, Esch-sur-Alzette, Differdange, Holzem, Echternach ou Mertzig. Il faut retrancher de ce nombre les projets déjà réalisés dans le cadre du huitième plan et rester prudent sur la comptabilisation des nouveaux projets : il est pratiquement certain qu’on ne verra pas les bétonneuses s’activer avant la fin de la législature actuelle pour la plupart des projets, tant ils sont à l’état de nébuleuse.

Selon le neuvième programme, la congrégation des franciscaines se fera financer 26 logements à hauteur de 75 pour cent par la main publique pour la transformation de l’ancien site Cipa à Grevenmacher en logements. C’est en fait l’ancien bâtiment qui sera rasé et reconstruit pour les besoins de personnes âgées. Son effet sur l’offre locative devrait donc être neutre.

De son côté, l’organisation Caritas prévoit de mettre sur le marché locatif douze logements, neuf à Luxem­bourg et trois à Wiltz. La Fondation Zithe a décroché des subventions à hauteur de 75 pour cent, le maximum finançable possible par l’État luxembourgeois, pour une future offre de logements à la location dont le nombre n’a même pas encore été défini.

Pour la petite histoire et sur un autre registre confessionnel, l’Église hellénique orthodoxe, qui a, dit-on des surfaces en trop, a sollicité des subventions pour une offre de trois logements à Weiler-la-Tour.

Contacté par le Land sur le suivi qu’il entendait donner au message « social » de Fernand Franck, l’archevêché mentionne la réalisation imminente de quatre projets par une fabrique d’Église, mais le groupe de pilotage au sein de l’archevêché, chargé de gérer la question des logements, n’a pas jugé « opportun » à l’heure actuelle d’en révéler les détails, ni le calendrier de leur réalisation. Il y aurait encore dans les cartons quatre autres projets similaires, bien qu’à un stade moins avancé : deux sont en phase de planification et pour les deux autres, on examine encore leur faisabilité. L’archevêché n’était pas en mesure de dire si ces huit projets s’inscrivent dans le cadre du programme du gouvernement.

L’Église n’ayant sans doute pas de besoin immédiat d’argent pour financer son développement, à l’instar de nombreux propriétaires laïcs au Luxembourg qui peuvent se payer le luxe de faire de la rétention de surface, voire perdre de l’argent sur des biens non-occupés, les cessions de son patrimoine foncier pour mettre en musique son message de décembre 2007, se font au compte-goutte. Cela tiendrait d’abord, selon la version officielle, à l’organisation de l’institution catholique : les « fabriques d’Église » jouissent de l’autonomie et rien, pas même l’archevêque de Luxembourg, ne pourrait obliger les curés à se transformer en promoteurs immobiliers sociaux. La carotte des subventions est davantage de nature à les inciter à modifier la vocation de leur patrimoine foncier en un usage prosaïque.

« Il s’agit d’un projet de longue haleine et nous attendons toujours des réactions », indique Théo Péporté, le porte-parole de l’archevêché, en reconnaissant les difficultés de l’action de l’Église dans la lutte contre la crise du logement. Si l’archevêché a un œil sur ce que font les « fabriques », qui ont l’obligation de lui demander son feu vert avant toute cession de patrimoine, rien ne peut les forcer à passer chez le notaire pour signer l’acte, laisse-t-il encore entendre.

Dans la réalité, les choses se passeraient un peu autrement. Des exemples ne manquent pas où des fabriques d’Église étaient prêtes à céder pour une bouchée de pain un lopin de terre à une commune pour réaliser un lotissement à vocation sociale ou construire une salle pour les besoins d’organisations locales, mais en ont été dissuadées par l’archevêché, qui considérait le prix de vente ridiculement bas et faisait grimper les enchères. Ainsi, dans le nord du pays, à Rodershausen, les villageois attendent la construction par la commune d’une salle de réunions pour les besoins des sociétés locales. Un terrain de 32 ares appartenant à la fabrique d’Église de la localité se prêterait volontiers à cet usage, et l’accord de principe avait été donné par cette fabrique avant que l’archevêché n’y mette son véto et réclame une renégociation de la cession du terrain sur la base d’un bail emphytéotique à un prix jugé « exagéré ».

Toujours dans les parages de Hosingen dans le nord, la phase de démarrage d’un projet de lotissement social avec une dizaine de maisons unifamiliales achopperait en raison de la gourmandise des ecclésiastiques, qui hésiteraient à céder un terrain non-classé à bas prix.

Une action vraiment efficace de l’Église catholique dans le domaine du logement passerait par une reprise en main de son patrimoine immobilier et foncier dispersé entre les fabriques d’Église et les congrégations religieuses. Elle passerait tout autant par l’abandon du réflexe mercantiliste de l’archevêché.

Programmé depuis trois ans, l’inventaire des biens n’a toujours pas pu être effectué. Officiellement en raison du peu de coopération de ces fabriques, qui semblent jouer davantage dans leur propre intérêt financier que pour la cause des mal logés. On a un peu de mal à croire que l’archevêque tienne si mal ses troupes.

En 2008, dans le but de « préparer le terrain », le groupe de travail sur le logement de l’archevêché a finalisé puis envoyé à l’adresse de tous les propriétaires séculaires du pays un vade-mecum du logement social. Si le document a bien été envoyé, il n’a jamais été publié, alors qu’il était prévu d’en assurer la diffusion la plus large possible, comme la bonne parole. Le porte-parole de l’archevêché avoue son ignorance sur les raisons de cette négligence. Il est vrai que l’Église catholique a eu d’autres priorités à traiter avec les affaires de prêtres pédophiles qui ont surgi après 2008. Mais est-ce une excuse pour perdre de vue sa mission sociale ? C’est en lançant un programme de construction de logements bon marché digne de ce nom que l’Église pourrait espérer récupérer la confiance de ses ouailles.

Véronique Poujol
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