Fundamental Monodrama Festival

Maybe it’s okay to have dreams

d'Lëtzebuerger Land du 24.06.2016

À la fin, il ne reste que des tas de plumes. Une marée de plumes, partout sur la scène et alentour. Des plumes d’oie, toutes blanches et légères, qui se sont échappées d’un coussin déchiré lors de la scène finale frénétique de Judith Rosmair, sensationnelle dans Curtain Call. Ce spectacle conçu avec le musicien Uwe Dierksen, dans une mise en scène de Johannes von Matuschka, est actuellement en tournée et a fait halte à Bonnevoie par amitié pour Steve Karier, le directeur du festival (ils avaient joué ensemble à Bochum, à l’époque aussi avec Samuel Finzi et Wolfram Koch). Judith Rosmair y incarne une actrice insomniaque parce qu’elle panique avant la première, le lendemain, de son grand rôle d’Anna Karénine de Tolstoï. Dans un tempo endiablé et avec une maîtrise époustouflante, Rosmair est tour à tour l’actrice, Anna Karénine, la petite fille qui a vu sa mère mourir d’une tumeur cérébrale, l’anorexique envoyée en « cure de patates » pour grossir (l’énumération des plats de pommes de terre qu’elle a dû ingurgiter vaut à elle seule le détour), sort du rôle et parle d’elle aujourd’hui et de ses problèmes de mémorisation de nouveaux textes... Le tout accompagné par un excellent musicien qui utilise le trombone, le tuba ou le synthé comme expressions du surmoi de l’actrice. Une performance incroyable.

Dimanche soir 21h20, c’était la fin du spectacle et la fin du Fundamental Monodrama Festival 2016, dont la deuxième partie fut surtout dominée par des récits autobiographiques de femmes. Après Death Journey de Hind Al-Harby mardi (voir d’Land du 17 juin), suivirent Elisabet Johannesdottir, Gintare Parulyte et, donc Judith Rosmair. Mais là où les deux actrices luxembourgeoises, qui racontent toutes les deux la quête de leurs racines et les souvenirs de leurs traumatismes d’enfants déracinés à la manière très directe d’une Lena Dunham, Judith Rosmair construit un échafaudage très complexe mêlant fiction littéraire et récit autobiographique. Mais il est probablement injuste de comparer ces spectacles, d’essayer d’y trouver des points communs et des différences, parce que Rosmair est une actrice chevronnée, une bête de scène qui a travaillé avec les plus grands, fut nommée Schauspielerin des Jahres du magazine Theater heute en 2007 et a une solide expérience sur les principales scènes allemandes, alors que les deux premières débutent et cherchent encore leurs repères. Bien qu’il y en ait, des points communs : les boîtes à souvenirs, la musique comme fil rouge, l’humour envers et contre tout, la quête du sens, voire même du bonheur...

Samedi soir. La Banannefabrik est pleine à craquer, la soirée affiche complet depuis l’après-midi. Et pour cause : le Monolabo propose six spectacles, ou disons plutôt ébauches, de jeunes créateurs autochtones – qui ont chacun sa bande de copains, d’aficionados et de proches (créateurs qui, soit dit en passant, se sont faits très rares pour voir – et apprendre de – Samuel Finzi, Benjamin Verdonck ou Judith Rosmair, les points culminants du festival). Entre 19 et 23 heures, les pièces s’enchaînent donc devant un public a priori conquis, dans une ambiance intimiste et bon enfant. « Ne soyez pas méchants », demandera même Elisabet Johannesdottir au début de sa performance, parce qu’elle va oser partager une part très intime de soi.

Dem Eli seng zwou Këschten est son histoire personnelle : celle d’une jeune Islandaise, fille d’un pilote (ah, l’époque Icelandair...) et d’une femme au foyer islandais, qui a grandi à la Moselle luxembourgeoise, est partie faire une formation d’actrice, et, après un interlude américain, revient s’installer au grand-duché, commence à travailler, mais se sent comme étrangère ici. C’est décidé, elle partira à la recherche de ses racines, pour remonter le fil de son histoire islandaise qui s’est rompu avec la mort de son grand-père un an plus tôt. Son père lui lègue alors deux petites boîtes héritées de son arrière-grand-père, qu’elle n’a jamais connu, mais dont elle retracera la vie à partir des éléments trouvés dans ces deux boîtes et de ses propres enquêtes. Son grand qui suis-je, où vais-je est raconté avec beaucoup de tendresse et d’honnêteté. Mais on sent que ce n’est que le point de départ d’un spectacle plus long, d’une quête plus grande, qui pourra être plus travaillée et littéraire.

Si tout ce qu’il faut pour faire un monodrame est une personne sur scène avec une histoire à raconter, Gintare Parulyte est certainement aussi qualifiée pour faire partie du festival. Comme Eli, elle est une fille de migrants qui se sont installés au grand-duché pour travailler. Comme elle, elle a connu une petite enfance difficile, parlant une autre langue que ses petits camarades et souvent stigmatisée et victime de racisme. Gintare est originaire de Lituanie, est arrivée au Luxembourg quand elle avait sept ans, et ce pays où on pouvait manger des bananes toute l’année et utiliser autant de papier toilette qu’on voulait, lui semblait un pays de cocagne. Jusqu’à sa scolarisation à l’école primaire, où elle fut harcelée « sale Russe ». A lithualien in the land of bananas est le récit d’une enfance de souffrance, récit qui s’arrête de manière un peu trop abrupte.

Entre les deux, on aura rencontré Jacques Schiltz, absolument désopilant en Maggy Nagel, dans un spectacle de cabaret conçu par et avec Tom Dockal. Ceci n’est pas une Maggy Nagel est la moquerie venue trop tard d’une ministre trop bling-bling partie trop tôt, sacrifiée sur l’autel de la politique politicienne. Pourtant, leur interlude humoristique fonctionne parce que Jacques Schiltz a de la répartie, que tout le monde y passe dans sa parodie du monde politique et culturel, que les deux concepteurs ne se prennent surtout pas trop au sérieux et que leur morale : « Nous sommes tous Maggy Nagel, assumons nos échecs ! » était cette catharsis dont le monde culturel local avait si urgemment besoin. Un peu d’humilité et du porc grillé à volonté.

Pitt Simon dans Tiamat de Ian de Toffoli est l’antithèse de la déconnade du duo Dockal / Schiltz : une lecture toute simple (seul gadget de mise en scène : de la bière qui tombe en gouttes constantes du plafond dans un verre pour signifier le lieu de l’histoire, un bar miteux) d’un texte très écrit (peut-être par moments trop pour être dit sur scène) racontant les remords nocturnes d’un avocat d’affaires d’origine lorraine venu s’installer au Luxembourg pour « la banalité du faste » et qui commence à se demander jusqu’où il peut aller trop loin dans ces contrats opaques et trafiqués pour cautionner des histoires vraiment pas très nettes. Ian de Toffoli a le mérite d’avoir écrit un texte politique, critique envers l’affairisme grand-ducal, bien qu’il faille encore lui donner corps pour pouvoir être incarné sur scène, prévoir des respirations, des pauses, une évolution dramaturgique.

Still, un texte de Guy Rewenig (en hommage à Roger Manderscheid, dont un texte éponyme se référait à Joseph Kosuth, que de références...), métaphore de la chaise comme maison et comme siège du pouvoir, était un monodrame à sept protagonistes, exceptionnellement accepté parce qu’il s’agit du résultat des ateliers de théâtre organisés par l’asbl Fundamental au Hariko. Et en clôture de la soirée Monolabo, le chanteur iranien Tohid Tohidi ayant fui son pays pour pouvoir faire ce métier, interpréta quelques chansons sentimentales sur la paix, l’amour, sa mère (qui vient d’arriver au Luxembourg et monta sur scène, en larmes). Encore un récit autobiographique d’une immigration, histoire continue du Luxembourg.

Le titre est une citation du spectacle d’Elisabet Johannesdottir.
josée hansen
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