Nouvelle Aérogare

Dans la solitude des champs

d'Lëtzebuerger Land vom 24.06.2004

«Cette question-là est la question fondamentale qui traverse et divise toute l'histoire de l'architecture,» répond Bohdan Paczowski à l'interrogation sur l'utilisation de formes géométriques très nettes pour les nouveaux bâtiments de l'Aéroport de Luxembourg - à l'image de l'ancien bâtiment - au lieu de suivre la mode des formes organiques. Le 17 décembre dernier, la première pierre pour le nouvel édifice a enfin été posée, lançant les travaux pour une construction dont les projets ont germé durant plus de vingt ans, entre les premières autorisations de principe et études de faisabilité, la loi votée en 1996 et les arrêts de chantier pour cause de problèmes dans la procédure commodo/incommodo. Pour concilier un programme fait d'exigences très complexes - gestion efficace des flux de passagers entrants et sortants ainsi que de leurs bagages, sécurité pour laquelle les normes ont été considérablement revues à la hausse en cours de route, suite au 11 septembre 2001, mais aussi caractère représentatif du bâtiment, porte d'entrée dans le pays -, les architectes ont eu recours à des formes et à des matériaux très simples, minimalistes : des carrés de verre, des sols en granit, des murs en métal et en bois, du béton vue… «C'est tout le paradoxe d'une forme qui se présente de prime abord comme rigide : à l'usage, elle sera très libre et flexible,» estime Bohdan Paczowski. Qui compare volontiers, en souriant, le concept à une «cloche à fromage», un bâtiment comme un chapeau pour laisser la plus grande liberté à l'intérieur de cet espace public. Un espace public très particulier car extrêmement défini aussi bien dans ses fonctionnalités que dans son organisation. Alors, pour faciliter les choses, l'architecture mise sur la lisibilité et la clarté des formes. Si tout se passe comme prévu, le bâtiment principal devrait pouvoir être inauguré fin 2006 (trop tard pour le rush de la Présidence luxembourgeoise du Conseil européen! ; budget global: 162 millions d'euros), l'actuel bâtiment du Findel, datant de 1975, sera alors détruit. Le 26 mai dernier, deux semaines avant les élections, le ministre des Transports, Henri Grethen (DP) a néanmoins encore pu inaugurer ce qui est conçu comme un satellite de la future aérogare : le terminal petits porteurs, ou terminal B, relié au bâtiment existant par un couloir long d'une centaine de mètres. Entamée en 2000, interrompue par un jugement du Tribunal administratif portant sur l'autorisation d'exploitation, reprise suite à une nouvelle loi en 2002 et la création de la société Lux-Airport (d'Land 48/03), la construction de cette annexe aura coûté 20 millions d'euros. Elle abrite uniquement les vols intra-Schengen assurés par les petits avions du type Fokker 50 ou Embraer 145, avec un maximum de 50 places. Donc notamment les vols business vers les principales capitales européennes. «Un aéroport devrait être nu, complètement nu sous le ciel, devant les champs et les pistes d'atterrissage,» écrivait Le Corbusier en 1946, fasciné par la forme harmonieuse, qu'il estimait parfaite, des avions. L'architecture de Paczowski [&] Fritsch répond à cent pour cent à cette exigence, opposant lui aussi un bâtiment très épuré et des formes géométriques rigides au design aérodynamique, très organique, des avions. Car l'Aéroport de Luxembourg a cette particularité de toujours se situer en pleine campagne. Le terminal petits porteurs souligne cette qualité en se présentant comme un long couloir de 156 mètres de long et quatorze mètres de large seulement, avec deux faces complètement vitrées : la longue façade Est et celle au Nord, qui clôt l'espace. En s'asseyant au bar ou sur un des bancs en tôle percée dessinés par Norman Foster pour attendre, on y a une vue imprenable sur la forêt en face et le mouvement sur le tarmac, à plain-pied devant les baies vitrées. L'architecture souligne aussi cette extrême proximité entre les voyageurs et les avions. Une des demandes du maître d'ouvrage était de trouver une solution pour que les passagers puissent toujours rejoindre les petits porteurs à pied. Les architectes ont donc conçu un véritable «port» avec des groupes électrogènes pour alimenter les circuits des avions qui ressemblent à des mangeoires auxquelles viendraient s'alimenter ces grands oiseaux après leur migration. Les embarquements se font par dix portes aux rez-de-chaussée, les arrivées par six portes situées au premier étage. Les passagers au départ descendent d'un niveau par escalator et se retrouvent de plain-pied, nez à nez quasiment, avec les avions, l'agencement du bâtiment soulignant encore cette immédiateté, cette proximité assez uniques de ce petit terminal (capacité : 400000 passagers par an selon les estimations). Les passagers à l'arrivée, ne devant surtout pas côtoyer les partants après leur check-in pour des raisons de sécurité, débarquent par escalators encastrés dans de beaux couloirs faits de béton vue, de verre et de lumière, immédiatement au premier étage avant de récupérer leurs bagages - actuellement encore dans un bâtiment provisoire à l'esthétique Ikea. Si une des façades est protégée par un mur en aluminium percé, c'est pour des raisons de gestion de la lumière naturelle : la façade Ouest se situe en plein soleil, l'ensoleillement durant toute une journée d'une telle surface rendrait l'ambiance à l'intérieur très vite insupportable. La façade Est par contre fait généreusement entrer la lumière, la chaleur en moins. L'élégance du bâtiment est certainement due avant tout à la réduction extrême des formes. Tout ici est pensé jusque dans le moindre détail. Par exemple les postes d'embarquement, qui ne sont en principe occupés que quelques dizaines de minutes avant chaque départ. Pour les abriter sans que des comptoirs assez moches ne fassent tache, les architectes ont développé des caisses bleues, encore une fois aux formes géométriques très simples, qui s'ouvrent en un tour de main et contiennent l'ordinateur et tous les documents nécessaires à l'embarquement. Fermées, elles passent presque inaperçues, comme des nids attachés à des arbres. La bar installé en tête de ce long couloir tente de rendre ce lieu de transit anonyme plus convivial, de réduire l'attente. Le système Wifi, internet sans fil, est disponible dans tout le bâtiment, un lounge VIP accueille les voyageurs business class dans une ambiance cossue, sièges en cuir et hôtesses d'accueil. Le plus étonnant dans tout l'immeuble est l'incroyable calme qui y règne - à part aux heures de pointes des départs et arrivées des voyageurs d'affaires, le matin et en début de soirée. En journée, on s'y trouve à mille lieues du stress des grands aéroports de Zurich, New York ou Hong Kong. «Once manifestations of ultimate neutrality, airports now are among the most singular, characteristic elements of the Generic City, it's strongest vehicles of differentiation, écrit Rem Koolhaas. They have to be [what any] average person tends to experience of a particular city. Like a drastic perfume demonstration, photomurals, vegetation, local costumes give a first concentrated blast of the local identity (…) Thus conceptually charged, airports become emblematic signs imprinted on the global collective unconscious in savage manipulations of their non-aviatic attractors (…) In terms of its iconography/performance, the airport is a concentrate of both the hyper-local and hyper-global.»1 Si le concept luxembourgeois demandait aux architectes non seulement la «recherche d'une solution fonctionnelle et flexible, capable d'évoluer dans le temps», mais aussi celle d'une certaine image du pays, on respire donc de ne pas se retrouver au milieu de photos grandeur nature de la «petite Suisse» ou de la cathédrale collées au mur, ni parmi des sculptures en cancoillotte ou autres reproductions d'un pan de la forteresse, mais dans un bâtiment minimaliste et moderne, sans fioritures et sans chichis. Travaillant simplement les dialectiques entre ombre et lumière, ouvert / fermé, formes géométriques et organiques, lumière naturelle du jour entrant / lumière artificielle du soir sortant et en faisant une sorte de caisson lumineux très attractif. Restent quelques petits cheveux dans la soupe, comme ces insupportables et éternelles petites plantes vertes en pots en plastic que l'exploitant - la société Luxair jusqu'à la reprise, en 2006, par Lux-Airport - a cru bon y mettre «pour décorer». Ou la boutique avec ses vitrines de bric et de broc, comme n'importe quel magasin de souvenirs dans la vieille ville. Ou encore ce trop grand nombre de panneaux publicitaires. Accrochés au mur, ils passent encore, mais montés entre les sièges, ils obstruent la vue et divisent les espaces généreux qu'avaient pourtant prévus les architectes. Dommage.  1 Rem Koolhaas : «The Generic City», in : S, M, L, XL, Oma, The Monacelli Press, New York, 1995.

josée hansen
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