Cargo handling sur l'aéroport

Turbulences programmées...

d'Lëtzebuerger Land du 26.07.2001

La chute était - les observateurs et professionnels du secteur sont quasiment unanimes - prévisible. CSLux, « Cargo Services Luxembourg », le deuxième opérateur en  « cargo-ground-handling » (logistique en matière de fret aérien) de l'aéroport du Findel, a fait long feu. CSLux a été créée en 1998 suite à une directive européenne interdisant les situations de monopole pour le cargo handling sur les aéroports d'une certaine taille. En août 1999, le ministère des Transports annonça que CSLux avait été choisi pour obtenir la deuxième licence au Findel.

Les actionnaires historiques de la CSLux furent la Caisse rurale Raiffeisen (dix pour cent), Novia (groupe scandinave spécialisé en handling, 25 pour cent) et Skymaster (dont les principaux actionnaires sont le transporteur luxembourgeois Wallenborn et une société de consultance en aviation appartenant à un ancien de Cargolux, Robert Arendal, 65 pour cent). Début de l'année dernière, CSLux commença ses activités avec deux clients : Cargolux, qui confia à CSLux son marché export avec l'Allemagne, et China Airlines qui confia au nouveau venu le chargement/déchargement de ses sept Boeing 747 heb-domadaires ainsi que le handling export/import. Il s'agit là de deux anciens clients de Luxair Cargo Handling. De nouveaux clients pour le Findel, comme l'avait fait miroiter, lors de l'attribution de la licence, la direction de l'aviation civile du ministère des Transports, il n'y en eut pas.

Plus grave, ce que plusieurs observateurs avaient appréhendé dès le début de l'aventure, semble être devenu réalité. Les deux clients auraient essayé d'utiliser CSLux dans le seul but d'exercer une pression sur les responsables de Luxair pour que cette dernière baisse ses prix en ce qui concerne le Cargo Handling. Une approche a priori logique, l'idée des libéralisations étant de faire baisser les prix pour le consommateur. Seulement, la direction de l'aviation civile aurait péché en attribuant la licence à la légère...

Quelles sont les véritables raisons de la chute de CSLux : mauvais management, manque d'expérience, mauvaise planification... ? peu importe à la fin du compte. Le fait est que Cargolux a résilié son contrat avec CSLux avec un préavis qui court jusqu'à septembre, China Airlines n'a même pas donné de préavis et vient de signer, selon le quotidien belge L'Écho, un contrat portant sur 180 millions de francs avec Luxair. Auparavant, Novia a vendu sa participation dans CSLux et le « Managing Director » de CSLux, Henrik Ambak, a quitté depuis peu l'entreprise en direction de Cargolux. La débandade. Actuellement, l'OGB-L est en train de négocier un plan social avec des actionnaires qui se refusent à tout commentaire. Plus de cent personnes sont concernées, le syndicat espère pouvoir en « recaser » une bonne partie auprès de Luxair qui retrouve un regain d'activité par le retour de ses anciens clients. Quant au ministre des Transports, Henri Grethen, qui a affirmé « ne pas se mêler et juger de la vie interne de sociétés privées », il a simultanément annoncé une  « nouvelle adjudication de la seconde licence si jamais il s'avérait que CSLux cessera ses activités ».

Le futur de l'aéroport du Findel passe en grande partie par le cargo aérien. Les divers projets d'agrandissement de l'aéroport ainsi que l'immense Cargo-Center de Luxair en témoignent. Et pour cause, avec Cargolux, le cinquième opérateur européen de fret aérien utilise comme hub le Findel. Or, Cargolux se trouve actuellement pris dans une zone de turbulence. Après que le Chief Executive Officer de Cargolux, Heiner Wilkens, a dû présenter sa démission voici trois mois, la société n'a plus de planification à moyen ou long terme.

Wilkens a officiellement quitté Cargolux suite à un différend avec son conseil d'administration sur l'achat de huit Boeing 747 supplémentaires. Une explication qui est juste, mais qui ne reflète qu'en partie les différends entre Wilkens et les actionnaires luxembourgeois (SNCI, BCEE, Luxair). Wilkens avait, en coulisses - et apparemment avec l'accord d'une partie de son conseil d'administration qui se serait rétractée entre-temps -, élaboré un projet de fusion avec son actionnaire SAir Cargo, SAir Logistics (tous deux appartenant au groupe Swissair) et Panalpina, un opérateur de fret et de logistique suisse. Le projet avait hérité du nom de code « Romulus ». Devant la crainte que non seulement, les actionnaires luxembourgeois deviendraient fortement minoritaires dans le nouveau groupe à prédominance suisse, mais que le contrôle des activités fret du Findel échapperait de la sorte aux intérêts luxembourgeois et, de surcroît, le développement de l'actionnaire de référence de Cargolux, Luxair, serait ainsi mis en péril, le conseil d'administration émit son veto à ce projet.

Le départ de Wilkens ayant été con-sommé de la sorte, c'est l'ancien président du comité de direction de Luxair et président du conseil d'administration de Cargolux, Roger Sietzen, qui assure actuellement l'intérim à la tête de la société de fret aérien. Une situation jugée malsaine par certains, étant donné que par cette con-stellation, le contrôleur (président du conseil d'administration) se contrôle soi même (président du comité de direction). Pire, cette situation dure trop longtemps aux dires de certains, surtout que Sietzen aurait affirmé en comité interne sa volonté de prolonger cet intérim jusqu'à la fin de l'année.

Car non seulement Cargolux, mais aussi Luxair - et donc l'aéroport du Findel tout court - se trouvent à un moment clé de leur développement. Il est de mauvais augure que les deux compagnies, en même pas douze mois d'intervalle, ont vu leur dirigeant respectif être démis de ses fonctions.

Il y a d'abord l'agrandissement (et le concept urbaniste qui l'accompagne) prévu de l'aéroport, déclaré nécessaire par presque tout un chacun - mais pas à n'importe quel prix, selon les initiatives populaires de riverains soutenues par l'opposition politique et le Mouvement écologique. Premier visé, Cargolux, pour laquelle l'impossibilité d'offrir des vols de nuit (les départs et atterrissages entre minuit et six heures du matin sont interdits pas la loi), mais aussi les dimensions ainsi que les infrastructures aéroportuaires semblent insuffisantes. Ensuite, il y a Luxair, avec le trafic passagers, qui se trouve à l'étroit à cause d'un manque d'infrastructures, dont l'insuffisance en espace de parking n'est qu'un aspect. De l'autre côté, il y a le ministère des Transports qui semble naviguer à vue dans ce dossier hautement politisé et controversé, à en croire les déclarations de Charles Klein, directeur de l'aviation civile, faites au Financial Timesdu 8 juin 2001 : « Charles Klein (...) says they are trying to prevent building too close to the airport. But he acknowledges that compromises have to be made on both sides of the debate. »

Il y a ensuite les développements stratégiques de Luxair et Cargolux. Selon le quotidien économique belge L'Écho du 24 juin, Luxair serait ainsi sur le point de se rapprocher de Sabena, appartenant au groupe Swissair, qui vient d'être sauvé du dépôt de bilan par le gouvernement belge. Alors que les pourparlers - dont le conseil d'administration de Luxair dit avoir pris connaissance par voie de presse - concerneraient la mise à disposition d'appareils et de l'ouverture de l'aéroport de Bruxelles à Luxair, il risque d'y avoir anguille sous roche. Il n'y a pas si longtemps, la volonté de Sabena de déclarer l'ensemble de leurs pilotes au Luxembourg pour des raisons fiscales et de charges sociales avait créé un mini-scandale politico-diplomatique entre les deux partenaires Benelux.

Mais que le même article de L'Écho émette l'hypothèse d'une émigration de Cargolux vers l'aéroport d'Ostende provoque, dans les milieux concernés, une certaine stupeur. Que Cargolux songe à développer ses activité (surtout à cause des vols de nuit interdits à Luxembourg) du côté des aéroports de Bitbourg, Hahn ou Liège, voire Metz-Nancy est connu. Mais que le transporteur de fret aérien aille se réfugier à la côte belge, plus éloignée et où l'aéroport n'a pas de véritable réputation, est interprété comme un non-sens dans les milieux concernés. Que l'initiative de cette démarche semble venir du nouveau directeur de Luxair, Christian Heintzmann, amplifie la stupéfaction.

Le rapprochement de Luxair et Cargolux, aussi pour assurer la pérennité de l'aéroport luxembourgeois de plus en plus soumis à rude concurrence, semble pourtant chose décidée. Mais actuellement, il manque aussi bien à l'un comme à l'autre un véritable concept, et les deux compagnies semblent plus se méfier l'une de l'autre (qui sera aux commandes ?) que de véritablement vouloir collaborer. Pour l'instant, Cargolux, sans véritable capitaine à bord, et sans véritable plan de développement à moyen et long terme doit suivre le mouvement - et ce alors que les négociations avec l'actionnaire Swissair ne sont pas encore terminées en ce qui concerne la collaboration entre les deux « concurrents » sur le marché du fret.

Les prémisses pour prendre une bonne décision ne semblent pas données pour l'instant.

 

marc gerges
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