Chronique Internet

Happy birthday, #

d'Lëtzebuerger Land du 25.08.2017

Avec l’arrobase, universalisé depuis belle lurette par l’email, le hashtag (#), quoique plus récent, est sans doute le signe graphique le plus emblématique du Net. Le « pound », mot-dièse en français, « Doppelkreuz » ou « Raute » en allemand, « jogo-da-velha » au Brésil, a été suggéré pour la première fois comme préfixe-identificateur de catégorie il y a dix ans : une excellente occasion de se pencher sur le parcours de ce symbole graphique omniprésent.

Le 23 août 2007, l’Américain Chris Messina, designer chez Google, lançait l’idée, dans un tweet, d’utiliser ce symbole pour mieux organiser le service de micro-messagerie qui se trouvait alors en plein essor. « Que pensez-vous d’utiliser # (pound) pour les groupes. Comme dans #barcamp? » Dans un premier temps, Twitter avait dit non. Dans un entretien au Wall Street Journal, celui qui aurait sans doute pu devenir très riche s’il avait déposé un brevet pour son idée, a expliqué que la startup de Jack Dorsey lui avait répondu tout de go : « Ces choses-là, c’est pour les nerds. Ça ne va jamais prendre ».

Le moins qu’on puisse dire est que Twitter s’était lourdement trompé. Deux ans plus tard, le hashtag était enraciné dans son système informatique : toutes mentions utilisant le préfixé étaient dument répertoriées et du coup rapidement cherchables dans sa base de données. En plus de Twitter, le hashtag a depuis été adopté notamment par Instagram dès 2011 et par Facebook en 2013, par la presse écrite, dans le langage publicitaire et les dispositifs de marketing viral, ou plus spécifiquement, dans certains cas, comme référence de produit dans les courriers de réclamation de clients. Il intervient même dans un système de paiement mis au point par American Express et Twitter.

Son usage sur Twitter, son milieu natif, est des plus diversifiés. Un hashtag bien choisi permet dans certains cas d’obtenir une réponse immédiate de la part d’un expert à une question pointue qu’on se pose. Le hashtag peut fédérer en temps réel, le temps d’un match de foot, les téléspectateurs qui le commentent à la volée. On l’utilise fréquemment pour insérer dans un tweet une remarque décalée, un sarcasme ou une moquerie, sans chercher à créer ou à se raccrocher à une tag, par exemple #dansquelmondeonvit. Chris Messina estime que même si le hashtag a éclos sur Twitter, Instagram a encore davantage contribué à son adoption généralisée en encourageant expressément ses utilisateurs à l’utiliser de manière ciblée – donc à ajouter des hashtags les plus spécifiques possibles à leurs posts – pour faciliter la recherche de photos et de pairs. Sur Facebook, où la longueur des posts n’est pas limitée, ceux qui ont adopté les hashtags s’en donnent à cœur joie : certains y multiplient des labels parfois redondants au point de leur ôter toute signification.

La percée du hashtag comme signe de ralliement universel, bien au-delà des nerds initialement raillés par Twitter, aura sans doute été le succès fulgurant des fameux #JesuisCharlie et #IamCharlie, traînées de poudre émotionnelles globales qui avaient contribué à générer une conscience planétaire de rejet du terrorisme et familiarisé tout un chacun suivant un tant soit peu l’actualité avec le rôle du symbole. Depuis, une cause n’en devient vraiment une que si elle a son hashtag clairement identifié. Dès les premiers signes d’émergence d’un « trend », les intervenants de tous bords rivalisent de rapidité et d’inventivité sur les réseaux sociaux pour être celui qui réussira à le « baptiser ». Cette course au hashtag est particulièrement vivante sur Twitter : les tweeteurs, déjà contraints de ramasser leur pensée en raison de la limite des 140 caractères, sont encore davantage mis au défi d’une formulation concise et créative au moment de choisir leur hashtag. Qui plus est, Twitter recommande de ne pas en utiliser plus que deux par tweet : #compact.

Jean Lasar
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