Be Your Self

Éruption d’énergie venue des antipodes

d'Lëtzebuerger Land du 17.02.2011

L’Australian Dance Theatre présentait le week-end dernier au Limpertsberg Be Your Self, chorégraphié par Garry Stewart, son directeur depuis 1999. Coproduite notamment par le Grand Théâtre de Luxembourg, la compagnie débute sa tournée en Europe après avoir présenté la première au Festival d’Adélaïde.

Résolument contemporain, le ton est donné dès le départ : Le blanc domine le décor, la lumière, la scène et les costumes renvoyant à un univers clinique et aseptisé. Annabel Giles, seule comédienne parmi les neuf danseurs, se lance dans une description physiologique (texte écrit en collaboration avec Michael Heynen, physiothérapeute et Ian Gibbins, neuroscientifique) des mouvements d’équilibre effectués en solo par Kimball Wong.

Dans un jargon neurobiologique, divers états émotionnels sont débités à un rythme effréné. La complexité du vocabulaire contraste avec l’apparente facilité du mouvement. Progressivement, le langage atteint ses limites pour appréhender l’imprévisibilité et la multiplicité des formes variées des soubresauts du corps manifestant les états d’âme.

Si la science appréhende le corps par une terminologie rompue et établie, les descriptions scientifiques de l’âme – par nature instable – semblent limitées, inachevées et reflètent les limites de notre philosophie cartésienne.

Pour reconsidérer le postulat « Je pense, donc je suis et je suis avant tout un être pensant » (Descartes) selon lequel la pensée constitue à elle seule toute la substance de l’âme, comme l’étendue de celle des corps, Garry Stewart s’est entretenu avec un expert en bouddhisme Jampa Gendun. Il s’est plongé dans la lecture du philosophe écossais David Hume (1711-1776) qui considère dans sa Théorie de l’assemblage l’identité non pas comme un moi singulier et unifié, mais comme un lieu de perceptions multiples et complexes en compétition.

Puis, il y a des échanges entre le travail d’ensemble très vigoureux, solos et petits groupes. La musique créée par Brendan Woithe évoque les fonctions internes du corps. Grincements, souffle, battements de cœur mais aussi écoulement du sang dans les veines, électricité du système nerveux, le chorégraphe et le compositeur replacent notre conscience sur les fonctions de digestion ou de respiration. La scénographie confiée aux architectes new yorkais Diller, Scofidio + Renfro (DS+R) intègre la vidéo, les décors innovants permettant d’inscrire le corps des danseurs à travers l’espace. L’univers plastique insolite permet de faire voler en éclats les têtes, bras, jambe dans une scène mobile, inclinée, ajourée et recouverte de tissus élastiques blancs.

C’est un vrai puzzle de membres humains qui s’associent et se meuvent rappelant les couleurs et l’intensité des campagnes de publicité du photographe Toscani pour une marque de vêtements au style coloré et international. L’usage de la vidéo pour la projection de visages paraît superfétatoire face au contexte intense. Finalement, il permet aux danseurs de faire une courte pause dans cette création éreintante et frénétique.

Au-delà des danseurs, de leur technique hors du commun et de la synchronisation parfaite entre eux et ce quelle que soit la formation en évolution, ils sont à l’unisson avec la musique au point de l’interpréter dans leur chair. L’on entend ce que l’on voit et réciproquement. La création des lumières (Damien Cooper) précise comme un laser valorise le mouvement et les scènes de danse tirées au cordeau. À retenir, un passage époustouflant lorsque les danseurs les uns à la suite des autres fragmentent leurs mouvements au point de faire douter le public sur la cause de cet effet : lumières ou maîtrise des danseurs.

Impétueux, tumultueux, déchaînés, ardents, explosifs, fougueux, frénétiques, volcaniques, les tensions entre l’âme et le corps puisque tel est le sujet explosent littéralement. Les danseurs ou plutôt athlètes inépuisables alternent entre danses classique et contemporaine, acrobaties, hip-hop, arts martiaux, hip-hop et s’élancent dans des défis tels des « free dancers ». Les corps révèlent la singularité des membres et semblent libérés de leurs limites structurelles pour atteindre un rituel de représentation purement esthétique. Be Your Self véritable neurotransmetteur renforce et libère la dopamine du public ovationnant un tel moment de plaisir !

Emmanuelle Ragot
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