Logement des demandeurs d’asile

L’amour des orchidées

d'Lëtzebuerger Land du 03.01.2008

Ce n’est pas un sujet. Ou plutôt : ce n’est plus un sujet. Le logement et les conditions d’accueil générales des demandeurs d’asile étaient un vrai, grand sujet politique entre 1998 et 2006 à peu près. En 1998, suite à la guerre du Kosovo et aux bombardements de la Serbie par l’Otan (cofinancés par le grand-duché), le pays connut une affluence record de demandeurs d’asile originaires de la région, notamment du Monténégro : quelque 1 700 personnes étaient arrives en 1998 et plus de 2 900 en 1999 suite à cette guerre et à l’instabilité dans la région. Le gouvernement CSV-LSAP de l’époque, visiblement pris au dépourvu, ne savait où loger ces victimes collatérales d’une guerre européenne, et, après les halls de Foires internationales, qui furent réquisitionnés dans l’urgence, eut recours à tous les bâtiments plus ou moins de fortune en sa possession, du Centre Marienthal en passant par le Home Don Bosco au Limpertsberg, jusqu’au Centre Héliar à Weilerbach.

Après une chute dans les statistiques, un deuxième pic de nouvelles arrives fut atteint en 2004, avec 1 575 personnes déposant une demande d’asile, toujours majoritairement de Yougoslavie, avec toutefois une nouvelle population, marginalemais très discutée : des célibataires africains, soupçonnés d’être quasiment tous des trafiquants de drogues. Ce fut à ce moment-là aussi, durant une année électorale, que la polémique autour du logement battait son plein : les foyers provisoires ne tenaient plus, la salubrité des locaux souvent sans surveillance n’était plus garantie, les procédures d’examen des demandes étaient excessivement longues, peu de retours eurent lieu, et, très vite, les limites matérielles des capacités d’accueil étaient atteintes.

Or, la ministre de la Famille, Marie-Josée Jacobs (CSV), également responsable de l’accueil et de l’encadrement des étrangers, avait beau faire des pieds et des mains : impossible de trouver des communes qui soient prêtes à accueillir la moindre petite maison d’accueil de demandeurs d’asile sur son territoire, et l’ambiance préélectorale pour les communales de 2005 n’aidait certainement pas sur ce plan-là. « J’ai assisté à de nombreuses réunions avec des communes, se souvient un fonctionnaire, et j’étais impressionné de constater combien d’entre eux trouvent en dernier recours une espèce rare d’orchidées à protéger sur le terrain en question afin d’empêcher la construction d’un foyer pour réfugiés ». C’est dans ce contexte que le Premier minister Jean-Claude Juncker (CSV), agacé par ce  hénomène Nimby, lançait l’idée de construire un grand hall pour accueillir les nouveaux demandeurs d’asile. Cela ne s’est jamais réalisé. Aujourd’hui, un tel « hall » ne servirait probablement plus. Car depuis la crisedulogement des demandeurs d’asile de 2004, et la pression publique qui l’a entourée, beaucoup de petites mesures ont été prises à tous les niveaux politiques, de l’harmonisation des normes au niveau européen jusqu’à l’encadrement dans les différents foyers, que ce soit par des ONG conventionnées ou des sociétés de gardiennage. La réforme de la législation en matière d’asile en 2006, accélérant notamment les procedures de demande en introduisant un premier filtrage pour « demande manifestement infondée » et systématisant les reconductions vers le premier pays d’entrée dans l’Union européenne (procedure de Dublin) ; le taux extrêmement bas d’octrois du statut de réfugié selon la Convention de Genève – 37 personnes sur 772 dossiers analysés en 2006 – ; les actions de retours forcés groupés de demandeurs déboutés entre 2004 et 2006 et l’annonce de la construction d’un centre de rétention au Findel sont autant de mesures qui ont certainement contribué à décourager la venue de ceux qu’on traitait de « réfugiés économiques ». Le logement dans des conditions précaires faisait peut-être partie de cette batterie officieuse de mesures de découragement.

En 2005, ils n’étaient plus que 801 à tenter leur chance au Luxembourg, chiffre qui a encore chute d’un tiers en 2006, avec 523 nouvelles demandes. En 2007, le ministère de la Famille n’accueille plus que trente à quarante de telles demandes par mois.

Le calme revenant peu à peu, le budget de l’État pour 2008 et celui des investissements pluriannuels jusqu’en 2011, annoncent quelques projets de construction, restauration ou réaffectation d’infrastructures qui se lisent comme un écho à cette évolution.

La restauration du Centre Marienthal pour le compte du Service national de la jeunesse n’en est qu’un exemple. Le Commissariat du gouvernement aux étrangers (CGE), qui dépend du ministère de la Famille, organise et gère le logement des nouveaux demandeurs, de ceux dont la procédure est en cours, des déboutés en attente de leur possible expulsion et de ceux qui ont obtenu le statut de tolerance pour une raison ou une autre. En 2006, derniers chiffres officiellement disponibles, il avait ainsi la charge de plus de 1 700 personnes. Quelque 840 de ces personnes étaient loges dans quinze foyers pour famille en régie directe du CGE, 122 personnes dans six foyers pour célibataires, plus de 260 personnes dans les foyers gérés par la Croix-Rouge ou Caritas et les autres dans des pensions et hotels ou chez l’habitant privé. En 2006 déjà, lit-on dans le rapport annuel du ministère, une demi-douzaine de pensions, trois foyers pour célibataires et trois pour familles ont pu être fermés, suite à la baisse des besoins de 670 personnes.

Les investissements annoncés devraient surtout servir à ceux qui restent, pour qu’ils puissent vivre dans des conditions un peu plus dignes.

« Ce qui m’a le plus impressionné, dit le cinéaste Yann Tonnar, c’est l’arbitraire qui règne dans ce domaine, le fait qu’il n’y ait pas les mêmes norms pour tous, qu’il s’agisse d’une science inexacte. » Yann Tonnar est en phase de finalisation d’un documentaire sur le logement et les conditions de vie au foyer Weilerbach, près d’Echternach, le plus grand du pays avec plus de 250 personnes qui y vivent en permanence. Ce film, il y a travaillé durant deux ans, il connaît bien le sujet et ses inégalités : « Entre les véritables cinq étoiles que sont le foyer Saint-Antoine géré par Caritas ou le foyer de la Croix-Rouge à Eich et les grands complexes comme Weilerbach, Don Bosco ou le Marienthal, il n’y a pas photo. Chaque foyer a ses règles et même son ambiance, et je me suis toujours demandé pourquoi il en était ainsi. » Les uns profitent d’un encadrement socio-pédagogique alors que d’autres sont complètement abandonnés, avec comme seul interlocuteur un service de gardiennage privé ou un concierge plus ou moins empathique – avec son frère Serge Tonnar et l’acteur Steve Karier, ils avaient d’ailleurs déjà créé une pièce de théâtre sur ce sujet, Exit Lëtzebuerg, en 2006. Le thème principal du documentaire est l’attente et comment elle structure la vie des demandeurs, qui ignorent de quoi sera fait leur lendemain1.

D’icil’année prochaine, le Marienthal, où l’ambiance ces derniers temps était à la décrépitude, quasi fantomatique, redeviendra le règne des jeunes.

Les demandeurs d’asile, il en reste 75 ou 80, seront relogés dans une structure modulaire, des containeurs, sur le plateau qui surplombe la vallée. Or, bien que le terrain appartienne à l’État, c’était la croix et la bannière pour obtenir tous les accords et toutes les autorisations nécessaires pour cette construction.

Alors que la commune se montrait compréhensive, les réserves émanaient des milieux des protecteurs du patrimoine et de ceux de la nature – comme si tout valait mieux que ces êtres humains. En novembre 2004 déjà, le député socialiste Marc Angel s’inquiétait dans ce contexte en premier lieu pour « l’extraordinaire patrimoine culturel et naturel » et en deuxième lieu seulement pour le bien-être de ceux qui seront loges dans ces containeurs.

Dans leur réponse conjointe, les ministres de la Famille et de la Culture soulignaient à l’époque que « le gouvernement tient à développer des infrastructures d’accueil pour demandeurs d’asile. Malheureusement, les communes intéressées sont très rares.

D’aucuns mettent bien entendu en avant toute sorte d’arguments, certainement justifiés, tendant à éviter la création de tels centres. » Et d’insister que les structures prévues sont modulaires, donc démontables, et ne porteront donc pas atteinte aux « jardins historiques ». Le raccordement du site à la station d’épuration de Hollenfels doit contribuer à un moindre impact sur la nature. En réponse à une question parlementaire du député vert Félix Braz, la minister de la Famille vient de confirmer que les travaux de construction de cette structure légère se fera cette année, le budget de l’État 2008 prévoit 4,5 millions d’euros pour cette construction, aucune loi n’est donc nécessaire. La somme sera imputable au Fonds d’investissements publics sanitaires et sociaux, géré directement par le ministère de la Famille.

Ce même fonds a également été crédité de trois millions d’euros pour un « centre d’accueil pour réfugiés Waldhaff »etdequatremillions d’euros pour un tel centre à Schifflange.

Les deux projets sont toutefois en attente et leur réalisation est loin d’être assurée, le gouvernement avance comme sur des oeufs. Celui du Waldhaff, prévu pour une cinquantaine de personnes dans une structure modulaire, pourrait utilement remplacer l’actuel foyer Don Bosco. Ce foyer, qui jouxte l’Université du Luxembourg auLimpertsberg, est géré depuis 2004 par la Croix-Rouge, qui l’a spécialisé, suite à une convention avec le ministère, en centre de premier accueil et accueil d’urgence des nouveaux arrivants.

En 2006, plus de 560 personnes y ont logé, avec un taux d’occupation moyen de 78 personnes. Or, datant des années 1960, le bâtiment est dans un état désastreux. En 2008, des travaux de réfection y seront réalisés ; sept millions d’euros sont prévus dans le budget. Aucune réaffectation future, à moyen terme, des locaux ou du site tout entier, n’a encore été avancée. Le plus logique serait que l’Université du Luxembourg récupère le site, mais d’ici 2009, le prochain gouvernement devrait encore décider si la faculté de droit et d’économie reste à Luxembourg ou si elle rejoindra les deux autres à Esch.

1 La première du documentaire de Yann Tonnar, Weilerbach (Samsa Film) est prévue le 30 janvier au Centre national de l’audiovisuel à Dudelange.

josée hansen
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