Away from Keyboard

Cyber-bla-bla

d'Lëtzebuerger Land vom 24.02.2011

En 1995, dans le cadre de la première année culturelle, feu le Goethe Institut Luxembourg, Europe Online, la SES et le Centre de recherche public Henri Tudor avaient collaboré avec une flopée d’instituts de recherche allemands pour l’organisation de Telepolis –une grande exposition avec colloque de spécialistes sur les mondes virtuels et leurs possibles développements, voire dangers, dans les halls des foires à Kirchberg. Depuis, le sujet est omniprésent, pratiqué au quotidien par les utilisateurs (jeux, Internet, téléphonie mobile...) – y compris, comme on sait désormais, comme vecteur de révolte, par exemple dans le monde arabe –, servi à toutes les sauces au cinéma, dans la presse, sur le web lui-même, aux universités et jusque dans les arts plastiques, des musées, comme le ZKM à Karlsruhe, ou des festivals lui étant même exclusivement dédiés depuis plus d’une décennie dans toute l’Europe. Et voilà que, miracle, Paris semble découvrir le thème des mondes virtuels avec un léger retard – et offre à la province luxembourgeoise une exposition d’une banalité consternante, AFK – Away From Keyboard, à voir en ce moment dans l’Aquarium du Casino Luxembourg.

Away From Keyboard est une exposition invitée, organisée par le collectif Human Atopic Space (HAS), présidé par Pierre Cornette de Saint Cyr, commissaire-priseur et également président du très branché Palais de Tokyo à Paris – d’ailleurs HAS s’y est vu consacrer un festival éponyme l’année dernière. La conceptrice, cofondatrice et une des quatre têtes pensantes du collectif est Laura Mannelli, architecte et « métade-signer », née en 1980 au Luxembourg. On peut d’ailleurs démontrer à l’exemple de sa propre création quel est le problème de ces « artistes numériques » : en 2008, elle a imaginé une œuvre hybride, une « scénographie interactive et immersive » qui a fait le tour de Paris. Son thème... : Mélusine !, une légende qu’elle vante comme étant de son pays natal qui a au moins six siècles sur le dos.

Donc, la technologie serait de plus en plus complexe et évoluée, mais le message, le contenu très ancien, voire réactionnaire ; le médium global, mais l’idéologie locale, presque patriotique. Or, c’est comme avec la musique électronique : aussi longtemps que les synthétiseurs essayent d’imiter les instruments classiques, le résultat sonne faux ; ce n’est que lorsqu’ils produisent des sons nouveaux, inimaginables avec les cuivres ou les bois, que cela devient intéressant.

Laura Mannelli n’a pas contribué comme créatrice à AFK au Casino. Sa collègue Margherita Balzerani, directrice artistique au sein de Human Atopic Space, curatrice de cette exposition, a choisi les neuf artistes ou groupes, dont les propositions vont du folklore mystique au design à deux balles, en passant par les joujoux technoïdes.

Ce n’est pas un hasard que les petites danseuses mécaniques d’Albertine Meunier intitulées À petits pas vers l’Annonciation soient l’œuvre la plus photographiée de cette exposition : enfermées dans leurs bouteilles Bols, ces douze angelinos sont censés s’animer lorsque un des douze mots – un pour chaque poupée – est tweeté ou écrit sur Internet. Les mots sont tous en rapport avec les croyances catholiques (dieu, ange, Gabriel...), extraits de l’évangile selon Saint Luc – wow ! . Donc en principe, ces jolies petites ballerines devraient s’animer arbitrairement, au hasard de l’activité sur les réseaux mondiaux. Mais dans la vraie vie, les gardiens les remontent gentiment et discrètement au gré des visiteurs, pour leur faire plaisir.

À côté, Angela Di Paolo montre une série de photos de femmes « futuribles » selon l’artiste, des mutations cyborgs – avec des trucs métalliques plus ou moins sophistiqués sur le corps. Pentralia et L’avversario seraient, toujours selon elle, une réflexion autour de « l’hybridation corporelle homme-machine » – re-wow ! Orlan fait de telles expérimentations pour de vrai depuis au moins vingt ans, et les frères Wachowski par exemple ont développé des visions bien plus complexes au cinéma, dans leurs Matrix depuis 1999.

Flavien Théry montre trois paires de lunettes en laiton – « à vision intérieure », « à vivre le monde à l’envers » ou « à illumination » – qui pourraient être issu d’une série de science-fiction home-made de feu la RDA, alors que Marco Cardioli réalise des photos « à l’intérieur du réseau » qui représentent des vues de ...Berlin. Et les Gossip Bots de Paul Chavard, Julien Levesque et Nicolas Sordello rappellent les collages de Claude Closky – des dialogues d’inepties – sauf que chez ce dernier, c’est réalisé avec des moyens modestes, des magazines, une paire de ciseaux et de la colle, alors que les artistes de la « nouvelle ère » ont besoin d’un système informatique complexe pour dire la même chose. C’est prétentieux et vain.

L’exposition AFK – Away from Keyboard, avec des œuvres de Marco Cadioli, Paul Chavard, Collectif Atopia, Angela Di Paolo, Julien Levesque, Albertine Meunier, Nicolas Sordello, Flavien Théry et Christine Webster dure encore jusqu’au 1er mai au Casino Luxem
josée hansen
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